Sans-papiers Etre un sans-papiers n'exclut pas le droit à une vie digne. Les sans-papiers ont, contrairement à ce que l'on croit communément, des droits “de base”, des droits fondamentaux. “Ils ne sont pas admis sur le territoire français. Mais, on doit leur garantir un minimum de droits à respecter”, nous certifie Jean-François Martini, membre actif du GISTI (Groupe d'information et de soutien aux travailleurs immigrés). Mais comment ? Etant en séjour irrégulier, on ne peut s'aventurer au guichet d'une administration ? Comment exiger des droits alors qu'on est dans une situation de non-droit ? La réponse n'est ni simple, ni certaine. Mais une note pratique publiée par le GISTI permet de faire le point sur les droits des sans-papiers. En matière de santé, ils ont accès à l'AME (Aide médicale d'Etat), cette prestation d'aide sociale est accessible à tout étranger résidant en France (vivant en France, sans mentionner la régularité du séjour). D'autres prestations médicales respectent l'anonymat du bénéficiaire. A nommer les centres de prévention et de dépistage gratuits. Ces dispositifs de santé publique délivrent des soins curatifs. En outre, l'accès à l'IVG (interruption volontaire de grossesse) n'est plus subordonné à aucune condition de séjour et de résidence d'après les termes de l'ordonnance du 15 juin 2000, confirmée par la loi du 4 juillet 2001. Désormais, l'IVG est accessible à toutes les femmes quelle que soit leur situation. Toutefois, il faut se renseigner auprès des hôpitaux publics. Un autre droit fondamental est protégé par le Code civil, celui du mariage. En effet, aucune condition de régularité de séjour ne peut être exigée des futurs époux. Toute restriction au droit de se marier est interdite (articles 12 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales). Idem pour le pacte civil de solidarité (Pacs). Il peut être conclu entre deux personnes de sexe différent ou du même sexe ( loi du 15 novembre 1999). Par ailleurs, les droits de l'enfant restent les plus respectés. Les engagements internationaux ratifiés par la France et le Préambule de la constitution garantissant à l'enfant l'enseignement primaire obligatoire et gratuit, le droit à l'éducation et l'égalité d'accès à l'instruction, à la formation professionnelle. Pour ce faire, une aide sociale à l'enfance est destinée aux parents dans des situations de grande détresse. Cette aide n'est subordonnée ni à la régularité de séjour, ni même à une durée minimale de résidence en France. “La seule garantie de succès est probablement l'action collective”, nous assure J.F Martini. Les différentes associations oeuvrant dans ce domaine assurent le respect des droits. “Renoncer à son droit, c'est entretenir le cycle de l'injustice. Rester isolé, c'est toujours accentuer le risque individuel ”. Opération East Sea, L'immigration clandestine à grande échelle La nuit du 17 février 2001. Un vieux vraquier s'échoue sur la plage de Bouliris au sud de la France. Dans les cales de ce bateau rouillé “East Sea” plus de 900 réfugiés Kurdes dont 300 enfants de moins de 10 ans et de nombreuses personnes à mobilité réduite. Durant les huit jours de la traversée, trois bébés sont nés à bord dans des conditions plus que catastrophiques. L'alerte générale est donnée. La France découvre le débarquement massif d'immigrés clandestins. Elle n'est plus à l'abri. L'East Sea annoncerait-il de nouveaux débarquements ? Le phénomène connu jusqu'alors des côtes italiennes et grecques menace le territoire gaulois. Les 908 Kurdes demandent l'asile politique. De confession Yazidi*, ils sont a priori persécutés par un Saddam Hussein tortionnaire. Ils auraient quitté Mossoul. Installés dans une zone d'attente aménagée pour la circonstance à Fréjus, ils jouissent rapidement de la sympathie des Français. Lors d'un sondage réalisé par le quotidien “Le Parisien-Aujourd'hui”, 78% des Français sont favorables à un droit d'asile. Munis d'un sauf conduit de 8 jours, les deux-tiers des exilés kurdes filent à l'anglaise. Destination l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les autres pays de l'Europe. Tout est calculé. Pour eux, la France n'est qu'un transit. Les associations et ONG sont dépassées. Néanmoins, elles entament les démarches nécessaires pour régulariser leur situation. Deux mois après l'échouage de l'East Sea, un scoop du journal “La Croix” chamboule les anciennes données. Les Kurdes sont d'origine syrienne. Par peur d'être reconduits aux frontières, ils prétendaient être des Irakiens. Installés aux frontières turco-syriennes, ils seraient des persécutés du régime de Bachar Al Assad et non de celui de Saddam Hussein. Néanmoins, ils restent des victimes de discriminations. L'épopée de l'East Sea se serait terminée en beauté. Les Kurdes ont trouvé refuge dans les pays de l'Union européenne, moyennant 2.000 E (20.000 DH) par personne le passage. 100% de ceux qui ont demandé l'asile en France se sont vu accorder le statut. Un taux exceptionnel quand on sait que seuls 17% des demandeurs ont obtenu le statut de réfugié en 2001. L'opération “East Sea” aurait rapporté aux organisateurs 18 millions de francs, moins le prix du vraquier (12 millions de francs), soit 6 millions de francs au final (9 millions de dirhams). Saint Bernard, L'église des causes perdues Paris, le 22 août 1996, la gendarmerie française force à coups de hache la porte de l'église Saint Bernard. Objectif : expulser les sans-papiers qui ont investi l'église. En passant, elle n'a pas épargné les militants et manifestants qui avaient cerné l'église. Ce coup de théâtre inattendu, lancé par le préfet de police devint rapidement l'emblème de la cause des sans-papiers. Bien que la France reste avant tout un Etat laïc, mais en violant l'enceinte de l'église “sacrée”, la gendarmerie suscita la polémique et la colère des Français. Les associations accuseront cette action jugée “illégale” puisque les propriétaires des lieux n'ont pas demandé l'intervention des agents de sécurité. Incapable de répondre politiquement aux sans-papiers de Saint Bernard, le gouvernement refusait de les régulariser. En employant les “grands moyens”, la Cause des sans-papiers prend forme. Elle s'organise. Des manifestations de soutien aux sans-papiers ponctuent le mois d'août de chaque année. Un cortège de scandales rappelle l'hostilité de l'Europe aux populations des pays pauvres contraintes à l'exil. Qu'il s'agisse de tentatives périlleuses d'accès à l'Europe, ou de conditions inhumaines faites aux étrangers dans les centres de rétention ou dans les prisons, ils sont emprisonnés pour le délit d'être des sans-papiers. Le 23 août prochain sera une occasion pour les sans-papiers de clamer le temps d'une journée leurs droit à une vie digne. Certes, la lutte s'essouffle, la nouvelle loi proposée par Sarkozy fait taire les voix, mais les sans-papiers existeront toujours. Ils constituent une belle part de l'économie souterraine française ! Le délit de solidarité. Le fait pour un étranger, d'entrer et/ou de séjourner irrégulièrement (sans titre de séjour) en France est à ce jour considéré comme un délit. Les sanctions pénales prévues par la loi pour réprimer cette infraction sont extrêmement lourdes. L'article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit des peines d'un an de prison et l'équivalent de 37.000 DH d'amende. En outre, une interdiction du territoire français pour une durée de trois ans peut être prononcée à titre principal ou complémentaire. L'aide apportée à un sans-papiers est également un délit. L'article 21 de l'ordonnance prévoit des peines allant jusqu'à cinq ans de prison ferme et une amende d'environ 300.000 DH, sauf pour les membres de la famille proche (conjoint, concubin, parents, enfants…) Il convient de rappeler que les personnels des services sanitaires, sociaux, et d'aide sociale sont tenus au secret professionnel. Le risque d'une dénonciation par une administration est donc réel. Par ailleurs, un manifeste des délinquants de la solidarité a été lancé par le GISTI (Groupe d'information et de soutien aux travailleurs immigrés). Il dénonce l'article 17 du projet de loi de Sarkozy qui prévoit la confiscation pour les personnes physiques de tous leurs biens, meubles ou immeubles. L'article 18 de la même loi réserve le même sort aux personnes morales, par exemple les associations et les syndicats. Aussi, le manifeste se veut percutant : «si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi (e) pour ce délit».