Mustapha Mechahouri, ministre du Commerce extérieur Après l'échec de Cancun, les pays membres de l'OMC se sont retrouvés de nouveau autour de la table de négociations, entre les 15 et 18 décembre 2003. L'agriculture, l'investissement, la concurrence ou encore l'accès aux marchés publics reviennent à l'ordre du jour. Le ministre du Commerce extérieur éclaire les lecteurs de la Gazette sur ces points et donne la position du Maroc. La Gazette du Maroc : lundi 15 décembre 2003 s'est tenu à Genève un round de négociations concernant le volet technique du cycle de Doha. Quel est l'enjeu de cette rencontre pour le commerce international et l'impact sur le Maroc ? Mustapha Mechahouri : effectivement, la réunion de haut niveau du Conseil général de l'OMC s'est tenu du 15 au 18 décembre 2003 à Genève. Dirigée conjointement par le Président du Conseil général et le Directeur général de l'OMC, elle a pour objectif la réactivation des groupes de négociation de l'OMC et du Comité des négociations commerciales (CNC) suspendus suite à l'échec de la conférence ministérielle de Cancun en septembre 2003, et ce, en vue de mettre fin au blocage conformément aux instructions ministérielles à la Conférence de Cancun. Fort de sa position de membre actif dans le processus des négociations du cycle de développement de Doha, le Maroc est appelé à jouer un rôle très important dans la relance de ces négociations, tout en assurant la défense des intérêts commerciaux nationaux dans la perspective de l'amélioration des conditions de l'accès aux marchés de nos exportations de biens et services. On sait que les pays développés ont du mal à réduire le soutien apporté aux agriculteurs pour des raisons politiques. Ce qui pose pour des pays comme le Maroc, avec 50% de population rurale, le problème de l'écoulement des produits. Quelle position le Maroc défendra-t-il en ce qui concerne les subventions agricoles ? Le Maroc a toujours appelé à des réductions substantielles du soutien interne et des subventions à l'exportation, de tous les membres de l'OMC sans exception, particulièrement aux produits horticoles. Par ailleurs, le Maroc défend une plus grande flexibilité accordée aux pays en développement(PED) dans les différents volets des négociations (accès aux marchés et considérations d'ordre non commercial) en vue de leur permettre de répondre, dans la mesure du possible, à leurs objectifs de développement, notamment en matière de développement rural et de sécurité alimentaire. Pour les thèmes de Singapour (investissements, concurrence et accès aux marchés publics) l'OMC tarde à se lancer dans un véritable débat, alors que ce sont des points qui intéressent les pays en développement au plus haut niveau. Quelle sera la position du Maroc ? Concernant les trois thèmes dits de Singapour à savoir l'investissement, la concurrence et les marchés publics, le Maroc a toujours demandé une clarification de ces questions qui pourraient inclure, en cas d'un accord multilatéral, des dispositions non compatibles avec les objectifs nationaux pour la politique de promotion des investissements, de concurrence et de passation des marchés publics. Pour la facilitation des échanges, notre pays est pour le lancement des négociations concernant ce thème qui n'aura que des répercussions positives sur le développement de nos échanges internationaux. Dans ce contexte, certaines organisations internationales ont même noté que l'élimination de tous les obstacles tarifaires et non tarifaires pourrait se traduire pour les PED par des gains globaux de l'ordre de 182 milliards de dollars US dans le secteur des services, de 162 milliards de dollars US dans le secteur manufacturier et de 32 milliards de dollars US dans le secteur agricole. Pour ce qui est des médicaments, malgré un accord intervenu dans le courant de l'année 2003, les conditions exigées pour la production des génériques demeurent complexes. Comment le Maroc peut-il profiter des ADPIC en tant que producteur de médicaments mais également comme consommateur potentiel de génériques ? Le Maroc s'est réjoui de l'Accord conclu sur les ADPIC et la santé publique en fin août 2003 à Genève, puisque cet accord multilatéral, à but humanitaire, est pleinement conforme à la position appuyée par le Maroc depuis la Conférence de Doha. Notre pays a toujours affirmé la nécessité de trouver un compromis qui puisse préserver l'équilibre, entre d'une part, le droit des PED et des pays moins avancés (PMA) de bénéficier de la flexibilité de cet accord pour assurer l'accès de tous aux médicaments et d'autre part, l'obligation de protéger les droits de propriété intellectuelle pour promouvoir la recherche et le développement dans ce secteur vital qu'est la santé publique. A l'issue des négociations est-on en droit d'attendre une meilleure égalité des chances entre pays riches et pays moins nantis ? Pour le Maroc, est-ce que ces accords permettront de réduire un tant soit peu le déficit commercial ou contribueront-ils à creuser le déficit ? Il semble très difficile pour un pays quelconque de se développer en tournant le dos au marché international, qu'il s'agisse des produits manufacturiers, des services ou en restant fermé aux flux de capitaux à long terme. En d'autres termes, une perspective d'équité et de justice internationale impliquerait que les politiques internationales décidées doivent répondre aux besoins de réduction des inégalités et de la pauvreté. La balance commerciale du Maroc a subi une dégradation notoire au titre de l'année 2003. Certes, on ne saurait écarter l'effet de la conjoncture, l'effet structurel n'en demeure pas moins important. Quelles sont les mesures envisagées pour doper les exportations dans le contexte d'une économie mondialisée, avec une menace permanente des pays de l'Est asiatique ? Pour un pays comme le Maroc, le Cycle de Doha est considéré comme étant une initiative qui tend notamment à accroître les opportunités en ce qui concerne l'accès aux marchés et la diversification des débouchés commerciaux. Devant cette nouvelle conjoncture de concurrence internationale, le Maroc est amené à suivre une politique commerciale intégrée ayant pour objectifs : la promotion de nos produits à l'étranger (accaparation de nouvelles parts de marchés et conservation des acquis), la mise à niveau des PME et PMI à l'export et le renforcement de l'infrastructure existante afin que nos exportations répondent pleinement aux exigences internationales en matière de normes et de réglementation. Le Maroc ne doit pas continuer à vouloir coûte que coûte exporter ce qu'il produit, mais plutôt se mettre à produire pour répondre à la demande et aux besoins exprimés par les marchés extérieurs. Quelles sont les articulations existant aujourd'hui entre les négociations multilatérales (OMC) et les négociations bilatérales, notamment les divers accords de libre échange ? La conclusion d'accords commerciaux régionaux dans tous les continents est un changement, presque universel, qu'a subi le contexte international politique depuis le début déjà lointain du Cycle d'Uruguay. Ces accords régionaux de libre échange sont, en général, compatibles avec les règles de l'OMC et pourraient jouer un rôle catalyseur dans le processus mondial de libéralisation des échanges. Le cas d'intégration économique régionale le plus remarquable est l'élargissement progressif de l'Union européenne. Ceci dit, plusieurs pays considèrent que les relations bilatérales pourraient constituer une alternative au "multilatéralisme", mais en réalité, les deux issues visent la même fin, à savoir la libéralisation des échanges. Entretien réalisé par Mar Bassine Ndiaye