U n homme pousse péniblement une charrette jonchée de fruits au milieu d'automobiles qui roulent dans tous les sens. Bien que le banal est ordinaire, ce qui attire particulièrement l'attention c'est qu'au bout de la charrette est planté un drapeau national. Cela fait penser aussitôt à des groupes de personnes, hommes, femmes et enfants qui viennent parfois manifester devant un bâtiment officiel en déroulant une banderole et en brandissant des drapeaux nationaux. Comme les gardiens de voitures agréés, mais chassés du jour au lendemain par les horodateurs, ce drapeau sur une charrette a la même signification. C'est une protection contre les éventuels matraqueurs et une manifestation d'un patriotisme de bon aloi qui n'a rien du nationalisme américain, arrogant, et qui ne peut se manifester que chez les parvenus. Le patriotisme de ce marchand ambulant, bien que n'ayant aucune parenté avec la lutte contre la «profitation» des Guadeloupéens, exprime «infine» une critique. Il est clair qu'un marchand est un homme ou une femme qui n'ont pas trouvé de travail. Ils font commerce de fruits, de légumes, de linge, de divers objets et même de petits paquets de mouchoirs. Cela ne peut que susciter la sympathie parce que leur fierté leur interdit de tendre la main et préfèrent galérer. On ne comprend pas alors pourquoi on leur fait la chasse, et parfois même on les rackette. Peut-être pour les dérober à l'objectif des touristes. Les gouvernants ont dû pourtant remarquer lors de leurs voyages à travers le monde, qu'il y a des marchands ambulants dans les plus grandes villes du monde, que ce soit New York ou Paris. Ces marchands ambulants ne font du reste que s'insérer dans la politique gouvernementale qui tend à transformer les chômeurs en entrepreneurs, c'est-à-dire de petits patrons qui se procurent de ce fait un emploi, grâce au microcrédit. Ce faisant, ils soulagent cette institution en s'autofinançant. Il n'est pas inutile de rappeler que le principe du microcrédit est une invention d'un économiste du Bengladesh qui a été récompensé par un prix Nobel. C'est évidemment une bonne chose que le Maroc ait pris la balle au bond. Quoiqu'on imagine mal qu'un pays puisse se tirer d'affaire en transformant ses chômeurs en patrons. Avec la crise qui s'amplifie on se demande si la voie choisie n'aboutira pas à l'installation de patrons plus nombreux que les salariés. D'autre part, il y a toujours les diplômés chômeurs qui, de temps en temps, se rappellent au bon souvenir des pouvoirs publics. Cela fait de nombreuses années qu'ils galèrent, non pour gagner quelque argent, mais qu'on leur procure un emploi. Depuis des années qu'ils manifestent, ces jeunes, qui le sont moins aujourd'hui ont même observé une grève de la faim. C'est de l'humour authentique parce qu'il procède de l'absurde. Faire une grève de la faim pour avoir le droit de manger, cela ne fait pas rire mais arrache un sourire semblable à une grimace. Leur galère excite l'imagination. Les pouvoirs publics pourraient envisager de leur accorder une retraite, considérant l'ancienneté de leur lutte qui pourrait être assimilée à un travail. Mieux. Peut-être même un pécule leur serait alloué en contrepartie d'un départ volontaire. Cela ne nécessiterait certainement pas une grosse enveloppe et évacuerait un problème douloureux. Bien au contraire, on leur fait la chasse. En ces temps empreints de tristesse, voilà que des puritains prônent la chasse aux filles de joie. Sans doute craignent-ils d'avoir à s'émerveiller devant une femme habillée d'un rayon de lune. n