Au lendemain de la révolution iranienne en 1979, et la montée de l'Islamisme au Maroc notamment l'Association d'Abdeslam Yassine, le pouvoir a commencé à mener une politique de rééquilibrage religieux pour mieux endiguer le courant islamiste. Quels sont les outils et les champs d'application de cette politique ? Les outils Les autorités ont mis en place deux outils pour contrer le courant islamiste qui a débouché sur le renforcement de la présence wahhabite au Maroc. Le premier outil a consisté en la création dans de nombreuses facultés des lettres au Maroc de filières d'études islamiques à la place des philosophiques. Mais, si au début certains y ont vu une tentative d'isolement de la pensée moderniste et critique, il s'avéra plus tard que lesdites filières avaient pour but de contrecarrer les idées des courants islamistes en recourant à d'autres idées susceptibles de servir l'Islam officiel. Ainsi, les directives adressées aux doyens des facultés énonçaient explicitement la priorité de recrutement d'enseignants, lauréats d'universités et instituts saoudiens. Par conséquent, les filières des études islamiques sont devenues des courroies de transmission de la pensée wahhabite. Ainsi et tout au long des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, l'université marocaine a vécu au rythme des conflits qui survenaient d'une part entre les étudiants islamistes et les professeurs wahhabites et d'autre part entre ces derniers et les autres enseignants qui ne partageaient pas leur vision. Le deuxième outil consistait à l'instauration d'une alliance entre le pouvoir et les oulémas dans une tentative d'ôter toute légitimité aux courants islamistes. Cette mission a été dévolue à l'ancien ministre des Habous et des affaires islamiques Abdelkébir Alaoui M'daghri. Or et malgré l'attachement de ce ministre au rite Malékite, il avait néanmoins scellé une alliance avec les Wahhabites. Orientation qui s'est faite pour deux raisons : Primo : les Wahhabites ont une grande capacité pour confronter le soufisme d'Al Adl Wal Ihsane. Secundo : le pouvoir devait s'orienter vers un endiguement des idées de la révolution islamique iranienne, d'autant plus que pendant les événements de1984 survenus en marge de la tenue du sommet islamique de Casablanca, plusieurs personnes interpellées portaient des tracts faisant l'éloge d'Ayat Allah Khomeïny. Donc, en utilisant ces deux outils, le pouvoir tablait beaucoup sur une assistance financière saoudienne. Or, cette assistance ne pouvait nullement intervenir sans contrepartie. Et logiquement, le Maroc s'est trouvé littéralement envahi par le Wahhabisme à travers l'acheminement de grandes quantités d'ouvrages et de publications salafistes que les commanditaires réimprimaient localement considérant cette œuvre comme une obligation religieuse. A cet effet, plusieurs associations salafistes ont vu le jour chapeautées, comme cité précédemment par l'association d'El Maghraoui, par "l'association d'Addâwa Lil Kourân Wa Assounna". Les champs d'application Les ouvrages de tous les salafistes wahhabites ont pour objectif de déclarer la guerre à l'association Al Adl Wal Ihsane et d'excommunier Abdeslam Yassine. Ces attaques se situent à deux niveaux : sa tendance soufie et ses appels à la désobéissance au pouvoir. Mohamed El Maghraoui : l'illégitimité "D'al Minhaj Annabaoui" Pour combattre Al Adl Wal Ihsane, Mohamed El Maghraoui a décidé de publier toute une série d'études intitulées "Al Ihsane Fi Ittibaâ Assounna Wal Kourân La Fi Taqlid Akhtâa Arrijal". Dans ses écrits, l'auteur démontre la nécessité de suivre la voie de Dieu et de son prophète. Néanmoins, il a consacré cinq chapitres à la critique des idées d'Abdeslam Yassine. Dans le premier chapitre, il s'attaque à l'ouvrage "Al Islam Aw Attoufan" (L'Islam ou le déluge) qui fut un message adressé par Yassine à Feu Hassan II. Le deuxième à traité l'ouvrage "Al Ihsane Wa Arrijal" (La bienfaisance et les hommes) qui est une compilation des idées énocées dans les ouvrages "Al Islam Ghadan" et "Al Islam Bayn Addaâwa wa Addawla" ( L'Islam entre la prédication et l'Etat). Le troisième s'est penché sur son ouvrage “Nadharat Fil Fiqh wa Attarikh”. Le quatrième s'attaque aux sources de connaissances d'Abdeslam Yassine identifiées à six niveaux: Al Hallaj et son importance pour lui ( Yassine) et les raisons de son assassinat pour apostasie, l'attachement aux interdits en dépit des dangers qu'ils représentent pour la Oumma - Ibn Arabi Al Hatimi et les véritables raisons de son excommunication par les Oulémas de l'Islam. Ses anecdotes et ses pêchés - Tijani et ses déviations théologiques. Le cinquième chapitre est entièrement consacré aux pêchés commis par Al Adl Wal Ihsane, notamment les implorations chantées, les pièces de théâtre, les chants et le battement des bendirs. Tous ces actes ressemblent à ceux des mécréants. Cependant, y a-t-il des raisons objectives ayant poussé El Maghraoui à mener sa guerre contre Abdeslam Yassine et son association? Selon lui, il existe cinq bonnes raisons : • L'obligation pour les Musulmans d'appeler à la juste voie. • Les ouvrages d'Abdeslam Yassine ont agressé les Salafistes. • L'ouvrage de Mounir Regragui intitulé ‡ "Excommunication des Musulmans - réalité et alternative" qui a profondément agressé les Salafistes. • "La cassette Vidéo N° 17 dénonçant le terrorisme de la Daâwa et qui accuse les Salafistes de dix maux infondés. "Les campagnes menées tant à l'intérieur qu'à l'extérieur dénonçant les actions des salafistes et les dénigrant. El Maghraoui répond point par point à toutes les accusations portées contre les Salafistes. Il dit à propos de l'accusation de lâcheté, que tout observateur ne peut que confirmer, que les Salafistes sont les vrais braves qui ont mené les conquêtes contre les despotes et les usurpateurs. A propos de l'accusation d'ignorance, il dit que ce sont les Salafistes qui ont dénoncé les ignorants, menteurs, débauchés et autres escrocs non Salafistes. Quant à leurs penchants excommunicateurs, il affirme que les Salafistes sont les mieux placés, de par leur connaissance du Coran et de la Sounna, afin d'éviter ce genre de dérapage. Il ajoute également que le système d'Ahl Assounna Wal Jamaâ interdit d'excommunier Ahl Al Qibla ( les Musulmans) et que chaque personne de par ses qualités et ses défauts, est soumise à la volonté de Dieu. Concernant les accusations portées contre les Salafistes au sujet des allégations d'Abdeslam Yassine, selon lesquelles si les Salafistes entendent le Dhikr du prophète, ils considèrent que cette action est un Chirk ( négation de l'unicité de Dieu) El Maghraoui répond : "les Salafistes, par la grâce de Dieu, sont les plus animés parmi les gens de l'esprit qui honorent le prophète. D'ailleurs, toute leur action ne s'inscrit que dans le cadre de la fidélité à l'obéissance de Dieu et à son prophète. Ceci est publié dans tous les ouvrages des Salafistes, qu'ils soient anciens ou contemporains". Pour ce qui est de l'accusation selon laquelle les Salafistes dénaturent les préceptes du prophète, El Maghraoui rétorque : "les Salafistes ont ressuscité bon nombre de traditions ( Sunna)". Et concernant l'accusation de renégat, El Maghraoui sort sa grande artillerie: "la défense de la Salafiya ne peut être juste que si elle déclenche la guerre contre le Soufisme. Cette guerre est une obligation pour tout Musulman et toute Musulmane et doit se faire par le Jihad. Toute abstention à ce sujet équivaut à la renonciation devant les intrus. Depuis quand le Soufisme faisait partie de l'Islam? Ce n'est qu'un enfant abandonné manipulé par un groupe d'étrangers qui a accouché de plusieurs enfants abandonnés, en tout temps et en tout lieu. Puisse Dieu bénir le bon Salaf ( ancienne génération) qui s'est opposé à cette vieille et moche créature égarée en tout lieu et en tout temps". Cette évaluation permet donc à El Maghraoui de passer à une autre étape dans sa confrontation avec Al Adl Wal Ihsane. Autrement dit, il passe du général au particulier en mettant dans son collimateur Abdeslam Yassine. En effet, El Maghraoui va essayer de démontrer que le symbole d'Al Adl Wal Ihsane est un renégat en énumérant un certain nombre de réflexions/ principes. Il dénonce à ce propos la tendance de Yassine de sacraliser l'Ego, de n'accorder aucune valeur au Coran et à la Sunna, d'affirmer que quelqu'un autre que Dieu peut connaître Al Ghaïb ( ce qui n'est pas perceptible), de comparer les prières édictées par Dieu à des jeux et danses effectués pendant le Dhikr, de s'engager sur des promesses contraires à la religion, de considérer comme connaissance et érudition le fait d'être habité par les esprits, de considérer le fait d'être habité par les esprits comme une révélation, de faire l'éloge de ce que Dieu a proscrit et enfin de louer les coupables de tous les pêchés. El Maghraoui arrive à la conclusion selon laquelle la pensée théologique d'Abdeslam Yassine n'a rien à voir avec l'Islam, puisque c'est une méthodologie soufie contraire à celle du prophète ( Al Minhaj Annabaoui). Par conséquent, El Maghraoui rejette Yassine et son association qui ne peuvent appartenir, selon lui, à l'Islam. Cependant, il est légitime de s'interroger si El Maghraoui les rejette de l'Islam ou du Salafisme. En tout cas, cette ambiguïté sert les intérêts des Salafistes qui combattent les Islamistes à la place des autorités. Abou Abderrahmane Ali Ben Salah Al Gharbi : l'illégitimité de la désobéissance Si El Maghraoui a axé son combat sur Abdeslam Yassine et Al Adl Wal Ihsane sur le volet du culte, Ben Salah Al Gharbi qui est un disciple de Takyeddine El Hilali, y a ajouté le volet politique se rapportant à l'illégitimité de la désobéissance. En effet, dans son ouvrage "Irchad Al Haïrine Wa Tanbih Al Ghafiline Lijtinab Dalalath wa jahalath wa Baghyi Abdeslam Yassine" (orienter les indécis, prévenir les naïfs pour éviter les égarements, les ignorances et l'effronterie d'Abdeslam Yassine), Ben Salah Al Gharbi dit : "de même que les Salafistes ne le portent pas dans leur cœur, ils sont également innocents quant à ces appels pour la désobéissance adressés à une horde d'ignorants qui lui sont fidèles. C'est ainsi qu'il a versé avec eux dans les pêchés et les a transformés en outils de rébellion contre le pouvoir". Pour lui, Abdeslam Yassine se permet de concurrencer le gouvernant afin d'accéder au pouvoir au nom de la Khilafa et selon Al Minhaj Annabaoui. Ainsi, Ben Salah Al Gharbi accuse Yassine d'avoir "ouvert la voie à la Fitna (rébellion- insurrection - désordre) en appelant à la désobéissance tout en s'appuyant sur des visions, hallucinations et fausses inspirations, induisant en erreur des fidèles naïfs ne sachant rien de ses véritables intentions et qui se sont transformés en soldats de Yassine". Al Gharbi essaie de justifier ses positions à l'égard de la thèse de la Qaouma ( révolution de masse) développée dans l'ouvrage de Yassine “Al Minhaj Annabaoui”. Il s'interroge si ce Minhaj permet de concurrencer les politiciens pour arriver selon des procédés peu orthodoxes à accéder au pouvoir. "Est-ce un Minhaj que de pousser des jeunes désœuvrés et des Musulmans innocents à manifester dans les rues et à s'exposer aux balles des mitraillettes et des blindés? Est-ce un Minhaj que de dénaturer les textes pour atteindre des objectifs politiques ? C'est cela le Minhaj d'Abdeslam Yassine basé sur la ruse, la haine et la tromperie à l'égard des Musulmans de ce pays stable". Al Gharbi insiste sur le fait que personne parmi les érudits qui connaissent bien les textes, ne peut déceler ne serait-ce qu'un précepte appelant à la désobéissance. Ainsi, le Wahhabisme qui a mené une grande bataille contre l'Islamisme a finalement accouché de son contraire à savoir la Salafiya Jihadiya dont l'un des principes fondamentaux est la désobéissance politique.