Etude Le Ramadan est l'un des cinq piliers de l'Islam. Il correspond au neuvième mois de l'année lunaire du calendrier de l'Hégire musulman. Il consiste notamment en l'abstention de boire et de manger du lever au coucher du soleil. Les habitudes de vie dans ces conditions s'en trouvent alors modifiées. Contrairement aux préceptes de l'Islam, le Ramadan est vécu comme un mois de veillées nocturnes avec des repas copieux et déséquilibrés. Ces changements concernant en particulier l'alimentation, le sommeil et la vigilance, auront donc des répercussions sur le travail. Une étude a permis d'évaluer l'impact du jeûne pendant le mois de Ramadan sur la vie professionnelle et de proposer quelques mesures préventives. La population étudiée est composée essentiellement de jeunes femmes célibataires dont 89,4 % ont été scolarisées. Les couturières sont les plus nombreuses. Les ouvrières travaillent de 8 h 30 à 16 h 30 pendant le Ramadan et de 8 h à 18 h 30 avec une pause d'une heure pour les repas de midi, en dehors du Ramadan. Les activités extraprofessionnelles consistent à vaquer à des tâches ménagères, avec une moyenne de 120 minutes quotidiennement pendant le mois du jeûne contre 60 minutes en dehors, et à regarder la télévision, en moyenne 120 minutes pendant le Ramadan contre 80 en dehors de cette période. Evaluation des habitudes alimentaires Au cours du mois de Ramadan, le nombre moyen de repas est de 2,2 par jour contre 3,5 en dehors de cette période. L'horaire de la prise du premier repas, ftour, correspondant à la rupture du jeûne, se situe entre 18 h et 19 h dans 94,7 % des cas (c'est l'heure de la rupture du jeûne pour tous les jeûneurs). Hors Ramadan, le premier repas ou petit-déjeuner est pris entre 6 h et 8 h dans 86 % des cas. Le second repas au cours du Ramadan est pris entre 22 h et minuit dans 34,6 % des cas. Le dernier repas avant l'aube, ou shor, est pris entre 2 h et 5 h dans 59 % des cas. La consommation quantitative des sucreries est augmentée chez 75,6 % des enquêtées pendant le Ramadan alors que la consommation liquidienne (eau et boissons) est nettement plus basse pendant cette période chez 23,3 % des personnes; elle est inférieure à trois verres d'eau par jour, soit 450 cl/j chez 15 %. La consommation d'excitants (thé, café) est augmentée chez 50,6 % des personnes pendant le mois du Ramadan. Evaluation du sommeil Pendant le Ramadan, 66,3 % des personnes interrogées se couchent après minuit et 88% se lèvent après sept heures. Le réveil apparemment tardif pendant le Ramadan peut s'expliquer par le fait que, pendant ce mois, 92 % des personnes se réveillent la nuit pour une durée moyenne de 60 minutes pour prendre le dernier repas, puis se rendorment, et que la reprise du travail a lieu plus tard à 8h30 du matin au lieu de huit heures habituellement. La durée moyenne du sommeil est inférieure à six heures chez 68 % des personnes pendant le Ramadan. Au cours du Ramadan, 46,6 % des salariées disent ne pas s'endormir facilement, 70,6 % ne pas se réveiller en forme et seulement 40,6 % sont satisfaites de leur sommeil. Evaluation des troubles rencontrés et vécu du travail Pendant le Ramadan, les troubles digestifs (douleurs épigastriques, ballonnements, dyspepsies) représentent les principales affections décrites par les ouvrières, suivies par les céphalées. La somnolence pendant le travail durant le jeûne est rapportée par 46 % des ouvrières et est particulièrement ressentie en milieu de journée pendant le Ramadan. A la question sur la compatibilité du jeûne avec le travail, 40 % des sujets interrogés déclarent que le Ramadan n'est pas compatible avec le travail, 66,6 % pensent que les horaires de travail ne sont pas adaptés au mode de vie pendant ce mois et 24 % proposent des horaires de travail de 9h à 15h.La fin de la journée est considérée comme étant la plus pénible à supporter pendant le Ramadan dans 52 % des cas. La majorité des salariées, soit 56,6 %, ne propose rien pour améliorer les conditions de travail, alors que 26 % réclament plus de pauses et une réduction des heures de travail.On retiendra également que 61,3 % des ouvrières sont satisfaites de leur travail en dehors du Ramadan contre 16 % seulement pendant la période du jeûne. Le mode de vie pénible pendant le mois du Ramadan est évoqué chez 52 % des ouvrières pour expliquer les difficultés au travail. Ces causes sont dues aux troubles du sommeil ressentis par 65,3 % des ouvrières et à la sensation de soif chez 18,6 % et de faim chez 18,6 % des travailleuses. En dehors du mois du Ramadan, la difficulté à travailler est reliée aux nuisances telles que le bruit chez 30 % des sujets, la chaleur et la surcharge de travail chez 21,3 %.Les veillées et la nécessité de se nourrir pendant la nuit influencent la durée et la qualité du sommeil chez les jeûneurs. Les difficultés d'endormissement se retrouvent dans notre étude chez 46,7 % des personnes, et le nombre d'heures de sommeil est inférieur à six heures chez 68% pendant le mois de Ramadan. Cette diminution de la durée et de la qualité du sommeil pendant le mois de Ramadan explique la réduction des performances psychiques et motrices et de la vigilance qui apparaît à 9 h, 11 h et 16 h, au cours des quatre semaines du mois de Ramadan. Modifications du sommeil et de la vigilance Dans notre étude, 46 % des ouvrières se plaignent de somnolence dans la journée. Deux études corroborent cette observation. La première, réalisée en 1986 chez 19 étudiants en médecine, a montré une altération légère des fonctions psychomotrices et des altérations plus marquées de la mémoire. La seconde, qui a fait l'objet d'une thèse de médecine soutenue en 1989 à Casablanca, a évalué l'état de vigilance chez 46 jeûneurs sains, pendant le Ramadan et en dehors du Ramadan. Les résultats ont montré une diminution statistiquement significative de la vigilance pendant la première semaine du Ramadan, avec des altérations moindres pendant les deuxième et troisième semaines et une disparition de ces troubles pendant la quatrième semaine. Ces observations ont été rapportées par Hakkou au cours du premier Congrès international sur la santé et le Ramadan tenu à Casablanca, les 19-22 janvier 1994 (abstracts, pp. 31-35).Une enquête menée chez 264 étudiants âgés de 20 à 30 ans, a montré une augmentation de la somnolence diurne, passant de 27 % au cours de l'année à 46,8% pendant le Ramadan.El Khalifi, dans sa thèse de médecine portant sur les variations circadiennes de la vigilance pendant le Ramadan et soutenue à Casablanca en 1998, différencie la vigilance objective de la vigilance subjective dans son travail réalisé pendant le mois de Ramadan de la même année et qui porte sur huit sujets sains, âgés de 20 à 27 ans. La vigilance objective est mesurée par le test itératif d'endormissement (MSLT). Elle diminue entre 10 h et 12 h pendant le Ramadan surtout au cours de la dernière semaine. Elle augmente vers 14 h sûrement à cause de l'absence du repas de midi, qui entraîne habituellement un endormissement ou “post lunch dip”. La mesure de la vigilance subjective se fait par l'échelle analogique visuelle (EAV) et rapporte que la vigilance subjective diminue entre 8 h et 12 h pour augmenter à 14 h et de nouveau diminuer à 16 h. Des maux de tête sévères Un sondage, réalisé par Tazi et col. sur les céphalées et Ramadan et intéressant 200 personnes résidant à Casablanca, a évalué la survenue des céphalées au cours des deux premiers jours de Ramadan. Les céphalées sévères sont notées chez 60 % des personnes qui ont un sommeil perturbé. Quatre-vingt-dix pour cent de personnes qui présentent des céphalées au cours des premiers jours du Ramadan estiment que leur travail est perturbé pendant la journée de jeûne. Dans notre étude, parmi les troubles ressentis pendant le mois de Ramadan, les céphalées viennent en deuxième place. Roky, dans une étude sur le Ramadan et la vigilance suggère aux personnes qui occupent des postes nécessitant une vigilance soutenue, comme les chauffeurs ou les conducteurs de grosses machines, de ne pas changer le rythme de leur sommeil durant le Ramadan et de prendre des précautions supplémentaires pour éviter tout danger que peut générer une diminution de la vigilance notamment la consommation de médicaments. Cette diminution de la vigilance, voire des fonctions psychomotrices et de la mémoire pendant le Ramadan peut être assimilée à celle rencontrée dans le travail posté. Le travail posté engendre des astreintes comparables à celles ressenties pendant le Ramadan. La similitude entre les deux situations est la suivante : ‡ dans le cas du travail posté, l'activité nocturne entraîne une diminution du pouvoir de concentration et une somnolence ; ‡ dans le cas du travail pendant le Ramadan, la tendance à inverser le cycle circadien, avec des veillées prolongées et des prises alimentaires nocturnes relevant plus d'une pratique courante que d'un précepte religieux, entraîne une diminution de la vigilance au travail. Le problème de la vigilance ne se pose pas avec autant d'acuité dans les pays musulmans, où toute la population vit la même ambiance psychologique du jeûne et où les horaires sont légèrement aménagés pendant le mois de Ramadan, que pour les pratiquants vivant dans les pays non-musulmans. Dans ce dernier cas, une diminution de la vigilance au cours du travail pendant le mois de Ramadan est plus dangereuse et d'autant plus marquée que les horaires de travail demeurent habituels. D'ailleurs, un certain nombre de Musulmans se trouvant dans ces conditions préfèrent prendre leurs vacances pendant le Ramadan. (D'après un document fourni par la Fondation Hassan II pour la recherche sur Ramadan et Santé) Ramadan et performance physique L'impact du jeûne du mois de Ramadan sur la pratique sportive chez différentes populations a été l'objet de bon nombre d'études scientifiques. Le but était de s'informer sur les facteurs susceptibles d'affecter la performance physique chez les étudiants effectuant des efforts physiques dans le cadre de leur cours d'éducation physique, les sportifs de haut niveau évoluant dans le cadre de leur activité professionnelle et les personnes exerçant occasionnellement une activité de ce genre. Cette dernière catégorie représente un nombre important de personnes sédentaires qui ne pratiquent le sport que pendant le mois de Ramadan et juste avant la rupture du jeûne.L'intérêt de ces études est d'attirer l'attention de la population sur le fait que le changement brusque qu'accompagne le jeûne, ne va pas sans influencer la condition physique des sujets investis dans des efforts physiques réguliers ou occasionnels, intenses ou réduits.En effet, les performances physiques des sportifs de haut niveau ou des personnes pratiquant le sport régulièrement sont significativement diminuées quelle que soit la discipline pratiquée. L'activité sportive a des conséquences sur la santé des sportifs occasionnels, qu'ils soient sains ou malades. Chez ces derniers, elle est formellement contre-indiquée alors que chez les premiers, on assiste à une diminution à la fois de la fréquence cardiaque et respiratoire, et des performances physiques.D'une façon générale, le sport pendant le Ramadan, quelles que soient son intensité et sa fréquence et pour toute personne, diminue la performance de la personne qui l'exerce. Il est plus raisonnable de l'éviter en fin de journée car il peut être à l'origine d'éventuels accidents et avoir un impact négatif sur la santé des jeûneurs. S. Moussamih Fondation Hassan II pour la recherche scientifique et médicale sur le Ramadan