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Fouad Al Gaz, le poissonnier
Publié dans La Gazette du Maroc le 28 - 07 - 2003

La cellule présumée terroriste de Rabat
Le procès s'est ouvert le vendredi 26 septembre à la Cour d'appel de Rabat et devait se poursuivre cette semaine. L'affaire des kamikazes de Rabat, les sœurs jumelles Imane et Sanae Laghrissi et tous les autres inculpés dans ce dossier doivent répondre devant le juge pour des accusations d'une grande gravité : attentats contre des institutions de l'Etat, menaces de kidnapping et de séquestration de hautes personnalités, diffusion de tracts, formation de groupes salafistes…etc. Après avoir enquêté sur les sœurs jumelles, Hassan Chaouni alias Kichk, Mustapha Echatar, La Gazette du Maroc poursuit sa plongée dans ce quartier de Rabat qui s'est mué en l'espace de deux mois en un véritable nid de salafistes présumés. L'histoire de Fouad Al Gaz est un autre chaînon de cette affaire qui n'en finit pas de dévoiler ses secrets. Retour sur le parcours d'un homme qui se voit au cœur d'une cellule, accusé de terrorisme.
C'est dans un café populaire que nous mène l'enquête sur les sœurs jumelles. Un café miteux situé en face de la Poste, non loin de petits commerces qui fleurissent en double ou en triple rangée encombrant la rue devenue étroite et où les voitures doivent klaxonner sans arrêt, se faufiler entre les étalages et éviter les passants à longueur de journée. Après avoir rencontré les familles de Hassan Chaouni, dit Abdourrahmane, alias Kichk, et de Mustapha Echatar, nos pas nous guident encore une fois, avec mystère et une certaine crainte, vers les hommes qui ont été arrêtés il y a quelques semaines avec les sœurs jumelles, Imane et Sanae Laghrissi. Nous nous rapprochons sans cesse davantage de ces ombres qui croupissent actuellement dans la prison de Salé.
Toujours à Jbel Raïssi
Il est midi, ce mardi-là, et nous sommes à Hay Al Inbiât, dans le quartier où selon les accusations qui seront confirmées ou infirmées au cours des prochains jours par la Cour d'appel de Rabat, des attentats terroristes visant la capitale du Royaume auraient été préparés par une cellule intégriste comprenant tous ces individus et deux autres hommes, Fouad Al Gaz et Rachid Khaldi, qui vivent non loin les uns des autres. Environ trente autres individus ont été interpellés dans cette affaire louche et certaines personnes recherchées sont encore en fuite. Dans le quartier des sœurs jumelles, Fouad Al Gaz et Rachid Khaldi, les deux derniers hommes du chaînon de Jbel Raïssi, sont connus de tous les bambins et des adultes que nous croisons sur la route. “Oui, allez par là ! C'est juste à côté de l'hôpital”, “Rachid habite à deux-cents mètres de Fouad”, “Fouad est un peu plus âgé que Rachid”, “ce sont des gens sympas qui connaissaient tout le monde dans le quartier” etc.
Un chapelet de petites informations sur les deux personnages énigmatiques s'égrène le long de nos pas. Mais qui sont ces deux derniers hommes, dénoncés par Imane, et quelle est leur vie, leur réalité de tous les jours dans le quartier de leur enfance, dans leur bercail qui les a vus grandir, se marier et y avoir des enfants comme Mustapha et Fouad ?
Quels visages mettre sur ces noms ? Comment approcher leurs demeures pleines de rumeurs où se confondent les affres sociales et les fantasmes les plus refoulés ? Comment concilier notre devoir de transparence professionnelle et l'honnêteté requise en telle circonstance lorsque l'on pénètre chez une mère en pleurs, les yeux rouges de celle qui n'a pas dormi depuis un mois, le corps abattu et le moral au fond du gouffre le plus profond que l'on puisse imaginer dans la chute d'un être ?
Le café est pittoresque dans l'ensemble. Il est le lieu du rendez-vous des badauds du coin, des joueurs de cartes invétérés qui tuent le temps et le soleil de plomb du dehors en alignant des cartes gagnantes… Ils savent que le quartier est sens dessus dessous depuis plus d'un mois, mais la vie continue. Ils ne sont pas dans le coup, ils ont choisi de couper les liens avec le reste du derb, de couler des heures identiques chaque jour, trente jours sur trente, pour ne plus penser... Leur monde a tracé ses propres limites qu'ils ne dépasseront jamais.
Il y a la sortie de chez soi, le visage bouffi, la tête dans le cirage, le cœur plein de joints et des relents de la veille, et il y a le chemin qui mène vers le sanctuaire : le café. Entre les deux, le vide, le black-out, l'oubli. Un simple corps qui se meut et qui n'a pas de conscience. L'éveil se joue devant une tasse de café cassé, une clope au bec et un cri pour se dégourdir et attaquer le jour.
Ce qui est marquant dans ce lieu qui fait oublier que nous sommes à Rabat, c'est qu'en face de sa porte un alignement de vendeurs propose des grillades de sardines que l'on dit succulentes et hors pair dans la région.
On passe la journée à siroter du mauvais café, à fumer de la mauvaise herbe et à manger du bon poisson grillé sur place et sur commande. Et quand on vient à parler des islamistes, des salafistes et du reste, on nous sort de but en blanc, comme Abdelhamid, un gars du coin : “qu'est-ce qu'on en a à foutre de toute cette crasse. Il ne reste plus que ça, les salafistes. Les gens sont devenus fous et il faut les interner. Je vais être clair avec vous : si jamais un malheureux barbu s'approche de moi pour me faire la leçon, il doit savoir que c'est là le dernier discours qu'il sortira de la bouche. Parce que cette vie, c'est la mienne et ce n'est pas à lui de venir me dicter ce qui est bien et ce qui ne l'est pas. C'est parce qu'on les a laissés trop parler qu'on est aujourd'hui dans la merde jusqu'au cou. Il faut être aussi radical qu'eux. La mort à tous ceux qui se substituent à la loi et à la justice dans ce pays et pas de cadeau parce que le jour où les fous seront au pouvoir, ils vont nous zigouiller (nahrouna) tous. De cela je suis certain”.
Les autres semblent d'accord et dans le tas, il y en a un, le visage cramé de soleil, la langue pâteuse, le geste lourd et indécis qui théorise : “le Maroc est devant un choix : la religion ou la modernité. Il faut savoir où l'on veut aller. Pour ma part, j'ai choisi et je sais où je vais”. On se détourne de nous, on reprend la partie là où on l'avait laissée et les choses rentrent dans l'ordre.
C'est là que notre contact pour la famille Al Gaz arrive. Un jeune bien sapé, rasé de près, le visage rayonnant d'un jeune homme de 24 ans qui a passé une très bonne nuit au calme. Il avait la pêche et se sentait investi d'une grande mission : “comptez sur moi, je sais tout ce qui se passe ici. Je vais vous montrer tout ce qu'il faut pour faire un bon article.” Soit.
Avec la famille Al Gaz
Fouad Al Gaz a 30 ans. Un visage dur couvert d'une barbe surdimensionnée avec cette moustache toujours rasée de très près. Les yeux sont ceux d'un homme qui a la tête sur les épaules, un regard franc et une volonté d'acier. Il a deux frères, Mohamed qui était avec nous, 27 ans, un jeune étudiant, très serein et sympathique, toujours souriant avec une naissante larme dans l'œil en souvenir de son frère placé dans la tourmente. Yacine, le plus jeune qui a 25 ans, n'était pas avec nous ce jour-là. Nous sommes une bonne dizaine : le père, la mère, le frère et des gens du quartier, des amis de Fouad qui tenaient à nous raconter qui il était. On parlait tous à la fois, on ne s'écoutait pas, chacun croyant détenir la vérité suprême, celle qui va aider Fouad à s'en sortir.
La mère raconte : “je jure sur les tombeaux des saints de l'Islam que mon fils n'a rien à voir dans cette histoire. Si vous voyiez comment il vivait, combien il travaillait, vous saurez qu'il n'avait pas le temps de se gratter la tête. Fouad avait une échoppe non loin d'ici où il vendait du poisson. Il se levait chaque jour à trois heures de matin pour aller au port et acheter le poisson qu'il essayait de vendre pendant la journée. Il ne finissait jamais avant 22 heures, voire minuit. Il rentrait dans un état de grande fatigue et dormait très vite. Pour tout vous dire, il n'avait même pas le temps de manger… Le soir, il lui arrivait souvent de s'endormir à table, la bouche pleine… Je le réveillais en lui demandant de se retirer pour se reposer”. Lorsque sa mère lui demandait de lâcher du lest, de se reposer un peu durant la semaine, il lui répondait toujours : “c'est le destin qui a choisi pour moi, je dois me plier et résister. J'ai une famille que je dois nourrir. Ce n'est pas en dormant plus que je gagnerai plus. Il n'y a que le travail qui paye”. Le père, très silencieux jusque-là, sort de son mutisme. Il nous annonce que son fils était très studieux, qu'il n'avait jamais redoublé ou raté son année depuis qu'il était au primaire… “c'est un fils sérieux qui a toujours été très proche de nous, docile et très compréhensif. Je ne pourrai jamais croire tout ce que l'on a sorti sur lui. C'est impossible de croire en cette image déformée de mon enfant. Personne d'ailleurs ne peut le connaître mieux que nous”. Fouad a fait des études dont est fière la famille, notamment son père qui explique qu'il était à l'université de Rabat jusqu'à la deuxième année du Deug : “il a fait ses études à l'école primaire Idriss 1er, puis au Lycée Aboubakr Essediq où il a obtenu son baccalauréat. Il a ensuite obtenu son Deug à la faculté des sciences de Rabat, en physique-chimie. Puis il a été obligé d'arrêter, de faire autre chose, de se débrouiller pour subvenir à ses besoins et à ceux des siens.”. Le père Al Gaz est un homme valeureux, proche de sa femme et de ses enfants qu'il affectionne sincèrement. C'est un homme à la peau rude, brun, qui sent le terroir et le dur labeur. Toute une vie destinée à construire un foyer jusqu'à cette année où tout semble s'effondrer et anéantir la famille. Le jour de son arrestation, les policiers sont venus à la maison pour voir ce que Fouad y avait comme biens et autres. Une voisine qui avait assisté à la scène se rappelle : “ils sont arrivés ici et lui avaient dit d'ouvrir la porte. Il leur a répondu qu'il n'avait pas les clefs, ils ont attendu longuement et ils sont partis”. La police reviendra plus tard pour chercher des choses : “ils ne sont jamais revenus chez nous comme ils l'ont fait avec les autres familles pour chercher des cassettes ou des livres … on n'a jamais eu la visite de la police depuis le jour où on l'a arrêté”, insiste la mère éplorée.
Une vie de famille incertaine
Fouad est marié. Il a deux enfants de 5ans et 2 ans. Sa femme est enceinte actuellement et attend un troisième enfant. Il vivait dans une autre maison, à Hay Al Inbiât, depuis son mariage, mais depuis peu il avait été obligé de déménager et de revenir vivre dans la maison des parents. C'était l'époque où il s'était lancé, sans succès, dans une aventure professionnelle qui avait vite tourné court en précipitant sa petite famille dans la précarité. Fouad avait ouvert un établissement scolaire, une crèche dans le quartier, qui n'avait pas marché. “Il voulait voir où le chemin éducatif pouvait le mener, précise son frère, Mohamed.
Il a toujours eu un penchant pour l'enseignement, il a toujours senti qu'il était bon dans ce domaine. Mais bon, la loi du marché est cruelle, et mon frère s'est très vite rendu compte que c'était très dur de tenir le coup. Alors, il a changé de profession au bout de huit mois”. La mère de Fouad est une femme malade qui souffre de plusieurs maux. Elle a de la peine à marcher, ses genoux semblant crouler sous le poids de l'âge (pourtant elle est encore jeune), de la douleur et surtout de ce drame qu'elle ne peut aucunement accepter.
Quand on évoque le nom de Fouad, elle éclate littéralement en sanglots, se met à raconter tout ce qui lui passe par la tête et refuse de se taire malgré l'insistance de son époux et de son autre fils qui voudraient placer une phrase ou deux. “Mon fils avait loué une maison pour vivre avec sa petite famille. Mais très vite, il s'est rendu compte qu'il lui était impossible de payer le loyer, nourrir sa famille, assurer le nécessaire, le médecin, les habits et tout le reste. Il n'avait même plus de quoi manger. C'est moi qui le nourrissait avec sa femme et ses enfants. Il a fallu qu'il laisse derrière lui tout cela pour revenir vivre avec nous ici dans la maison”. Elle pleure un bon coup et le silence s'abat alors dans cette petite pièce nue où il y avait une moto, celle de Fouad qui faisait office de mobilier. Rameutés par Mohamed, le frère de Fouad, des amis du prévenu sont venus se joindre à notre discussion et revenaient pour briser le silence sur l'accident de Fouad. “Il a failli y passer, le pauvre. Il a eu la jambe cassée et les médecins lui avaient dit que c'était un miracle que d'avoir gardé son pied intact. Oui un miracle parce que la blessure était très grave, pourtant, après avoir passé sept mois au lit, il a récupéré et son pied a été sauvé.”. On surenchérit alors sur ce grand miracle qui a sauvé Fouad, cette volonté mystérieuse qui a fait que son pied lui soit resté et que la médecine s'est vu infliger un sérieux revers grâce à la volonté de Dieu. Bref, cet épisode de l'accident aura aussi participé à grossir l'aura de Fouad qui avait donc bénéficié de l'aide de Dieu pour qu'il soit assuré de la bonne étoile.
Les copains et les connaissances du quartier se répétaient ce miracle comme un fait marquant dans la vie de leur ami qui a tout supporté et qui aujourd'hui doit traverser une autre épreuve : “c'est la volonté de Dieu et Fouad s'en sortira comme après cet accident grave parce que c'est un homme qui n'a jamais fait de mal à personne”. Les copains redoublent d'efforts pour louer la grandeur de leur frère qui a su marquer les esprits et les mémoires. “Le médecin lui avait prescrit une année de repos pour éviter des complications. Le jour où il a décidé d'aller travailler, la police l'a arrêté” dit Mohamed.
Douar Al Hajja
A douar Al Hajja, Fouad Al Gaz est très connu. C'est là qu'il avait ses habitudes de vendeur de poisson frit. Les gens parlent d'un type calme, à la marchandise propre, qui faisait crédit et qui ne se disputait pas avec les clients. Oui, le Coran et d'autres hadiths étaient toujours de mise dans l'échoppe, mais sans exagération ni ostentation. On dit de lui qu'il était aussi très regardant sur les clients qui entraient chez lui. Il ne voulait apparemment pas frayer avec n'importe qui. Y avait-il que des barbus ? “Non, jamais de la vie, répond un habitué des lieux qui regrette que le commerce de son ami Fouad soit fermé. Tout le monde venait manger du poisson ici comme dans n'importe quel quartier populaire. Des hommes, des femmes, des filles, des ouvriers, des gamins, tout le monde quoi.”.
Fouad était-il très disert, le genre de type à donner des leçons, à asséner des versets du Coran à tout va? “Pas tout le temps, se souvient un autre habitant du derb. Vous savez, ici il travaillait, il n'avait pas le temps de faire ce genre de choses. Mais il lui est arrivé de me demander de laisser tomber les joints. Un jour, il m'avait offert à manger et m'avait demandé de réfléchir à ma santé. Il m'avait dit que c'était mal de se faire du mal alors que la vie était précieuse. Pourtant, j'ai fini de manger et je suis parti rouler un bon joint.”
C'est à Douar Al Hajja que la police l'a pris. C'était la fin d'après-midi, il faisait encore jour. Les gens se souviennent : “Ils sont venus, il lui ont dit de venir avec eux. Il n'a rien dit, a accepté et nous sommes allés le dire à sa famille qui n'était pas là du reste. On ne savait pas pourquoi. Au début, on avait cru à une affaire de commerce mais quand les gens ont commencé à parler des sœurs jumelles, là on a su que Fouad était dans de sales draps”. Selon les dires des voisins, des connaissances, des propriétaires d'autres magasins au douar, les policiers ne visaient pas Fouad Al Gaz : “ils n'étaient pas à sa recherche. Ils sont passés devant lui, ont remarqué sa grosse barbe, et ils sont revenus pour l'arrêter”. Quand on leur rétorque qu'ils ne pouvaient jamais savoir ce que les policiers avaient en tête ni quels étaient les gens recherchés, ils répondent sereinement que c'était clair que ce n'était pas lui qu'ils voulaient et que c'était là une coïncidence. Comment cela ? Comme ça, comme beaucoup d'autres choses floues et qu'on n'arrive pas à élucider.
Bref, quoi qu'il en soit, les gens restent convaincus qu'il n'était pas visé. Une femme vient alors apporter un peu de sa connaissance du sujet, elle tenait à ce que sa contribution soit notifiée : “je suis venue le voir en lui disant de partir parce que la police avait arrêté des barbus. Il m'a répondu qu'il n'avait rien fait et qu'il n'avait pas à s'enfuir. Je suis partie un peu plus loin et j'ai attendu. C'est là qu'ils sont venus lui parler et ils l'ont embarqué avec eux.” La bonne femme semble regretter de ne pas avoir insisté, de ne pas avoir forcé Fouad à déguerpir, mais elle se résigne finalement en disant que c'était là la volonté de Dieu. Amen. Fouad avait pris un taxi une heure avant son arrestation pour déposer ses deux enfants chez lui avec sa femme et il s'en est allé ouvrir son échoppe. Tout allait normalement. Sa mère lui avait demandé de ne pas travailler encore puisqu'il était toujours mal au point, mais lui en avait ras-le-bol de passer la journée allongé. Il a pris son poisson qu'il a sorti du réfrigérateur chez sa mère et avait décidé de travailler cette nuit pour nourrir le quartier.
La suite aura été très courte. Ni poisson pour dîner, ni clients à recevoir, encore moins une bonne reprise des affaires. Il passera les deux semaines suivantes en interrogatoires. Alors que sa mère pleurait tout ce qu'elle pouvait de voir son cœur partir sans retour probable. Sa journée suivait un rythme habituel, immuable qui lui prenait tout son temps. Réveil avant l'aube. Prière et départ en pleine nuit, escorté par son frère qui craignait que son frangin ne se fasse agresser jusqu'à la station des taxis pour gagner le port de Casablanca où le poisson est meilleur marché. Retour tôt le matin pour préparer le poisson, le mettre au frigo, préparer ses légumes et ses épices avant d'aller dormir quelques heures.
Au réveil, il s'en va dans son échoppe à douar Al Hajja, nettoie, met les tables et les couverts, et commence à préparer la soirée. Le soir venu, il frit le poisson et sert ses clients jusqu'à une heure tardive de la nuit. Le lendemain rebelote . “Dites-moi, quand avait-il le temps de fréquenter qui que se soit, travailler sur tel ou tel projet ? Il n'avait parfois même pas le temps d'aller à la mosquée faire sa prière, lui qui était très exigeant avec lui-même sur ce point-là. Son emploi du temps ne lui permettait rien d'autre que le travail”. Cet avocat improvisé est un fils du derb qui tentait tout pour innocenter son ami et qui devenait sombre quand on lui rappelait que c'est au tribunal que ça se décidait. Le personnage de Fouad reste énigmatique. On ne sait rien de lui, de ses liens apparents, de ce qu'il pensait des gens, de son entourage. Tout ce qui se répète est ce refrain sur un homme tranquille. Il a fallu aller encore une fois à la fameuse mosquée Al Wahda, le berceau des islamistes du coin. C'est là que nous avons trouvé une réponse à notre doute. “Fouad est un ami que je connais depuis des années bien avant son mariage. Est-il un criminel ? Non. Et je le jure devant Dieu ici dans la maison du Tout-Puissant”.
Les amis de la mosquée
Quand on dit à ce fervent croyant que les affaires de justice ne sont pas résolues par les serments mais par des preuves tangibles et crédibles, le bonhomme à la barbe épaisse et hirsute, hoche la tête, esquisse un sourire et nous arrête net : “c'est là l'erreur. Qui faut-il croire ? Un bon Musulman qui craint la foudre de Dieu ou des fillettes qui ne savent même pas qui est leur père? Répondez-moi, messieurs. Qui alors ? Vous savez, c'est cela le drame de cette nation, on croit les menteurs et on fait passer les honnêtes gens pour des criminels. Fouad avait sa vie à gérer et sa famille à nourrir, il le faisait du mieux qu'il pouvait. Ce qui lui arrive aujourd'hui est une simple épreuve qui lui assurera une place devant Dieu le jour du Jugement dernier. Il n'a rien fait de mal, il n'a jamais volé ni tué. Et là, il n'y a pas de preuve et pas de crime commis. On verra ce que Dieu voudra faire”. Il était un habitué de la mosquée, y a connu des “frères très forts”, y avait écouté des prêches très virulents… Il lui arrivait de participer, de prendre la parole ? Oui et non. Certains affirment qu'il était timide, d'autres disent qu'il avait le verbe facile. “Sûr de lui, de ce qu'il sait, de sa force, de son courage, il était toujours prêt à aider ceux qui ne savaient pas et qui avaient besoin qu'on les éclaire sur telle ou telle question relative à la religion”. Fouad s'y connaissait donc, avait son regard et son approche de la religion et n'hésitait pas à le faire partager aux autres. Venait-il souvent à la mosquée Al Wahda ? “Oui, avant il était toujours là. Mais depuis le mariage et l'accident il y a quelques mois, on le voyait peu.”. La question de la relation qui unissait Fouad Al Gaz, homme marié et apparemment rigoriste sur le respect des valeurs de l' Islam, et les sœurs jumelles reste toujours posée autour de nous. Se connaissaient-ils? Se rencontraient-ils ?
Si les prévenus fréquentaient la même mosquée, la seule dans la zone qui dispense des prêches le vendredi, alors il se peut que Fouad ait connu ces deux jumelles qui faisaient la manche de temps à autre, lorsque la situation financière de la mère, Rachida El Bidaouia, était sans retour… Payer le loyer à 300 dh le mois, manger, se laver. C'était là l'essentiel pour la famille Laghrissi qui ne pouvait être assumé certains mois par la mère et ses deux fillettes. Mais au-delà de cette connaissance de fortune, qui ne signifie presque rien dans cette grave affaire, que révèlera le procès et la confrontation des déclarations les jours prochains ? Selon la mère de Fouad, “personne à la maison ne connaissait ces deux sœurs, et ce n'est qu'après l'éclatement du drame et l'arrestation de mon fils que nous avons appris l'existence d'Imane et de Sanae”.
Il a toujours eu un penchant pour l'enseignement, il a toujours senti qu'il était bon dans ce domaine. Mais bon, la loi du marché est cruelle, et mon frère s'est très vite rendu compte que c'était très dur de tenir le coup. Alors, il a changé de profession
au bout de huit mois.
Je suis venue le voir en lui disant de partir parce que la police avait arrêté des barbus. Il m'a répondu qu'il n'avait rien fait et qu'il n'avait pas à s'enfuir. Je suis partie un peu plus loin et j'ai attendu. C'est là qu'ils sont venus lui parler et ils l'ont embarqué avec eux.


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