Etablissements de Formation Le projet du gouvernement de transférer les établissements de formation hôtelière et touristique du ministère du tourisme à l'OFPPT suscite une vive opposition de la quasi-totalité de la profession. Les arguments avancés pour opérer le transfert, rationaliser les dépenses publiques et accroître les effectifs, sont contestés. L'ampleur de cette opération et les problèmes qu'elle soulève risquent de remettre en cause le projet . Le Département de la formation professionnelle du ministère du Tourisme est en ébullition. Depuis l'annonce par Driss Jettou du projet de transfert des établissements de formation hôtelière et touristique du ministère à l'OFPPT (Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail), la mobilisation contre ce projet est générale. La levée des boucliers s'étend à d'autres intervenants dans le secteur, notamment la FNIH (fédération nationale de l'industrie hôtelière) et la FNAV (Fédération nationale des agences de voyage). La convention de transfert doit être signée, en principe, en juillet entre le ministère et l'OFPPT. Elle prévoit la prise en charge par l'Office de l'activité et de la gestion des établissements de formation hôtelière et touristique dès la rentrée 2003-2004, en attendant l'adoption et la promulgation d'une loi prévue pour l'année prochaine. En outre, pour officialiser le transfert, le budget de la formation du ministère sera alloué à l'Office à partir de janvier 2004. Un problème juridique se pose donc, car une simple convention n'a pas force de loi et ne peut donc abroger la loi réglementant les établissements de formation du ministère du tourisme, qui a conféré à ces établissements le statut de services gérés de manière autonome (SEGMA). La précipitation des pouvoirs publics à procéder à cette lourde opération de transfert, sans tenir compte de la réglementation en vigueur, ne manquera pas de déboucher sur un imbroglio juridique qui risque de bloquer le projet. Le problème juridique a d'autres conséquences et d'autres dimensions, en particulier au niveau de la responsabilité financière des sous-ordonnateurs, du maintien du contrôle financier du CED (Contrôle des engagements de dépenses), de l'apurement des arriérés et la finalisation des engagements budgétaires… Là-dessus, se greffe la question du patrimoine foncier. Son transfert doit s'effectuer selon des procédures juridiques claires, compte tenu de l'hétérogénéité des régimes fonciers et que certains terrains sont en cours d'expropriation. Par ailleurs, une partie des terrains appartient initialement à d'autres administrations publiques qui n'ont même pas été consultées à propos du transfert de ces terrains à une autre entité. Raisons du transfert L'idée du transfert est venue de la Fédération nationale du tourisme de la CGEM qui a réussi à convaincre le Premier ministre de la pertinence du projet. Deux raisons principales ont été invoquées pour opérer le transfert. D'une part, cette opération serait animée par le souci de rationaliser les dépenses publiques. On a estimé que puisque l'OFPPT est l'opérateur public national de référence en matière de formation, il n'y a aucune raison pour que des formations sectorielles continuent d'être assurées par les divers départements ministériels. Le transfert serait le meilleur moyen pour optimiser la gestion des ressources humaines et matérielles dans le domaine de la formation, induisant ainsi une charge moins lourde pour les finances publiques. A propos du coût de la formation, il y a lieu de souligner que la taxe professionnelle est versée intégralement par les opérateurs du secteur hôtelier à l'Office alors qu'il assure la formation de 400 étudiants par an seulement contre 2.000 pour le ministère du tourisme. A titre de comparaison, en France par exemple, les établissements hôteliers versent la taxe directement aux instituts (relevant du ministère de l'Education nationale) de leur choix, en fonction des performances et des résultats des lauréats issus de chaque établissement. A cet argument, les détracteurs du projet se demandent, d'une part, pourquoi le département du tourisme est le seul concerné et, d'autre part, estiment que sur le plan de la stratégie globale du secteur touristique, le transfert obéit à une "logique d'opérateur" au lieu d'une "logique secteur". De surcroît, il a été démontré, jusqu'à présent, que la gestion des établissements du ministère du tourisme est rigoureuse et souvent citée en exemple par leurs homologues des plus grandes destinations touristiques internationales, telles que la France et l'Espagne. A quoi il faut ajouter que ces établissements, en tant que Segma, sont soumis au contrôle étroit du ministère des finances, à travers l'IGF et le CED notamment. Aucun gaspillage des deniers publics n'est donc à craindre. Le deuxième argument mis en avant en faveur du transfert concerne l'accroissement des effectifs pour répondre aux besoins du secteur touristique à l'horizon 2010. L'argument est évidemment séduisant. Mais, il faut souligner que le PDI (Programme de développement intégré) de la formation professionnelle hôtelière et touristique du ministère du tourisme, à travers une stratégie élaborée en étroite collaboration avec les opérateurs du secteur, y compris l'OFPPT, a programmé depuis la signature du contrat-programme du tourisme en 2001, la formation et le renforcement de la qualification des ressources humaines et des compétences pour atteindre les 72.000 emplois directs prévus par la stratégie du développement du secteur à l'horizon 2010. D'autre part, le gonflement des effectifs sans encadrement suffisant et en l'absence de structures d'accueil, risque de déboucher sur une formation au rabais avec des lauréats insuffisamment qualifiés qui viendraient gonfler les troupes des diplômés-chômeurs. Et ce d'autant que l'Office envisage de supprimer la formation pratique dans les établissements et que le secteur, malgré un sous-encadrement indéniable, ne sera pas en mesure, en raison de la crise qui l'affecte, d'absorber les effectifs pléthoriques que propose l'Office soit en tant que stagiaires en formation par alternance soit en tant que lauréats à la recherche d'un premier emploi. Inquiétude du personnel Tout semble indiquer que le processus du transfert a obéi à une logique unilatérale, sans concertation préalable avec les principales parties concernées : FNIH, ONMT, Association des lauréats des établissements hôteliers, la Fédération nationale des restaurants, les syndicats, les caisses de retraites…Ce qui ne laisse présager des perspectives favorables ni pour le tourisme, érigé en priorité nationale et dont on veut faire un secteur-clé du développement économique du Maroc, ni pour les salariés du secteur. D'où l'inquiétude de la profession, à commencer par celle du personnel des établissements de formation. Certaines omissions aux conséquences graves ont été constatées dans le projet de convention. Ainsi, le sort réservé au personnel journalier et temporaire des établissements de formation n'est mentionné nulle part. Quant au transfert du personnel titulaire, il a été discuté en l'absence des représentants des organismes officiels qui gèrent les carrières et les retraites de cette catégorie de personnel : ministère de la modernisation des secteurs publics, ministère des finances, ONMT, caisses des retraites et mutuelles…A cela s'ajoute l'hétérogénéité des statuts et des grades du personnel des établissements de formation hôtelière et touristique, dont la majorité n'obéit pas à la typologie des établissements de l'OFPPT et ne peuvent donc être agréés. Dans ces conditions, quel sera leur sort ? Sur un autre registre, les cadres et les étudiants des établissements de formation du ministère du Tourisme sont inquiets pour l'avenir de la coopération internationale. Actuellement, les établissements marocains sont jumelés avec les grandes écoles européennes. De ce fait, chaque année des étudiants marocains bénéficient de bourses, de stages et même d'emplois à l'étranger. A titre d'exemple, depuis trente ans, le Disney Land d'Orlando en Floride embauche chaque année 50 lauréats des établissements marocains. En sens inverse, l'Institut de Tanger, considéré comme le plus performant en Afrique, accueille actuellement des étudiants de 23 nationalités, africaines et arabes notamment. La prise en charge des établissements relevant du ministère du tourisme par l'OFPPT pose en effet la question de savoir si le retour à un système de gestion centralisée, ne risque pas de remettre en cause le système de coopération internationale géré jusqu'à présent de façon décentralisée et souple. A toutes ces inquiétudes s'ajoute celle relative au sort du PDI et des Segma auxquels l'Office va renoncer pour les intégrer respectivement dans le plan qu'il a proposé pour la formation hôtelière et touristique et dans son architecture organisationnelle actuelle. Tels sont donc les arguments des uns et des autres à propos du transfert des établissements de formation hôtelière et touristique du ministère du tourisme à l'OFPPT. Les dernières informations que nous avons pu recueillir font état d'une grève annoncée du personnel des établissements, mais suspendue à la suite d'une intervention de Driss Jettou qui a promis de réexaminer le projet de transfert. Affaire à suivre.