Deux cents jours déjà, ou sept mois à peine -c'est selon- que ce gouvernement est en place. On n'a pas attendu jusque-là. Deux ou trois semaines après son arrivée, moins d'un mois dans tous les cas, on a commencé à dire que des ministres ne seraient pas à leur place. Que des profils étaient dépareillés, qu'il y aurait eu des erreurs de casting. Les mots ne sont pas innocents, et celui-ci encore plus, qui évoque la constitution du gouvernement en termes de fiction, une mise en scène au mieux digne d'un plan de série B. Si ce n'est un Vaudeville, l'humour en moins. Ce cabinet comme ceux qui l'ont précédé et ceux qui le suivront, subit son lot de rumeurs qui ne sont, en définitive, que l'expression de l'humeur du moment ; celle de la rue, d'un centre d'intérêt, d'un clan au sein des différentes composantes du pouvoir ... Driss Jettou, arrivé sur un tapis volant à la primature, avec l'auréole de l'ange gardien, n'aurait plus d'ailes et déjà l'autre Driss, le Driss, le seul, l'unique, l'inégalable, l'inénarrable, Basri de son nom, tente de lui porter l'estocade : il ne serait pas plus premier ministre que ne le fut Abderrahman Youssoufi, la " légitimité démocratique " en moins. La preuve à l'appui ? Il n'aurait pas été mis au courant du départ de Driss Benhima de la wilaya de Casablanca pas plus que son prédécesseur n'a été informé du limogeage de Driss Basri et son remplacement par Ahmed Midaoui. A moins que ce ne soit pour le champion toutes catégories du renseignement et de son analyse, la meilleure façon de le protéger de l'orage en le désignant à la vindicte populaire comme l'homme par qui le scandale de la " régression démocratique " est arrivé. La sérénité habituelle du premier ministre, même si on le dit de plus en plus facilement irritable, l'aiderait probablement à se préserver de l'ambiance délétère qui se forme autour de son gouvernement. N'importe qui à sa place pourrait être tenté par " la caravane passe ". Ne vient-il pas de réussir le dialogue social et de mettre un pied dans la paix du même nom ? Même si l'USFP tente de lui disputer le trophée en prenant appui sur les déclarations du ministre de l'Emploi, Mustapha Mansouri, qui a déclaré que le travail avait été mâché par le gouvernement de " l'alternance consensuelle", c'est tout de même sous sa houlette et autour de lui que les centrales ouvrières et le syndicat patronal ont mis leurs paraphes sur l'accord. Ce n'est guère le Pérou, mais ce n'est pas peu non plus. De quoi en somme siroter le petit lait du succès mérité pendant un temps. Pourtant Driss Jettou doit y prendre garde. La ministre Taytay - ce n'est qu'un exemple - crie à tue-tête qu'elle veut ses compétences. A l'eau, Mohamed Zahoud n'arrive pas à émerger. Ailleurs, des secrétaires d'Etat ou des ministres délégués sont dans la même situation ou dans le même état d'esprit. Des ministres sont désœuvrés tandis que d'autres pataugent. Des technocrates, fidèles serviteurs de l'Etat, se rebiffent. Le noyau dur de son gouvernement, taillé sur mesure pour faire ce que le Maroc attend de ce dernier, n'arrive pas à imprimer son rythme à la mécanique, tandis que l'on attribue à Abderrahman Youssoufi la velléité de faire tomber le gouvernement et à Abbas El Fassi l'irrésistible envie de lui dire : ôte-toi de là que je m'y mette. La conjonction astrale est mauvaise ; un vent de contestation se lève, le temps des cerises semble bel et bien consommé, l'état de grâce derrière. Le plus dur vient de commencer. L'heure pour Driss Jettou de montrer s'il sait rebondir.