Jawad Bencheqroun, président de Maroc Entrepreneurs Basée à Paris et à Lyon, Maroc Entrepreneurs a pour mission d'inciter les jeunes talents marocains formés en France à revenir au Maroc pour créer ou rejoindre des entreprises innovantes. L'association est aujourd'hui gérée bénévolement par des jeunes diplômés et étudiants marocains de grandes écoles de commerce et d'ingénieur françaises. Après la conférence de janvier dernier animée par Driss Benhima, ex-wali du Grand Casablanca, Maroc Entrepreneurs s'apprête à recevoir, Mohamed El Gahs, secrétaire d'Etat à la Jeunesse. Le président actuel, Jawad Bencheqroun, évoque à travers cet entretien les motivations de Maroc Entrepreneurs. La Gazette du Maroc : “réveillez l'entrepreneur qui est en vous”, est l'intitulé du jeu-concours que vous organisez. En quoi consiste concrètement ce projet ? Jawad Bencheqroun : ce jeu-concours récompense les trois meilleurs projets de création d'entreprise (1er prix : 5.000 Euros - 2ème prix : 3.000 euros - 3ème prix : 2000 euros). Pour participer, il suffit donc d'être Marocain(s), d'avoir une idée d'entreprise, ou d'avoir déjà développé un produit/une technique. Les participants doivent alors rédiger un business-plan (document de 25 à 30 pages qui détaille le projet) qui sera évalué par un jury d'experts. Les meilleurs projets retenus par le jury sont généralement ceux qui ont un potentiel important de croissance à l'exportation et portés par des hommes et des femmes talentueux et compétents dans leur domaine.. Lorsque nous avons créé Maroc Entrepreneurs, nous sommes partis d'un constat simple : il existe en France un nombre important de Marocains impressionnants par la qualité de leur formation, par leur vivacité mais qui ont rarement un esprit d'entrepreneurs, qui ne se voient pas comme des créateurs d'entreprises au Maroc. «Réveillez l'entrepreneur qui est en vous» est l'intitulé du jeu-concours de création d'entreprise que nous avons alors décidé d'organiser. Ce jeu reflète la vocation même de Maroc Entrepreneurs : susciter la fibre d'entrepreneur chez les cadres supérieurs et étudiants marocains en France en leur proposant une structure qui leur permet de comprendre les avantages compétitifs du Maroc, de tester la faisabilité de leurs idées et projets, et enfin de préparer la création de leur entreprise. La première édition de ce jeu a eu lieu en 2000/2001 et a été soutenue par la Banque mondiale, par l'ambassade du Maroc à Paris, par Proparco (filiale de l'Agence Française de développement) et par de grands groupes marocains : l'OCP, la Fondation Banque Populaire pour la Création d'Entreprise (FBPCE), et Casablanca Finance Group (CFG). La deuxième édition est en cours: 25 équipes se sont déjà inscrites, de nouveaux inscrits arrivent régulièrement : ils doivent rendre leur business plan avant le 27 juin 2003 à minuit ! Pourtant, Maroc Entrepreneurs n'a commencé véritablement à être connue qu'en janvier dernier avec la conférence que Driss Benhima, ex-wali du Grand Casablanca, avait animée à l'époque. Pourquoi? Il faut faire la distinction entre la notoriété de Maroc Entrepreneurs au Maroc et en France. En France, les cadres supérieurs et étudiants marocains, en particulier à Paris et à Lyon, connaissaient Maroc Entrepreneurs bien avant cette conférence. Nous comptons plus de 350 membres en majorité issus des grandes écoles de commerce et d'ingénieur françaises (HEC, ESSEC, ESCP, EM Lyon, Sciences-Po, Polytechnique, Centrale, INSA Lyon, etc..) et nous touchons, grâce à notre base de données, environ 800 personnes. Depuis la conférence inaugurale de Maroc Entrepreneurs tenue en novembre 1999 sous le thème «Retourner au Maroc pour créer son entreprise» (animée par Amyn Alami (CFG)), l'association a graduellement pris de l'importance. Il faut dire que les Marocains ont été très sensibles à cette initiative qui est avant tout tournée vers l'action concrète, vers la création de richesses, et non vers des débats stériles. Au Maroc, l'association était peu connue jusque là car ses activités sont concentrées en France. La conférence que vous évoquez, co-organisée avec l'association AMGE-Caravane, a coïncidé avec une nouvelle étape dans la vie de Maroc Entrepreneurs. En effet, depuis janvier dernier, l'association a pris un nouvel élan et souhaite se faire connaître auprès des étudiants et jeunes diplômés des grandes écoles et universités au Maroc. Le jeu-concours de création d'entreprise leur est ouvert. Nous souhaiterions dans ce sens nouer des partenariats avec les établissements supérieurs marocains qui proposent un module «création d'entreprise» dans le cursus scolaire. Dans cette foulée, vous avez prévu d'inviter ce mois-ci le secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Mohamed El Gahs , en France pour animer une conférence. Qu'est-ce qui vous motive dans la tenue de tels événements ? Si l'incitation à la création d'entreprise au Maroc à travers le jeu-concours est l'activité principale, ME organise aussi une série de conférences économiques et politiques. Deux motivations guident ce choix : il y a d'une part une réelle demande pour ce genre d'événements. Les Marocains, que ce soit au Maroc ou en France, sont avides d'arènes politiques où ils peuvent s'exprimer, interpeller des responsables pour mieux comprendre leur pays. D'autre part, ce type d'événements s'inscrit dans la logique de nos activités : la réussite ou l'échec d'un entrepreneur dépend largement de l'environnement dans lequel il évolue (cadre juridique, financier, politique, ...). Ces conférences viennent donc mettre à nu la réalité économique marocaine, sans la travestir, et permettent aux porteurs de projets de cerner l'environnement dans lequel ils évolueront s'ils décident de franchir le pas. Vous encouragez les Marocains à retourner au bled, avec en main un projet de création d'entreprise. Qu'en est-il aujourd'hui de cette volonté ? Quelles sont les difficultés ? Il ne faut pas croire que ceux qui reviennent au Maroc le font d'abord par «devoir» : si ce sentiment patriotique existe chez la plupart des Marocains, leur retour est motivé par des considérations avant tout pragmatiques : la recherche d'un équilibre optimal entre vie familiale, vie professionnelle et qualité de vie. Il répond finalement à la recherche de l'intérêt personnel en premier lieu. Aujourd'hui, les cadres supérieurs qui ont 3 à 7 ans d'expérience à l'étranger ont souvent la volonté de rentrer au Maroc mais ne trouvent pas toujours les conditions matérielles qui répondent à leurs souhaits. On se rend compte alors que la création d'entreprise est pour eux une alternative intéressante : en découvrant l'économie marocaine et ses opportunités, ces cadres supérieurs se prennent au jeu, montent des projets et sont incités à rentrer pour les réaliser car cela devient leur intérêt personnel. Notre approche à nous est donc pragmatique : nous n'essayons pas d'encourager coûte que coûte les Marocains à rentrer au pays, nous essayons plutôt de stimuler leur vocation d'entrepreneurs, de faire en sorte qu'ils aient (que nous ayons) un intérêt personnel à vouloir rentrer. Et dans ce cas, l'intérêt personnel converge avec l'intérêt collectif. La phase de préparation d'un projet de création d'entreprise pose néanmoins quelques problèmes : premièrement, il faut connaître le marché/secteur d'activité, savoir ce qui se fait au Maroc. Ce qui n'est pas évident à distance. Maroc Entrepreneurs a donc constitué une bibliothèque d'informations qu'elle met à la disposition de ses membres sur le site www.marocentrepreneurs.com . Ensuite, il faut savoir faire un business plan. Dans cette perspective, Maroc Entrepreneurs organise des sessions de formation à Paris adaptées aux besoins des porteurs de projet. Par exemple, samedi dernier, un professeur à HEC et à Télécom Paris a fait une formation intitulée : «Evaluer et financer son projet de création d'entreprise dans le secteur des NTIC». Dans la phase de concrétisation des projets, la problématique majeure est de trouver des financements. Les projets bien ficelés sont les bienvenus au Maroc. Encore faudrait-il qu'ils trouvent un financement. Qu'en pensez-vous? La problématique du financement est effectivement cruciale : un jeune entrepreneur, s'il n'a pas de ressources personnelles, a deux choix possibles : - Recourir aux banques pour demander un prêt, et là, les taux prohibitifs et les garanties demandées découragent les porteurs de projet. - Trouver des financiers (capital risqueurs ou business angels) qui acceptent de prendre une participation en capital dans la société créée. Ce deuxième moyen est malheureusement encore à l'état embryonnaire au Maroc. Et lorsqu'il existe, il concerne les entreprises déjà créées qui veulent se développer et non celles qui veulent se créer (capital amorçage quasi inexistant) car ces dernières sont perçues comme trop risquées. Ce problème du financement de l'investissement est endémique au Maroc : les banques prennent très peu de risques dans les projets qu'elles financent. L'absence de réelle concurrence entre les banques en est la principale raison. S'il n'y avait pas d'entente sur les taux d'intérêt élevés, peut-être qu'elles seraient amenées à prendre plus de risques et à mieux assumer ainsi leur rôle de «financiers». Evidemment, il faut aussi que les projets à financer soient de qualité. C'est sur cela que l'association essaie de travailler. Donner d'abord ENVIE aux gens de créer des entreprises, constituer ensuite des dossiers de qualité qui peuvent être présentés à des comités d'investisseurs. Le financement viendra ensuite. C'est comme ça que ça marche partout. Avez-vous noué des partenariats avec des organismes financiers dans ce sens ? Nous avons contacté un certain nombre de banques et de fonds de capital risque au Maroc. Nous essayons aussi, grâce à l'aide précieuse de l'ambassade du Maroc à Paris, de constituer un réseau de Business Angels (Marocains ou Français fortunés installés en France) intéressés par une prise de participation dans les projets les plus prometteurs. C'est un travail de longue haleine, et nous avons encore beaucoup à faire dans ce domaine. Plus généralement, nous cherchons aussi des partenaires qui acceptent de nous soutenir financièrement en sponsorisant le jeu-concours de création d'entreprise. Nous proposons des formules de partenariat intéressantes pour les sponsors. Nous organisons notamment pour eux des dîners de recrutement où ils peuvent rencontrer des cadres supérieurs marocains expérimentés.