“Des militaires ont tiré sur une foule hostile au nouveau gouverneur. Les tirs ont fait au moins dix morts et plusieurs dizaines de blessés, selon plusieurs témoins ”. On jurerait une dépêche émanant d'une agence de presse installée dans une république bananière où une quelconque junte militaire fait la loi. Au contraire, les militaires en question sont des…Américains, et la foule en colère est irakienne. La répression sanglante digne de la pure folie dictatoriale a eu lieu mardi dernier à Mossoul, la grande cité pétrolière du nord de l'Irak. Moins d'une semaine après la chute du régime de Saddam Hussein, les Marines ont oublié qu'ils étaient là pour “ libérer ” les Irakiens qu'ils viennent de massacrer. “ Pertes collatérales ” comme d'autres ou simple retour à l'évidence ? Plutôt un avant-goût de ce que sera le futur gouvernement américano-britannique . Cependant G.W. Bush avait déclaré le 26 février dernier : “ Un Irak libéré pourra montrer comment la liberté peut transformer cette région, en apportant espoir et progrès ”. Il avait oublié la mort, et l'essentiel. Ivre de sa victoire sur Saddam Hussein, Bush Junior s'imaginait qu'il serait reçu en libérateur et hérault de la modernisation. Il n'en est rien. Mais la grande machine guerrière – “ démocratique ” ne freine pas pour autant. Personne n'était dupe, mais il a fallut dix autres victimes, pour mettre à nu les vraies visées de l'administration sectaire des illuminés de la Maison Blanche. Machine L'évidence : ce n'est pas la démocratie qui arrive en Irak, avec les missiles Tomahawk de G. Bush, mais bel et bien un nouveau destin pour le peuple irakien et pour ceux de la région. “ Derrière les discours sur la démocratie et la prospérité, analyse l'islamologue et arabisant Gilles Keppel, l'intention américaine vise l'instauration d'une hégémonie en Irak ”. L'administration républicaine avance, pour ce faire, avec une carte en main et des scenarii bien peaufinés. Dans un premier temps, l'objectif sera de “ stabiliser ” le pays et procéder à sa restructuration. L'institut of Peace, dépendant du congrès américain avait, dans ce sens-là, dégagé les points du “ consensus ” de la classe politique américaine sur l'avenir de l'Irak. Tous les dirigeants ont validé, des mois avant l'invasion, le principe d'une occupation militaire de deux ans et d'une “ dé-baasification ”. Entendre par là : l'instauration d'un gouvernement militaire pour purger ce qui resterait du parti Baâth. Avec l'effondrement aussi pathétique que spectaculaire du régime, les Américains n'auront aucune peine à chasser les derniers symboles du parti-Etat, voire intégrer une partie de ses élites dans le processus post-Saddam. Quand à l'hypothétique contribution onusienne dans la reconstruction de l'Irak, les choix américains sont déjà faits : Washington ne semble tolérer aucun rôle de l'ONU, à telle enseigne que son projet politique s'apparente à un partage de butin, avec son allié britannique qu'à une opération de démocratisation ou de libération. Les USA, en fin de compte, rejettent tout rôle de l'ONU à travers la mise en place d'une administration intérimaire des Nations Unies. Pour l'instant, un commandement américano-britannique dirige le pays. La phase suivante, quant à elle, verra la nomination du Calife de Bagdad, Jay Garner, le général américain et ami intime d'Ariel Sharon, chargé de la reconstruction. Avec l'ONU mise à l'écart, une omniprésence de la politique de la coalition, on voit bien qu'on est encore dans la logique de guerre. De la “ pacification ”, pour reprendre un terme qui remonte au début du 19ème siècle qui a connu le paroxysme de l'expansionnisme colonial. On ne se demandait plus si l'Amérique est ou non le “bon accoucheur” ou si “les forceps ne vont pas tuer le bébé” - démocratie. La question est désormais : quand le peuple irakien s'appropriera-t-il les valeurs de sa démocratie et prendra en main sa propre destinée ? Tant il est vrai, que le cas irakien fait ressurgir les “ vertus civilisatrices de la colonisation ”. D'autant plus que l'opposition irakienne, censée être l'alternative populaire et souveraine, est maintenue dans le rôle de comparse. Les desseins de l'administration “ prétorienne ” de G. W. Bush semblent faire peu de cas de “ ses ” opposants. Reste le timing : nul ne sait combien durera chaque phase de cette transition. Désormais, Américains et Britanniques tournent leurs regards vers Damas qu'ils accusent de détenir des armes chimiques et accorder asile à des dignitaires du régime déchu. Du coup, la Syrie est passée au-devant de la scène. La démocratie est reléguée au second plan. Comme quoi, il n'y a pas “ d'occupation éclairée ”.