Elles ne sont pas danseuses professionnelles. Parfois d'âge mûr, elles font le spectacle dans des régions reculées du Maroc. Bouchra Ouizguen les a pourtant choisies pour représenter la culture marocaine dans différents festivals de danse européens, dont celui de Florence en Italie qui commence ce week-end. Bouchra Ouizguen, fondatrice avec Taoufik Izzediou d'Anania, la première compagnie de danse contemporaine marocaine née à Marrakech, n'a pas choisi des jeunes filles en fleurs pour monter son nouveau spectacle « Mme Plaza » qu'elle présente ce week-end au Festival Fabrica-Europa de Florence en Italie. Non, ici pas de tutus roses, pas de pointes, pas de ballerines gracieuses. Les vedettes du spectacle, ce sont des Aïtas, ces femmes du Maroc profond qui chantent et dansent l'amour, le fado, le blues ou la poésie dans les fêtes et les mariages. Des voix écorchées, des corps parfois alourdis par les années, les Aïtas chantent la vie là où ça dérange. Si elles assument une certaine trivialité devant un public majoritairement masculin, c'est qu'elles transgressent l'image de la mère, de l'épouse ou de la femme en général, pour provoquer les réactions des hommes et les placer devant leurs contradictions. Tour à tour adulées et méprisées, elles ont cette incroyable capacité à dédramatiser la vie en jouant d'un vocabulaire souvent fleuri et d'une gestuelle où la vulgarité se mêle à l'humour. Pour faire le casting, Bouchra Ouizguen a sillonné le Maroc pendant plusieurs mois. « Ces femmes sont des artistes du peuple, explique Bouchra. Elles ont parfois une vingtaine d'années d'expérience devant le public, mais il m'a fallu tout d'abord les convaincre de danser avec moi autre chose. Elles m'ont sidérée par leurs possibilités. Par exemple, à 50 ans, il est admis qu'une femme n'utilise plus sa sensualité pour dire les choses. Or, chez elle, ce vocabulaire n'a pas été gommé parce que tous les soirs, elles sont dans des cabarets devant des hommes qui attendent cette excitation visuelle totalement codée. » Pendant des mois, Bouchra travaille avec « sa » troupe, menant un véritable « combat artistique ». Le spectacle séduit autant qu'il surprend. « Elles ne font pas de l'art contemporain, poursuit la chorégraphe, mais il serait trop facile de les enfermer dans un folklore, car leur présence est profondément actuelle. Dans ce travail ou plutôt dans cette rencontre humaine, j'ai tenté de percer l'histoire de leurs vies que le spectacle raconte par les voix et les corps. Avec elle, j'ai refait le chemin de l'apprentissage de la danse. Je suis partie à des milliers de kilomètres pour apprendre, alors qu'à côté de moi, ces femmes pouvaient me transmettre quelque chose de si évident : le chemin de la liberté du corps. Je suis surprise et émue, mais n'est-ce pas cela la danse d'abord ? » Après Florence, « Mme Plaza » fera l'ouverture du Festival de danse de Montpellier en juin, suivi du Festival « Voix de la Méditerranée » de Lodève dans le sud de la France en juillet, avant de s'envoler pour le Mali en octobre. Une belle performance qui met à l'honneur l'originalité et la créativité de la culture marocaine hors de ses frontières dans un spectacle aussi audacieux, qu'inattendu. ■