De Tanger au cap de Bonne-Espérance Le dernier voyage du chef de la diplomatie algérienne à Rabat annonçant un prochain sommet entre les chefs d'Etat des deux pays, et la probable rencontre informelle entre eux en marge de la conférence inaugurent-ils une entente entre le Maroc et l'Algérie ? Des journaux algériens le croient tout en doutant que l'armée puisse accorder une liberté d'action à Bouteflika. C'est en 1973, sous l'impulsion des présidents nigérian et sénégalais, Homani Diori et Leopold Sedar Senghor, autour du successeur du général De Gaulle à la tête de l'Etat français, Georges Pompidou, que sont nés à Paris les sommets franco-africains avant de s'institutionnaliser sous le nom de conférence France -Afrique. Au départ, ces rencontres sont réservées aux anciennes colonies françaises groupées sous la dénomination pays francophones de l'Afrique subsaharienne. Elles s'ouvriront progressivement par la suite aux autres pays africains au point de finir par ressembler à une OUA bis. Longtemps, les pays maghrébins resteront en marge de ces rencontres qui ne semblent concerner que les Etats d'Afrique au-delà du fleuve Sénégal. Puis tour à tour, les Etats du Maghreb s'incrusteront dans le décor. C'est la Mauritanie, au plus fort du conflit du Sahara, aussi bien au plan militaire que diplomatique, qui franchit la première le pas. C'était en 1978, et une année plus tard, c'est au tour du Maroc de faire une entrée timide puisqu'il ne sera représenté que par Ahmed Snoussi, certes provenant du sérail royal, mais alors sans fonction officielle. Le prétexte est tout trouvé puisque le sommet de Kigali (Rwanda) de 1979 est consacré au trilogue euro-arabo-africain. Mais feu Hassan II a également en tête de garder, par ce biais, le contact avec les pays africains, qualifiés alors de modérés, qui se retrouvaient régulièrement dans ce rite politique autour de la France. Rabat, éprouvant beaucoup de difficultés à se faire entendre et à faire comprendre sa cause au sein de l'OUA, espérait ainsi ne pas se laisser isoler au sein du continent noir par le bloc “socialiste” pro-soviétique. En 1982, la Tunisie fait son apparition dans la liste des participants et se fait représenter par son premier ministre d'alors, Mohamed Mzali. L'Egypte patientera une dizaine d'années avant de se joindre au mouvement en 1992, tandis que l'Algérie, toute à son souverainisme commandé par le caractère passionnel de ses relations avec la France, attendra l'aube du 21ème siècle pour intégrer la conférence France-Afrique. Celui qui franchit ainsi le Rubicon n'est autre que l'ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediene, l'actuel chef d'Etat de l'Algérie, Abdelaziz Bouteflika. Sa présence en 2001 au sommet de Yaoundé (Caméroun) a fait jaser quelques milieux algériens. Interprétés comme une cour assidue à la France, ses contacts parisiens sont toujours suspects pour une partie de l'armée et de la classe politique algériennes. Et pas plus que son dernier voyage à Paris, son éventuelle participation à la 22ème conférence France -Afrique (19, 20 et 21 février à Paris) n'est perçue avec sérénité. A Alger on va jusqu'à voir dans cette action la quête d'une cooptation française à sa réélection à la présidence de l'Algérie en 2004. De là à voir dans le dernier voyage du chef de la diplomatie algérienne, Albdelaziz Belkhadem, à Rabat, annonçant un prochain sommet maroco-algérien, et une probable rencontre informelle entre les chefs d'Etat des deux pays en marge du sommet à Paris, la préparation d'une entente sur le dos du Polisario, il n'y a qu'un pas que des journaux algériens ont franchi, tout en doutant que l'armée algérienne laisse faire. Pour un partenariat renouvelé Pour Rabat où l'on a adopté une approche “d'ouverture, de souplesse et de vigilance”, on reste réceptif à toutes les démarches. Il est ainsi possible qu'aux côtés des autres crises qui peupleront les débats du sommet, le conflit du Sahara fasse dans les coulisses de la conférence, l'objet d'une attention particulière. Désormais en habitué de ces sommets, le Maroc concentrera cependant son attention sur la préoccupation majeure de la conférence : un partenariat renouvelé pour utiliser l'expression de Paris, rénové si l'on recourt au lexique de Rabat au cours de la dernière visite du chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin. Libéré de la contrainte de la cohabitation, dit-on dans la capitale française, Jacques Chirac serait décidé à relancer la politique de coopération de la France à travers trois axes : l'augmentation de l'aide publique au développement, une plus grande présence au plan international et un intérêt renforcé pour l'Afrique. C'est en 1990, au sommet de la Baule qu'une sorte de désengagement français avait commencé à se faire sentir, livrant l'Afrique à elle-même dans un monde en décomposition après la chute du mur de Berlin. François Mitterrand avait alors, pour la première fois, évoqué la “prime à la démocratie”, invitant les régimes africains à faire de la liberté de leurs peuples une alliée et non pas une ennemie. Feu Hassan II, sans s'opposer à cette politique, avait attiré l'attention sur les risques et conséquences d'une accélération du mouvement si elle ne tenait pas compte des spécificités des pays africains, faisant appel aux “pays occidentaux à aider les jeunes démocraties africaines à s'épanouir sans leur mettre le couteau sur la gorge”. La démarche mitterrandienne, généreuse, vieille aujourd'hui de treize ans, a montré ses limites dans une Afrique ravagée par les épidémies, le sous-développement et les guerres tribales. Dans les faits, la politique française s'est traduite par un désengagement sans alternative et un désintérêt croissant qui a culminé sous le “règne” d'Edouard Baladur à Matignon (1994-1996). Jacques Chirac réussira-t-il à remonter la pente dans un environnement monopolisé par la puissance américaine sourde à toutes les interpellations ? Rien n'est moins sûr, mais l'intention y est. “L'Afrique et la France, ensemble dans un nouveau partenariat”, thème de la conférence, devrait se traduire, sous peine d'échec, par la mise en place des outils réels et efficients permettant la mise en œuvre des trois axes qui le sous-tendent : la paix et la sécurité, le développement et les réponses aux grands défis du moment, terrorisme, banditisme, environnement etc... Encore faudrait-il que Paris augmente substantiellement sa part de PIB consacrée à l'aide publique au développement et convainc les autres capitales occidentales à faire autant. Pour rester lucide, l'environnement international actuel, avec les tensions autour de l'Irak qui exacerbent les divergences, il est évident que la partie n'est pas gagnée d'avance.