Entretien Silence, on ne tourne pas dans la ville-studio du Maroc. L'impact de la guerre contre l'Irak sur l'économie de la ville se ressent dans le calme ! Abdelillah Jouahri, professeur et chercheur, est la référence cinématographique de la ville. Il prépare un livre sur le cinéma à Ouarzazate. Les coulisses d'une crise ! La Gazette du Maroc : Ouarzazate, la ville du cinéma dit-on, mais l'est-elle réellement ? Dispose-t-elle d'infrastructures adéquates ? Abdelillah Jouahri : bien qu'on ait commencé à tourner des films à Ouarzazate dès les années 30, la ville ne dispose pas de mémoire ou de patrimoine cinématographique qui lui est propre. Entre 1930 et 2002, plus de 300 films y ont été tournés comme “La rose noire”, interprété par Orson Welles, “Lawrence d'Arabie” tourné à Ait Ben Hadou, “La dernière tentation du Christ” de Martin Scorcese et j'en passe… La majorité des productions étrangères est attirée par la diversité des sites, la nature, la luminosité et l'expérience des figurants. Mais il n'y a pas d'infrastructures adéquates. Quand on parle d'infrastructures cinématographiques, cela signifie que le producteur débarquera les mains libres ! Or ce n'est pas le cas. Les studios ne sont pas équipés pour répondre à ces attentes. Pourtant à Ouarzazate, on vit du tourisme (saisonnier) et du cinéma. Comment se porte actuellement la ville après la crise de la guerre contre l'Irak ? - Bon nombre de Ouarzazis vivent du cinéma. Hôtels, restaurants, agences de location de voitures, artisans, techniciens, particuliers vivent de cette “industrie”. Il y a un bon nombre de Ouarzazis qui ont pour unique métier la figuration. Après la crise de la guerre contre l'Irak, la plupart des producteurs qui devaient tourner à Ouarzazate et au Maroc en général ont opté pour une autre destination. A titre d'exemple : “ La guerre de Troie ”, un long métrage interprété par Brad Pitt, qui devait être tourné à Ouarzazate et à Mogador, est tourné actuellement au Mexique. En guise de compensation, les costumes sont confectionnés à Ouarzazate dans les ateliers du studio Androméda puis expédiés au Mexique. Il y a le 3ème film de Riddley Scott “ Tripolie ” qui devait normalement être tourné à Agadir et à Ouarzazate, soit 9 mois de tournage. (Riddley Scott a tourné 2 films au Maroc : “Gladiateur” à Ouarzazate, et “La chute du faucon noir” à Salé). Quand on vit du cinéma, il est difficile de vivre autrement. Le tourisme est saisonnier avril-mai et début octobre, alors qu'une grande production dure 9 mois à un an. Autrement dit : pas de films, pas de travail ! La ville est bien “ calme ”. On sent la crise, pourtant à la Division économique et sociale comme au Centre régional d'investissement, on reste optimiste. Peu de films ont été programmés cette année ! Mais qu'en est-il des agences de production, comment réagissent-elles par rapport à cette crise ? - Les agences de productions sont à Casablanca, Rabat, Tanger ou Agadir mais pas à Ouarzazate. Il y a 5 ou 6 grandes agences qui drainent les grandes production : “Zac production”, “Dunes film”, “Cléopâtre”, “Corali film”, “Ali'n production”, “Dawliz”. Mais que gagne Ouarzazate ? Elle ne bénéficie pas directement des rentrées de l'industrie cinématographique, mais plutôt indirectement. Une fois que le tournage est terminé, la plupart des producteurs décampent. L'argent gagné à Ouarzazate n'est pas investi dans la ville. A ce propos, bien des voix appellent à la création d'un fonds de cinéma pour la municipalité de Ouarzazate. L'idée séduit. Ce fonds drainerait des rentrées directes, se porterait garant pour les professionnels du métier … - C'est un autre problème ! Il n'y a pas de contrôle. La municipalité de Ouarzazate loue la Kasbah de Taourirt et les boulevards… mais il n'y a pas un contrôle des recettes et dépenses. On ne sait rien, ni comment cela se passe. Par exemple, il y a eu un film “Rules of engagement” de William Friedkin avec Tommy Lee Jones, Samuel L. Jackson. Ils ont tourné dans la Kasbah de Taourirt pendant un mois environ . C'est un film de guerre. Des hélicoptères se posaient sur les terrasses. La Kasbah a subi des dégâts ! Quand on pose la question à combien l'a-t-on louée ? 30 millions de centimes ! Pendant un mois pour toute la Kasbah ! Ne posons pas la question “où va cet argent” !