Pour des raisons qui se comprennent, le personnage avec lequel nous avons eu cet entretien préfère rester dans l'anonymat. Tenancier d'une discothèque d'Aïn Diab, sur la corniche des nuits chaudes casablancaises, il nous donne son point de vue sur les problèmes de la prostitution dans ce pays. La Gazette du Maroc : Dites-nous franchement, à qui profite le commerce de la chair fraîche dans ce pays ? Il n'y a pas au Maroc d'organisations proxénètes importantes qui tirent profit de la prostitution féminine. L'argent du sexe constitue une espèce d'économie parallèle qui aide à pallier les déficiences sociales et à faire tourner bien des affaires. Dont les vôtres… Les patrons de bars et de clubs à filles ne sont pas les seuls bénéficiaires de cette activité. Nous ne touchons pas aux gains des prostituées, notre business c'est l'alcool, et les filles ne servent qu'à attirer la clientèle et pousser à la consommation. Par contre, les millions de dirhams générés par la prostitution et dépensés chaque jour avec autant de facilité, viennent engraisser les caisses de nombreux négoces. Les boutiques de vêtements, les salons de coiffure, par exemple, ne se plaindront jamais de la provenance de l'argent de leurs clientes. Ces filles gagnent donc tant que cela ? Les travailleuses du sexe vivent une existence factice, elles peuvent gagner certains soirs ce que d'autres gagnent en un mois et plus de travail, qu'elles s'empressent de gaspiller pour elles, leur famille ou un petit copain qui a su les séduire. » Et les cas d'exploitation forcée ? Il y a bien sûr des cas d'exploitation qui sont souvent limités à certains milieux marginalisés où des filles très jeunes, parfois même mineures et inexpérimentées tombent dans les filets de femmes qui organisent des rencontres tarifées. Les victimes ne touchent qu'une infime partie des sommes qu'elles rapportent. Ces histoires finissent généralement par des dénonciations à la police et ne mènent jamais très loin leurs auteurs, sinon en prison. Et toutes ces prostituées qu'on voit proliférer, surtout dans les grandes villes ? Pour la plupart, elles ont décidé seules, ou entrainées par d'autre filles déjà dans le circuit, par nécessité souvent au début, et puis une fois dans l'engrenage, pour l'appât du gain. Même celles qui ont fait des études finissent par se laisser tenter. Soit parce qu'elles ne trouvent pas de travail, soit parce qu'elles ne gagneront jamais autant. Dans l'ensemble, la prostitution qui se répand un peu partout et de plus en plus, est une prostitution sauvage, sans contrôle ni main mise. Ne vaudrait-il pas mieux qu'elle le soit par des codes et des normes ? Certains le pensent. Cela éviterait peut-être les dérives de toutes sortes. Mais c'est peu probable dans un pays où la prostitution est censée être interdite. Ce serait admettre son existence et les autorités préfèrent la tolérer sans la reconnaître officiellement, tout en veillant aux abus et excès qui peuvent dégénérer en scandales. Cela vous coûte-il cher de ne pas avoir de problèmes ? Nous sommes dans un pays tolérant où tant que nous ne causons pas d'ennuis, on nous laisse travailler et les choses s'arrangent. Le temps est révolu où il fallait filer de grosses enveloppes pour avoir la paix. Aujourd'hui, la police assure notre sécurité et empêche des bandes organisées de venir nous racketter, nous ou les filles, et se mêler de nos affaires. C'est déjà arrivé ? Il y a quelques temps un réseau de délinquants russes a essayé de s'implanter au Maroc, mais il a été démantelé. Il ne faudrait pas qu'il arrive ici ce qui se passe dans certains pays d'Europe ou du Moyen-Orient, où les mafias des pays de l'Est approvisionnent le marché de la prostitution et l'exploitent de façon abusive et inhumaine ». Connaissez-vous des filles dans cette situation ? Pas dans ma boîte de nuit. A la limite, il s'agit de proxénétisme familial, c'est-à-dire qu'une mère ou un mari peuvent envoyer leur fille ou leur femme se vendre pour ramener de l'argent à la maison. Mais je vous le répète, la prostitution ici est libre et consentante. Même nous, nous n'exerçons aucune pression sur les filles. Les marocaines ont du caractère et ne le permettraient pas. Nous exigeons d'elles seulement de se comporter décemment, de n'introduire aucune drogue dans l'établissement et de ne pas importuner les clients en les harcelant, mais d'attendre qu'ils les invitent. Leurs arrangements avec les clients, ne nous concernent pas. D'ailleurs, pour leurs affaires privées ou intimes, c'est une fois dehors que ça se passe. Que pensez-vous de ceux qui vous critiquent et vous accusent de provoquer la débauche ? Ce sont des hypocrites qui voudraient faire du Maroc un pays de fanatiques religieux, ce qu'il n'est pas. Les marocains aiment vivre et laisser vivre. C'est ce qui fait le charme et le privilège de ce pays. Vous pourriez tout de même vendre de l'alcool sans avoir de prostituées dans vos établissements ? Faut pas rêver, il n'y a que les boîtes fréquentées par la jeunesse dorée qui sont vraiment mixtes. Les autres, s'il n'y avait pas de prostituées, n'auraient qu'à mettre la clé sous le paillasson. Les hommes viennent boire, mais il leur faut des filles. Et comme les filles «bien» de notre société ne sortent pas seules la nuit, alors nous n'avons pas le choix...» Les prostituées servent en quelque sorte de «garde à fous» ?» C'est un peu ça, mieux vaut que certaines filles fassent commerce de leurs charmes à ce qu'il y ait une dégradation générale des moeurs dans ce pays. Tant que les hommes vont soulager leur libido avec des professionnelles, les «honnêtes filles sauvegarderont leur vertu. C'est la réalité et ce n'est pas à nous de la changer».