La lutte contre le trachome Outre le succès de la campagne que le gouvernement a menée face au trachome, un important problème tarde toujours à être résolu : le manque de ressources humaines. “La pauvreté est la cause de cette maladie”, répond le petit Mohamed, l'un des élèves de l'école primaire de Tamgroute. La réponse de ce jeune Marocain à la question que vient de poser son enseignant, El Alaoui, en rapport aux causes de la maladie infectieuse du trachome, évoque clairement et sans ambiguïté la dure réalité qui afflige la majorité des Marocains. Si le trachome sévit principalement là où la pauvreté est la plus criante, cette maladie sert aussi d'indicateur du niveau de misère de la population. Certes, l'immense succès que connaît jusqu'à présent le PNLCC permet de panser les plaies que causent la misère et la souffrance. Mais malgré ces efforts, sans ressources humaines médicales adéquates et des infrastructures sanitaires essentielles, tous les efforts déployés ne peuvent être que de l'acharnement thérapeutique. C'est avec le bouchon d'un stylo qu'un médecin de la province de Tata retourne la paupière de l'œil de sa patiente atteinte du trachome. Médecin dans la province de Tata, le Dr. Brahim est conscient plus que tout autre du problème de pénurie qui existe. Il insiste sur le fait que la “formation du personnel médical est ce qui est le plus important”, et Guezzaz, l'infirmier auxiliaire, d'ajouter : “les spécialistes sont essentiels”. A quelques pas du centre médical, un homme s'attarde à démarrer la pompe à eau. “Il y a un manque de moyens financiers. Il n'y a pas de pièces de rechange”. A Foum-Zguid, une ville de 24.603 habitants, la situation s'améliore d'année en année, mais les besoins sont toujours aussi criants. En 2003, ce sont pas moins de 12% de ses habitants qui devront être traités, et ce, pour les seuls besoins du trachome. Atteint du trachome trichiasis, Mouchou Lahbib, 80 ans, vient de subir une opération chirurgicale à l'hôpital local. Dans la salle voisine, où la chaleur se mesure au débit de sueur qui coule sur le front du médecin, une dame d'une quarantaine d'années se fait opérer. “Ne bouge pas”, répète le médecin alors qu'il tente de terminer l'opération. Derrière lui, deux mouches sur le carreau de la fenêtre tentent de s'échapper. Finissant les points de suture, le médecin indique à sa patiente les moyens d'hygiène à suivre et la remercie. A Zagora, province voisine de Tata, la situation médicale s'améliore, mais reste très en deçà de ce que la majorité des provinces marocaines connaissent. Les ressources médicales sont dans un piètre état. 31 des 59 chirurgiens du trichiasis sont partis, ce qui impose une surcharge de travail énorme pour ceux qui restent. Ainsi, chaque médecin a plus de 1.000 opérations par an à prendre en charge, soit une moyenne de 3 opérations par jour, et ce, sans compter les autres interventions quotidiennes auxquelles il doit répondre. Comme l'expose le Dr. Majd Abderrahman, “le déficit en ressources humaines est général. La problématique ne s'impose pas qu'au seul cas du trachome. Nous avons 82 infirmiers pour 300.000 habitants. Il y a des limites !”, lance l'homme, exaspéré d'une situation qui ne cesse de perdurer. Dans une province où le trachome touche près de 50% de la population, on arrive à saisir, un tant soit peu, une telle frustration. “Nous avons un manque de ressources. Une personne fait le travail de 8 à 10 personnes !”. Chef du Centre de la division médicale de Zagora, le Dr. Elbouni Abdallah sait donc de quoi il parle. A Skoura, circonscription de la province de Ouarzazate, le ratio est de 1 infirmier pour 4.500 habitants et de 1 médecin pour 9.738. Bien loin donc des normes établies par la communauté internationale. “La faculté de médecine est sous tutelle de l'enseignement supérieur. Les spécialités que l'on y forme ne sont pas toujours adéquates et en réponse aux demandes du ministère de la Santé”. A titre d'exemple, “on ne forme que deux gynécologues obstétriciens chaque année. Nous sommes loin des besoins du pays, d'autant plus que les médecins que l'Etat forme partent dans le privé et restent dans les grandes villes. C'est pas normal ! Dans certaines provinces, il n'y a ni gynécologues ni de pédiatres”, s'indigne Laabid. Médecin de formation et Chargé du programme de santé pour l'UNICEF à Rabat, Ahmed Laabid connaît très bien le dossier. “Le problème c'est qu'il y a un manque de collaboration et que ce manque est ressenti essentiellement dans les régions éloignées pour ce qui a trait aux problèmes prioritaires”, explique-t-il, à l'issue de la visite du village de Skoura, avant-dernière étape du séjour, où sont d'ailleurs présents officiels gouvernementaux et représentants d'organismes nationaux et internationaux. Dr Laabid est exaspéré et irrité par ce qu'il constate de façon quotidienne. “Dans un cadre journalier et régulier ce n'est pas comme ça. On est loin de cet esprit. Il n'y a pas cet esprit de partenariat. Tout le monde est de son côté, chacun pour soi”, constate le responsable onusien. Le Chargé du programme de la santé pour l'UNICEF a discuté, lui, avec la population et résume bien les requêtes que demandent les Marocains.“On demande qu'il y ait des équipes qui viennent de temps en temps chez nous, disent-ils. Mais personne ne vient. Leur frustration est tout à fait normale”. La dernière étape du séjour est l'Association Horizon des Handicapés. Située au cœur de la ville de Ouarzazate, cette association a pour objet de venir en aide et de réhabiliter les personnes handicapées. Mais comme partout, ce que constate une fois de plus le ministre, l'association souffre du sous-financement, du manque d'équipements et de ressources humaines. Ici, comme ailleurs, on y tient les mêmes propos. “Nous avons des problèmes de ressources humaines Monsieur le ministre. Qui va prendre en charge ces gens là ?”, ce à quoi le ministre s'est engagé à répondre du mieux qu'il pouvait. Mohamed Cheikh Biadillah, ministre de la Santé publique, ne pouvait être plus clair au cours du point de presse le 4 octobre dernier, à l'occasion de la clôture de la semaine de visite et d'information : “Il s'agit d'un problème de misère, de pauvreté. (…) Il y a aussi un grand déficit en ressources humaines. La demande est pressante”. Selon le ministre, c'est près de 9.500 postes qui tardent à être comblés. Traitant de la problématique des médecins spécialistes, M. Biadillah résumait parfaitement les propos tenus par la majorité des citoyens et des intervenants du milieu de la santé que nous aurons eu la chance de rencontrer tout au long de cette visite : “ceux qui restent au Maroc refusent d'aller au Sud et en périphérie”. Mais un peu plus tard, il nous a été possible de saisir on ne peut plus le fond du problème. Car selon le ministre, “on ne peut obliger les médecins à se déplacer ici”. C'est aussi une question de “motivation et d'argent”, comme il l'a si bien rappelé. Le Premier ministre, Driss Jettou, disait au mois de juillet dernier, lors d'une réunion tenue à la Wilaya de Casablanca, que “nous n'utilisons pas de manière rationnelle les moyens que l'on met laborieusement à la disposition des différentes administrations et en particulier au niveau de la santé. (…) Nous n'arrivons pas à assurer une bonne coordination entre les différents intervenants et les différentes administrations. Et c'est un grand gâchis”, avait-il martelé. Pourquoi le gouvernement n'obligerait-il donc pas les médecins à pratiquer en régions éloignées pour une période de temps définie ? Une législation en ce sens ne s'impose-t-elle pas ? Après tout, ce sont les Marocains et les Marocaines qui payent leurs études. Dans la conjoncture actuelle, où la demande de réformes demandées par les citoyens et les intervenants du secteur de la santé publique est incontestable, Biadillah a le vent dans les voiles. Il a la force et la légitimité nécessaire afin d'enclencher les changements qui s'imposent. Il ne s'agit que de lever l'ancre. Avec une enveloppe budgétaire de 4,5% du budget général de l'Etat, le ministère de la Santé publique fait figure de parent pauvre. La norme internationale fixée par l'OMS est de 10% du budget total de l'Etat. En termes des dépenses publiques de santé en pourcentage du total des dépenses publiques, l'OMS classe le Maroc, avec seulement 3,9%, et ce, en comparaison avec 21 pays de la région de la Méditerranée orientale, au 18ème rang, tout juste devant la Somalie, l'Afghanistan et la Libye.L'argent n'est toutefois que la partie visible de l'iceberg. En effet, c'est plus qu'un problème de moyens financiers dont il s'agit. Certes une meilleure répartition de la richesse réussira à enrayer de nombreux problèmes. Mais le véritable défi entourant la question de la santé publique est celui de la volonté politique. Car sans celle-ci, rien n'est possible. A défaut de changer cette culture politique et administrative, c'est l'ensemble des Marocains, et surtout les plus défavorisés d'entre eux, qui en feront les frais. Car comme le disait Ghandi, “Œil pour œil le monde finira aveugle”. Une métaphore qui, malheureusement pour les Marocains, n'en n'est guère une. Elle traduit plutôt la dure réalité.