Les bidonvillois rêvent toujours de sortir de leur cadre insalubre pour prétendre à un logement décent et répondant à leurs aspirations sociales. Mais ce n'est pas toujours chose facile.... Comparaison n'est pas raison. Les bidonvilles marocains ne sont en rien semblables à ceux de Bombay, bien qu'on y retrouve la même insoutenable misère, avec sa saleté, sa promiscuité outrageuse et son enfance, très tôt confrontée à la violence et privée de jeux. Même au Maroc, il y a une nette différence à faire entre les bidonvilles des années 50 du siècle dernier, et ceux des années 80. Les premiers étaient d'abord des cités ouvrières. S'y entassaient des jeunes venus des campagnes, attirés par la facilité de trouver un meilleur revenu en ville, généralement dans l'industrie naissante. Ils étaient plus le produit d'un manque de logement, d'une cité, Casablanca en particulier, qui grandissait trop vite que de l'étalement de la misère. Au contraire, c'est parce que la ville offrait plus de chances d'une meilleure ville que Carrière centrale, Oukacha, ont vu le jour. C'est chassés par la sécheresse que des centaines de milliers de paysans, quasiment affamés, ont assiégé les villes et construit en un temps record des taudis coupe-gorges, dans les années 80. La différence est fondamentale, Carrière centrale a donné au Maroc ses résistants, mais aussi des ingénieurs, des artistes, des sportifs, des hommes d'affaires, des enseignants. Parce que la vie sociale n'y était pas coupée de tout autre système de valeurs que le système D, celui de la survie. Les enfants y grandissaient avec beaucoup, énormément d'espoirs, dans le Maroc post-indépendance. Malgré les conditions difficiles, l'hygiène, le respect de soi et des autres, des valeurs telles que la solidarité, la pudeur, y avaient leur place. Les villes ont pu intégrer ces nouveaux habitants, qui ont fait l'effort de «s'urbaniser» rapidement. Par contre les bidonvilles modernes, sont liés à une crise économique grave, celle des années 80, à une explosion du chômage, à l'absence de perspectives. Chassés par la sécheresse, les nouveaux venus n'avaient accès qu'à l'informel et ses revenus tout aussi dérisoires que précaires. La ville n'avait rien à leur proposer, même pas la moindre opportunité d'intégration. Anonymes dans les grandes villes, ils se débarrassent du système référentiel grégaire de la campagne, mais n'en adoptent aucun autre. Ils font de leur bidonville un lieu insécure, où il faut user de violence pour avoir le moindre droit, celui de prendre de l'eau à la fontaine publique par exemple. Les Jihadistes ont trouvé dans ce contexte, des individus perdus, déboussolés, sans aucun repaire, qu'ils ont pu manipuler à leur guise, mais c'est une autre histoire. Le soleil ne brillera pas L'Etat a commis une grande bévue. Les technocrates considérant que tous les bidonvilles étant illégaux, ce qu'ils sont tous à la base effectivement, leur apporter les équipements de base reviendrait à les «officialiser». C'est ainsi qu'on les a privés d'école, de dispensaire, même d'électricité et d'eau courante pendant longtemps et même à ce jour pour certains. Aux portes de Casablanca, un certain Si M'Barek, propriétaire du terrain fait payer à tous les locataires de «son bidonville» le prix fort pour une ampoule par baraque, c'est aussi lui qui s'arrange pour délivrer le fameux certificat de résidence. En contrepartie, il a un droit de cuissage sur toutes les femmes et fait voter tous les habitants en faveur du candidat qui le paye. Les grands bidonvilles ne sont pas des lieux de vie, même si quelques naïfs continuent à fantasmer sur «la solidarité et l'entraide des pauvres». Ce ne sont que chimères. La réalité est dure, parce que c'est la marginalité qui domine, qu'il est difficile de donner une bonne éducation aux enfants dans ces conditions. Tout étant acceptable pour survivre, ramener un peu d'oseille, il est impossible d'inculquer des valeurs plus saines à sa progéniture. D'ailleurs, en règle générale, l'enfant est mis à contribution très tôt pour aider la famille. Les exceptions cependant existent. Elles sont liées, et uniquement, à des prédispositions naturelles. Les «douars», les bidonvilles, ont donné naissance à quelques grands footballeurs, dont certains ont pu faire une carrière les sortant de la misère. Quelques boxeurs aussi proviennent de ce milieu, mais la boxe au Maroc ne paye pas. Elle leur a permis d'éviter la délinquance et de se préparer à une vie normale. Certains ont pu réussir dans des petits business et grandir. Seulement la perspective d'un relogement par les pouvoirs publics les maintient dans ces taudis. Ce qui donne ce contraste de grosses cylindrées stationnées devant des baraques insalubres. Bien évidemment quelques-uns réussissant à faire des études moyennes, ne sont que des exceptions. Chez ces gens-là, les rêves sont à proximité des cauchemars, «brûler», trouver un riche saoudien, faire le casse de sa vie, c'est à ce niveau que brille leur soleil. Non pas parce qu'ils sont génétiquement incapables, mais parce que l'ascenseur social ne s'arrête pas à leur étage, qu'ils sont ceux qu'on cache, qu'on parque, à qui on n'offre rien. Cela n'a rien à voir avec le cinéma, quand on part avec de tels handicaps, on a beaucoup de mérite quand on s'accroche à la vie, si possible dans la normalité sociale. Casablanca : Douar Skueila et Nakhil Casablanca possède la plus grande population de bidonvillois avec entre 50 et 70 000 ménages, en termes absolus, soit un quart de l'ensemble de la population nationale de bidonvillois urbains. Mais aussi en terme de concentration de baraques par rapport à l'habitat régulier ainsi que la relation la plus complexe entre collectivités locales et autorités centrales. Selon le Plan de mise en œuvre de Villes Sans Bidonvilles, la majorité des ménages sera, soit transférée dans des appartements, soit les bidonvilles feront l'objet d'une restructuration. De plus, Casablanca est devenue un point de focalisation particulier pour le gouvernement à la suite des bombes de Casablanca jetées par des résidents fondamentalistes de ses bidonvilles. Douar Skueila, pas très loin du centre de la ville, est l'un des plus gros bidonvilles de Casablanca avec 5 à 6000 ménages. Ce bidonville, relativement bien équipé avec l'électricité, un système d'assainissement et l'accès à l'eau, est dans sa plus grande partie, construit de baraques faites de matériaux permanents et possède des rues bétonnées. Avec même des «quartiers» distincts présentant une qualité variable de baraques et de propreté. Douar Skueila a fait l'objet de nombreuses interventions prévues mais pas encore mises en œuvre, et de nombreux recensements ont été réalisés au cours des trois dernières décennies pour évaluer la population éligible. Entre temps, des appartements pour les ménages de classes moyennes ont été construits autour du bidonville, et les résidents bidonvillois vivent comme «cernés» et sont frustrés du manque d'attention à leurs besoins. Aujourd'hui, le bidonville fait l'objet d'une restructuration in situ et certains ménages sont déjà relogés dans des appartements . Cela n'empêche pas la population d'être non seulement sceptique, mais méfiante à l'encontre des autorités au vu des expériences négatives du passé, notamment les promesses d'avoir accès aux appartements qui avaient été construits précédemment. Les diffèrentes enquêtes menées dénoncent toutes par ailleurs qu'«un grand nombre de bidonvillois semblent être totalement ignorants des interventions prévues». Pourtant, du fait de la longue existence du bidonville et de la population qui y est née, Douar Skueila est stable, et les mailles sociales semblent plus fortes qu'ailleurs. Problème (là aussi expérience aidant) ces «mailles sociales» sont le fait d'une mosquée et d'une école coranique extrêmement dynamiques… Autre caractéristique, il y a moins de flux migratoires qu'ailleurs en entrée et en sortie du bidonville : les nouveaux résidents qui arrivent semblent venir plus souvent d'autres villes ou d'autres bidonvilles que des zones rurales. Ce sont les usines qui entourent le bidonville qui assurent les moyens d'existence et l'emploi ainsi que les services comme le nettoyage dans les quartiers environnants de classes moyennes. Cependant, l'emploi est irrégulier, les usines réchignant à signer des contrats formels… pourtant obligatoires après une certaine période d'emploi. De multiples activités commerciales établies dans le bidonville (boulangeries, marchands de légumes, épiceries, coiffeurs, ateliers de réparation, etc.) complètées par l'élevage du bétail, permettent aussi aux bidonvillois de survivre. Petite curiosité : «une partie de Douar Skueila est un conglomérat de ménages réinstallés d'ailleurs par les autorités avec la promesse que la réinstallation ne serait que temporaire». Nakhil, bidonville surpeuplé près de l'aéroport international Mohammed V. est un ancien complexe miliaire fait de baraquements dilapidés, repris par les bidonvillois, et de baraques auto-construites dispersées sur un vaste no man's land balayé par des vents très violents. Pas d'assainissement, pas d'électricité, pas d'alimentation en eau, et le bidonville est loin des limites de la ville. La résorption prévoyait la réinstallation des résidents dans un complexe d'appartements «en quelque sorte autonome, avec des services de santé et une école», à peu près à 2 km du bidonville. Hélas, en nombre insuffisant, les appartements n'ont pu accueillir tous les bidonvillois… d'ailleurs vite remplacés par d'autres ! La majorité des habitants du bidonville sont des militaires à la retraite avec des pensions réduites qui ne sont pas nécessairement originaires de la zone de Casablanca. En fait, la population bidonvilloise semble provenir de tout le Maroc. En termes de moyens d'existence, les résidents cherchent des emplois comme nettoyeurs et porteurs à l'aéroport, qui est l'employeur le plus proche. Toutefois, non seulement l'emploi est irrégulier, mais il est souvent refusé aux habitants des bidonvilles en raison de la stigmatisation liée à leur résidence. De nombreuses femmes font de l'artisanat qui est acheté plusieurs fois par mois par des commerçants et revendu à Casablanca. Les autorités prévoient de développer un complexe industriel de production dans le voisinage du complexe d'appartements, qui devrait donner un emploi aux bidonvillois. Comme partout ailleurs, les habitants du bidonville de Nakhil sont très peu informés de la nature et du calendrier des interventions futures, ils suspectent les autorités locales et en ont peur. Le tissu social de ce bidonville semble assez faible et il n'existe visiblement pas d'organisation communautaire.