Face à la morosité générale Après une négociation où Driss Jettou a joué son va-tout, l'accord entre gouvernement, syndicats et CGEM constitue une avancée saluée par tous comme “satisfaisante”. Les mesures annoncées suffiront-elles à débloquer un climat social -et politique- où la morosité est devenue inquiétante. Mercredi 30 avril, tard dans la soirée : sous les riches lambris de la salle de réception du ministère des Habous et des Affaires islamiques, on attendait patiemment la fin de la retransmission par la RTM du match amical de football Maroc-Côte d'Ivoire. L'événement tant annoncé qui allait se dérouler dans ce décor relevé était retardé de quelques instants pour passer lui aussi en direct sur les écrans. Solennité et modeste retenue : ainsi a-t-on voulu marquer l'annonce de la signature de l'accord entre gouvernement, syndicats (UMT, CDT, UGTM), CGEM et la Fédération des Chambres professionnelles, au terme d'une négociation-marathon où le premier ministre, Driss Jettou, semble avoir joué son va-tout. Le “suspense” à épisodes de cette négociation débouchait ainsi sur l'adoption de mesures jugées par tous “satisfaisantes”, voire davantage si l'on en croit les signes de soulagement manifestés par les ministres présents à la cérémonie. Un accord inévitable De toute évidence, il s'agit d'un accord inévitable ; les différents protagonistes étant, pour des raisons différentes, convaincus de la nécessité de présenter aux travailleurs, en ce 1er mai, des résultats tant soit peu substantiels. Le climat social -et politique- était devenu particulièrement morne avec un sentiment d'impasse et de vide fort inquiétants. Après des années où le dialogue social semblait tourner en rond, entre surenchères et manipulations politiciennes, aussi bien l'Etat que les syndicats étaient atteints par une perte vertigineuse de crédibilité et de confiance. Il fallait, à tout prix, desserrer quelque peu l'étau qui enserrait un salariat en proie à la paupérisation. On ne peut, en effet, sous-estimer les effets bénéfiques attendus des mesures annoncées. La généralisation du SMIG dans les secteurs public et semi-public aux agents des plus basses échelles répare une injustice jugée proprement “scandaleuse”. L'augmentation de 10 % du SMIG, en deux étapes, dans le secteur privé concernera plus de la moitié des salariés de ce dernier (lorsqu'ils sont, bien sûr, déclarés). La réduction de la durée hebdomadaire du travail de 48 à 44 heures sera accueillie favorablement même si elle s'accompagne de l'adoption du principe de flexibilité qui avait été, très longtemps, combattu violemment par les syndicats. En matière de sécurité sociale, des ouvertures sont opérées, notamment en faveur du logement social qui sera soutenu par un fonds de garantie, des crédits à taux préférentiels avec des échéances portées à 20/25 ans (au lieu de 12/15 ans), la mobilisation du patrimoine immobilier de l'Etat et des collectivités locales afin que le coût des logements se situe entre 80.000 et 120.000 DH au lieu de 200.000 actuellement. L'adoption de l'indemnisation pour perte d'emploi pour raisons économiques est l'ébauche timide d'une indemnité de chômage. La préretraite volontaire à 55 ans et la création de l'Agence nationale de couverture médicale comme prélude à la mise en œuvre de l'assurance maladie obligatoire constituent ainsi que la plupart des autres mesures annoncées, un début d'application du legs social du gouvernement Youssoufi. D'autres mesures vont dans ce sens : le relèvement du congé de maternité de 12 à 14 semaines et un calcul plus favorable des pensions de retraite sur la base des dix meilleures années de cotisation. L'accord porte aussi sur une régulation plus consensuelle du droit de grève et de la liberté syndicale permettant la reconnaissance de la représentativité des syndicats dans les entreprises. Ce sont autant d'avancées vers l'adoption de la réforme du Code de travail qui avait, si longtemps, constitué un point de discorde majeur entre syndicats et patronat. Un accord-cadre seulement ? On le voit : certaines de ces mesures pourront être appliquées rapidement, d'autres nécessiteront sans doute plus de précisions. C'est ce que suggérait le représentant de la CGEM, Ahmed Benkirane, en soulignant qu'il s'agit là d'un “accord-cadre plutôt qu'un accord détaillé” et que “après le 1er mai nous allons entamer un débat intense”. Les appréhensions et les réticences de part et d'autre subsistent, bien entendu et on mesurera, dans les mois à venir, la portée réelle de l'accord du 30 avril. En attendant pour Driss Jettou, cet accord est une première consolation après des mois d'apparente léthargie où le scepticisme sur l'efficience, voire la substance, de l'actuel gouvernement n'a cessé de s'amplifier dans les différents milieux. Les témoignages faisant l'éloge de ses efforts et de son rôle d'arbitre persuasif et infatigable, émanant des différents représentants des syndicats sont, de ce fait, un véritable baume pour lui. Ainsi un Noubir Amaoui, secrétaire général de la CDT est allé de son couplet laudateur louant “l'intervention claire et décisive” de Driss Jettou, qualifié de “Premier ministre responsable”. Le sous-entendu est tout aussi clair : c'est le Premier ministre précédent, frère ennemi, qui est visé par antiphrase. Si le secrétaire général de l'UMT, Mahjoub Ben Seddik n'a pas cru bon d'évoquer l'accord dans son bref discours du 1er mai, d'autres responsables de cette centrale ont souligné les “progrès” réalisés, grâce à la participation de l'UMT qui avait l'habitude de bouder les réunions du dialogue social. Les dirigeants de l'UGTM et de la nouvelle-née FDT (Fédération démocratique du travail) ont aussi fait chorus et salué l'accord. Les surenchères et la guéguerre ont ainsi laissé place à un certain pragmatisme qui privilégie la “négociation positive”, c'est-à-dire soucieuse d'aboutir à des résultats, si modestes soient-ils. La lassitude des “bases” et la dégradation de leurs conditions de vie menacent les centrales syndicales d'une dangereuse désaffection. En témoigne le recul manifeste des participants aux défilés du 1er mai et l'indifférence, voire l'hostilité face aux discours démagogiques. Du coup, les discours se sont fait plus courts et la perplexité des appareils syndicaux plus grande face à la raréfaction des participants aux défilés (même celui de l'UMT qui pourtant est resté le plus important). Le recours aux slogans de solidarité avec l'Irak n'ont pas suffi à ranimer la flamme de ces manifestations car là aussi la déception et les désillusions ont été très profondes.