Entretien avec Louis Schweitzer, PDG du groupe Renault Louis Schweitzer, PDG du groupe Renault, vient de présenter au Premier ministre Driss Jettou, le 17 septembre courant, les grandes lignes du projet industriel et commercial que son entreprise compte déployer dans le Royaume. Après l'audience accordée par le Premier ministre, le PDG de Renault a eu un entretien en tête-à-tête avec André Azoulay, conseiller économique de Sa Majesté le Roi, recevant ainsi un témoignage de confiance que le Maroc place en Renault, en tant que constructeur à dimension mondiale. Dans cette interview, Louis Schweitzer revient sur les détails de ce projet ainsi que sur les perspectives de son développement. La Gazette du Maroc : après cette privatisation, vous n'aurez que 46% de la Somaca, comment allez-vous composer avec les autres actionnaires, qui sont vos concurrents ? Louis Schweitzer : pour la privatisation de la Somaca, nous n'avons pas demandé à avoir la majorité absolue. Nous avons 46% et nous sommes de ce fait le principal actionnaire. Il y a deux autres constructeurs qui sont actionnaires (Fiat et Peugeot) et des investisseurs privés marocains. Maintenant, libre à eux de définir s'ils souhaitent rester de façon durable ou pas. Pour notre part, nous ne les pousserons pas dehors. Je peux vous confirmer que cette situation ne nous préoccupe pas et ne bride en aucun cas notre capacité de développement à la Somaca. Par ailleurs, je dois vous rappeler que l'économie d'échelle est au centre de l'efficacité automobile. Nous partageons avec nos concurrents des installations dans la Somaca, comme c'est le cas dans d'autres pays. Ailleurs, nous partageons une usine avec Toyota qui est un redoutable concurrent. Ce partage est considéré, pour l'un comme pour l'autre, comme une source d'efficacité et donc de croissance qui se répercute positivement sur nos clients. Pourquoi un véhicule économique Dacia et pas Renault ? Je crois qu'il s'agit pour chaque marque d'être porteuse d'un message. On le voit avec certains de nos concurrents qui ont, par des grands groupes, plusieurs marques, avec chacune un sens et une image différents. C'est le cas du groupe Volkswagen, DaimlerChrysler, GM, Ford… Et la marque Dacia est porteuse de valeurs propres qui s'articulent autour de la modernité, de la robustesse et de la fiabilité. Cette berline L90 véhiculera le message suivant : vous en avez beaucoup pour votre argent. En d'autres termes, elle répond à la définition que le gouvernement marocain a donné au véhicule économique et familial. Suite à l'échec de la politique de Fiat Auto avec sa "world car", comment Renault va-t-il appréhender l'internationalisation de Dacia ? En quoi votre expérience sera-t-elle différente de celle de Fiat ? Pour construire la L90, nous sommes partis d'une feuille blanche. Nous n'avons pas essayé de faire de compromis. Et nous y avons mis tout le savoir-faire technologique et l'expertise de Renault. Ma conviction est que concevoir une voiture de ce type est un défi technique au moins aussi grand que de réaliser un véhicule de haut de gamme. Je peux affirmer avec beaucoup de conviction que nous avons un produit sans équivalent et sans concurrent et je ne pense pas que ce soit le fait du hasard que la demande s'exprime dans beaucoup de lieux. Vous avez déclaré dans un précédent entretien que le véhicule Dacia à 5.000 euros sera peut-être dérivé d'une Renault. Non. Ce véhicule fait appel à certains composants de la banque d'organes Renault, comme le moteur. Ce n'est pas un dérivé d'une voiture Renault dans le sens Clio Classic avec Clio Bicorps. Je dirais même que c'est un véhicule qui aura des dérivés plus tard. Allez-vous abandonner la production de la Clio Classic à l'horizon 2005, vu que son rôle est de motoriser les pays dits émergents ? Je pense que la Clio Classic poursuivra sa vie, car sa taille n'est pas la même que la Dacia L90. Les deux véhicules cohabiteront sans problème sur nos marchés cibles. Serait-il envisageable de passer à terme au montage d'autres véhicules à la Somaca, notamment de la gamme Renault ? L'industrie automobile est une industrie de volume. Autrement dit, pour avoir des coûts faibles, il faut fabriquer en grande quantité. Si nous voulons fabriquer au Maroc toute la gamme de Renault, nous nous affaiblirons, parce que sur beaucoup de ces véhicules, nous n'aurions pas les volumes qui nous permettraient d'être compétitifs. Nous avons maintenant au Maroc une double casquette. Nous sommes fabricant et importateur de la gamme Renault. Mais si la croissance se confirme, rien ne nous empêchera d'élargir notre champ d'action à d'autres modèles. Je crois qu'il faut construire la réussite. Nous avons les éléments pour le faire et nous y travaillons. Face à des volumes relativement limités, peut-on imaginer un accompagnement poussé des équipementiers marocains à l'export, notamment vers d'autres sites où la L90 sera produite ? Au Maroc, il y a une industrie équipementière qui est un fournisseur important de Renault. La Somaca, comme d'autres sites Renault, fera appel au tissu équipementier roumain. Il y a en second lieu un objectif d'intégration locale que nous tiendrons. Maintenant,est-ce qu'il y aura, dans ce projet, des équipementiers marocains dédiés à Dacia, qui se développeront et qui livreront d'autres usines autres que la Somaca ? C'est une question d'autant plus ouverte qu'il n'y a pas qu'un site de fabrication Dacia dans le monde. Ce qui portera à décider sur cette question, c'est le rapport coûts/qualité/avantages. Est-ce que le gouvernement vous a donné des garanties quant à la conclusion d'accords bilatéraux entre le Maroc et d'autres pays d'Afrique en vue de trouver des débouchés à votre production ? Le gouvernement marocain, qui a fait preuve vis-à-vis de Renault d'ouverture et de volonté de réussite, ne peut pas donner de garanties sur ce que feront d'autres gouvernements. Le Premier ministre marocain nous a indiqué qu'il souhaitait vivement et activement que se développent des accords commerciaux qui donnent à l'industrie marocaine et à la Somaca des perspectives de croissance. C'est une volonté et ça ne peut pas être, en termes internationaux, une garantie. Dacia L90 : un projet industriel prometteur Après la Roumanie et la Russie, c'est au Maroc que sera fabriquée la nouvelle voiture économique Dacia (nom de code L90). La production de pré-série commencera au mois de décembre prochain dans l'usine de Dacia en Roumanie. Quant à la commercialisation de ce modèle tricorps, qui mesurera 4,25 m de long, elle devrait intervenir au second semestre de 2004 en Europe de l'Est. Des déclinaisons break et pick-up pourraient voir le jour plus tard. Dans une interview parue au Figaro, Georges Douin, directeur général adjoint de Renault chargé du plan produit et des opérations internationales, a affirmé que la voiture économique de Renault disposera de deux moteurs à essence (de 1,4 l et 1,6 l) et d'un organe diesel (1,5 litre). A terme, sa production globale devrait atteindre 250.000 unités par an, voire un demi-million avec l'Iran, ajoute-t-il. Des discussions sont en cours entre Renault et un opérateur national iranien du nom de Idro, en vue de fabriquer cette voiture. En acquérant les 38% que possède l'Etat dans la Somaca, Renault deviendra ainsi le principal actionnaire dans la chaîne de montage. Le constructeur français y envisage, dès le deuxième semestre 2005, une production de 30.000 véhicules par an, dont une partie sera destinée à l'exportation. Le prix de vente de cette voiture familiale sera aux alentours de 70.000 DH. Ce projet, représentant un investissement de 22 millions d'euros hors coût d'acquisition de la Somaca, vise à faire du site marocain un pôle de développement de la marque Renault au Maghreb, en Afrique et au Moyen-Orient. D'ici fin 2003, Renault envisage le déploiement pour son projet d'un plan de progrès global à la Somaca. Il portera sur l'optimisation de l'outil industriel et des processus, la mise en place du système de production Renault (SPR), la maîtrise des coûts de production et le renforcement des compétences humaines. Renault apportera également son expertise à la Somaca dans la mise en place de normes de qualité au niveau européen. Par ailleurs, le constructeur français soutiendra la mise à niveau en termes de qualité, coûts et délais du tissu d'équipementiers marocains. Renault contribuera ainsi à l'amélioration de sa compétitivité et au renforcement de son potentiel d'exportation.