Suite à la libéralisation approximative Il ne faut pas s'étonner de voir la qualité de la farine ménagère vendue sur le marché se détériorer. Il ne faut pas non plus se poser de questions en voyant les boulangers revenir à la charge en demandant une hausse du prix du pain. A en croire les professionnels du secteur de la minoterie, toutes les conditions semblent désormais réunies pour que la stabilité des prix de la farine et des produits à base de blé soit rompue et que le consommateur retrouve sur sa table un pain de piètre qualité. "Avec le système actuel, le quintal de blé importé revient au bas mot à 325 DH", explique un professionnel. C'est avec beaucoup d'inquiétude que ce minotier de Casablanca constate ce qui risque d'être à l'origine d'une situation on ne peut plus désastreuse. Le prix plafond de la farine résultant des accords de modération avec l'administration ne peut pas résister aux droits de douane excessifs. Le contexte international est marqué par la sécheresse dans la plupart des pays minotiers de blé qu'ils soient européens ou nord américains. C'est pourquoi les producteurs marocains sont en train de passer de biens mauvais moments, alors que le gouvernement tarde à prendre les mesures qui s'imposent. L'ancien système basé sur un système dégressif avec prix-cible permettait au moins d'avoir un prix cible variant entre 250 et 280 DH le quintal de blé à l'import. C'est d'ailleurs sur la base de cette moyenne de prix que les accords de modération entre minotiers et autorités publiques convenaient d'un prix plafond de 363 DH le quintal de farine de luxe et ce, depuis 1989. Avec le nouveau système basé sur des droits de douane ad valorem, les minotiers affirment ne plus avoir de contrôle sur un coût d'approvisionnement qui subit un taux de 135%. Le marché international du blé est en effet marqué par la sécheresse dans l'ensemble des pays producteurs. Suite logique de ces faibles récoltes, les cours ont flambé. Entre les 12 et 29 août, d'après la cotation du syndicat des courtiers de Rouen, le cours de la tonne de certaines variétés est passé de 126 à 134 euros soit une hausse de 6% en moins de trois semaines. A cela s'ajoutent le fret et les droits de douane de 135% avant de la mettre entre les mains des minotiers marocains. C'est dire que, pour l'heure, il est impossible de s'approvisionner sur le marché international, explique le responsable d'une grande minoterie de la place. Approvisionnement impossible L'unique recours serait donc le blé national. Malheureusement, ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît. Aujourd'hui, l'ensemble des producteurs ont déjà cédé leur récolte à des sociétés disposant de silos de stockage. Ces dernières ont préféré l'offrir à l'ONICL pour profiter d'une prime de magasinage de la part de l'autorité de régulation du marché. Cette prime a été fixée à 4 DH par quintal et par mois. Les minotiers désirant s'approvisionner en blé tendre national doivent formuler une demande d'affectation auprès de l'ONICL qui est le seul habilité à délivrer des autorisations de levage. Ce n'est qu'une fois l'autorisation de levage obtenue que les minotiers pourront acquérir le blé qui est sous ordre de livraison dans les silos au profit de l'ONICL. Lequel achat s'effectue au prix de 258,8 DH le quintal, fixé par la même circulaire du 29 août. Il est clair qu'en ne possédant plus de blé dans leurs magasins, les sociétés de stockage perdent l'avantage non négligeable de la prime. Alors, elles n'hésitent pas à évoquer des problèmes de logistiques pour ne jamais livrer la quantité qui leur est demandée. Résultat : "certaines minoteries fonctionnent aujourd'hui à moins de 50% de leur capacité engendrant ainsi une inflation du prix de la farine et des produits dérivés". Pour le moment, seule l'importation progressive du déficit de blé tendre permettra aux sociétés de stockage de profiter encore de cette prime. On serait tenté de croire que l'ONICL mu par des objectifs de compression des coûts, ne soit pas favorable à une baisse des droits de douane de sorte que les silos se vident assez rapidement. Car une fois les silos vides, l'Office n'aura plus à s'acquitter de la prime de stockage. En tous cas, vu la situation actuelle, tout est possible sur le marché. A chaque fois que le secteur agricole souffre de la sécheresse, l'économie nationale en pâtit. Mais il semble aussi que la bonne saison agricole puisse être à l'origine de problèmes tout aussi graves. Cette année, toutes céréales confondues, la récolte culmine autour de 80 millions de quintaux. Alors que le blé tendre compte environs 37 millions de quintaux récoltés. Ceci doit sans doute réjouir non seulement les agriculteurs, mais aussi tous les autres secteurs dont le blé est la matière première. Cependant, certains professionnels ne cachent leur scepticisme devant un tel optimisme. L'Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses semble avoir déjà réussi le pari d'assurer aux nobles producteurs de blé leur revenu. Atteindre cet objectif a été possible grâce à la mise en place des droits de douane suffisamment élevés pour limiter l'importation de blé. Car contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'importation de céréales n'est pas interdite par les textes réglementaires, la protection passant juste par l'instauration de droits de douane ad valorem de 135%. Cependant, pour principalement deux raisons, cette protection ne doit pas se faire à n'importe quel prix. La première de ces raisons est que même dans les années de bons crus comme c'est le cas de la campagne 2002-2003, le Maroc a toujours besoin de combler un gap existant entre les besoins d'un marché tournant autour de 50 millions de quintaux de blé et d'une récolte de 35 millions de quintaux. Pour cette année par exemple, on estime entre 15 à 20 millions de quintaux les besoins qui ne peuvent être satisfaits que grâce à l'importation. Une farine de piètre qualité Par ailleurs, la production de farine n'est pas simplement une question de coût. Car les minotiers ont fortement investi dans le marketing en se différenciant notamment par la qualité. La plupart d'entre eux ne se contentent plus seulement des normes imposées par les autorités au secteur agroalimentaire. On ne compte plus les entreprises du secteur qui travaillent sous des normes ISO afin d'offrir des marques crédibles auprès de clientèle de boulangers et d'industriels de la pâtisserie de plus en plus exigeantes. Or, renchérit un autre professionnel, le blé local renferme de 7 à 8% de déchets, ce qui le rend d'autant moins compétitif. C'est pourquoi la deuxième raison est liée à la qualité du blé marocain qui est loin d'être conforme aux exigences de la boulangerie, de la pâtisserie ou de certaines utilisations ménagères. En effet, s'il est plus riche en protéines que le blé importé, le blé local présente une mauvaise élasticité, rendant son pétrissage presque impossible pour les boulangers. Par ailleurs, le caractère hétérogène des lots ne facilite pas la production d'une farine conforme aux normes de qualité. Devant la gravité de la situation, certains professionnels n'excluent pas la possibilité de commercialiser leurs produits sous des marques anonymes. Ils ont peur que la mauvaise qualité, fruit d'une situation de fait, ne nuise à leur image. C'est pour ces deux principales raisons qu'il n'est ni judicieux d'imposer des droits de douane excessifs, ni opportun d'attendre que le blé national soit entièrement écoulé pour baisser les droits de douane. La solution est simplement au bout d'un décret qui fera baisser les droits de douane. Sinon, il faudra attendre les récoltes du pôle sud avant que la tendance ne s'inverse. D'ici là, la tension ne fera qu'augmenter. Les boulangers qui subissent déjà une répercussion de 15 DH sur le quintal de farine pourraient, à juste titre, demander à nouveau que le prix du pain soit revu à la hausse.