Entretien avec le président de l'Association des familles des victimes de l'immigration clandestine Le président de l'Association des familles des victimes de l'immigration clandestine (AFVIC) dresse un tableau sombre de la situation. Pour Khalil Jemmah, le seul point de soulagement sont les récentes décisions royales. Par ailleurs, les questions restent posées quant aux raisons qui laissent courir les mafias de l'émigration clandestine. Entretien depuis Algésiras où l'association, dont le siège est à Khouribga, a œuvré pour faciliter la tâche d'identification et de rapatriement des corps des victimes . La Gazette du Maroc : Comment avez-vous reçu la nouvelle du dernier drame ? Khalil Jemmah : l'opinion nationale et internationale ont été choquées par le drame de Cadiz. Il a été qualifié de drame humanitaire. Jamais des images aussi choquantes n'ont été publiées par la presse. Au niveau de l'Association amis et familles des victimes de l'émigration clandestine (AFVIC), nous avons appris l'annonce du naufrage avec amertume et tristesse, mais ce qui était dur pour nous, c'était l'indifférence des instances marocaines, y compris les partis politiques. Juste après avoir appris la nouvelle, nous avons cherché à identifier les familles. Le bureau exécutif qui a tenu une réunion urgente, a diligenté une commission pour établir une enquête sur les causes du drame. Les témoignages des rescapés nous ont donné un aperçu général sur le déroulement de l'aventure macabre qui a été repris par l'ensemble des médias nationaux et internationaux, mais ce qui est intéressant c'est que notre rapport a trouvé un écho favorable au niveau de la presse et la société civile espagnoles. Notre thèse a été confirmée par la suite par El Pais qui, après enquête, a confirmé qu'effectivement un navire commercial a donné le signal d'alerte, le capitaine ayant confirmé notre thèse. Nos enfants auraient pu être sauvés si la Guardia civile avait répondu à temps au signal de détresse. En parallèle l' AFVIC a identifié les lieux de départ des victimes et un ensemble de 31 familles sur les 54. Et depuis le premier jour, les membres de l'association sont à pied d'œuvre. Concrètement, qu'est-ce que vous avez fait en tant qu'association ? Dès l'annonce de ce nouveau drame, nous avons tenu au siège de l'Association une réunion avec les familles des victimes ou censées être victimes. Une commission comportant des membres de l'Association et des représentants des familles s'est rendue en Espagne vendredi 14 novembre pour participer à l'identification des cadavres et faciliter leur rapatriement. Il faut dire que plusieurs familles espéraient que leurs fils ne soient pas de ce convoi de la mort. Mais à voir les corps, il était impossible des les identifier sauf quatre d'entre eux. Le premier s'appelle Griat, le deuxième Tounsi, un troisième dont on n'a pas encore le nom mais qui est manchot et une fille, la seule du convoi. Les trente-quatre autres cadavres sont difficiles à identifier. Nous avons neuf rescapés, les autres sont portés disparus, sachant que la barque de la mort transportait cinquante quatre immigrés. Et quelle procédure allez-vous suivre pour l'identification ? Je dois dire d'abord que la délégation a tenu une réunion vendredi avec le consul du Maroc à Algésiras, M. Saâdaoui, en présence des représentants de l'Association des travailleurs marocains en Espagne (ATIME) et l'association Algésiras ACOJE. Une réunion au cours de laquelle nous avons fait part des difficultés de déplacement de toutes les familles notamment pour des raisons de documents de voyage et de visas. Ensuite, nous avons donné une conférence de presse à laquelle une trentaine de médias espagnols ont assisté. Après cela nous sommes partis à la morgue pour identifier les cadavres. Pour les trente-six corps non identifiés, il va y avoir des tests ADN. Les prélèvements vont s'effectuer à Bab Sebta et respecteront les priorités exigées scientifiquement. Ainsi, on commence par la mère, sinon la sœur ou le frère, puis éventuellement le père. Ce drame ne peut en cacher d'autres. A combien évaluez-vous le nombre de victimes durant les derniers mois ? Nous avons pu recenser 200 cadavres entre mai et novembre, plus les émigrés portés disparus. Un constat triste cela va sans dire. Mais une remarque est à souligner : presque la moitié de ces victimes sont originaires de la Région Tadla-Azilal. Pourquoi cette région qui n'est pourtant pas une région pauvre ? Nous croyons que les mafias des émigrés ont trouvé plus de facilités dans ces patelins qu'ailleurs. Les responsables locaux n'ont pas pu leur mettre la main dessus. Il y a donc problème. Mais comment votre association va-t-elle contribuer maintenant aux côtés des instances dont le Souverain vient d'annoncer la création, notamment l'observatoire ? Je tiens à dire que nous avons accueilli les décisions royales avec soulagement, comme un signe de réconfort. Parce que depuis toujours nous avons vécu notre drame en solo. Notre association, qui n'a jamais reçu d'aide ou de subventions, continue de travailler pour venir en aide aux familles des victimes et pour la lutte contre les dangers de l'émigration clandestine. Nous avons acquis une bonne expérience que nous sommes prêts à mettre à la disposition de l'ensemble des intervenants dans ce domaine de lutte contre l'émigration clandestine. AFVIC: une ONG sur le front Moins d'une dizaine de membres des familles des cinquante-quatre victimes se sont déplacés en Espagne et ont rencontré samedi le défenseur du peuple espagnol. Ils étaient conduits par les membres de l'Association des familles des victimes de l'émigration clandestine. Une ONG basée à Khouribga qui s'active dans le domaine du soutien aux familles, la recherche des disparus et tire la sonnette d'alarme quant aux dangers de l'émigration clandestine. Créée le 2 août 2001 au Maroc, l'Association souligne que le premier décès d'un Marocain victime de l'émigration clandestine est intervenu deux jours après l'entrée en vigueur des accords de Schengen. Une véritable mafia s'est constituée ensuite pour organiser cette nouvelle forme de la traite, qui, selon l'AFVIC, concerne plus de 100.000 personnes par an pour le seul détroit de Gibraltar. D'après l'association, de 100.000 à 110.000 personnes tentent chaque année de traverser le détroit de Gibraltar. Ce qui entraîne de fréquents drames dans le détroit et dans les eaux dangereuses qui séparent le Maroc des îles Canaries (Espagne). La traversée du détroit est une aventure à hauts risques. Elle est assurée par des barques de pêche ou pateras, souvent équipées d'un moteur de 40 à 60 chevaux. Les départs s'échelonnent sur toute la côte nord du Maroc, descendant jusqu'à Kénitra, aux portes de la capitale. La surveillance accrue du détroit oblige les passeurs à faire preuve de témérité. Si bien que les 14 kilomètres qui séparent l'Espagne du Maroc au point le plus court peuvent se transformer en une traversée de plusieurs centaines de kilomètres, non sans risques. L'Association considère que pour mettre fin aux drames des pateras, le travail doit commencer par le démantèlement des mafias de l'émigration clandestine.