Dans une interview avec le magazine allemand DerSpiegel, Avraham Burg, ancien président de la Knesset, évoque le revirement à droite d'Israël suite aux élections, le «monopole de l'Holocauste» dans la vie quotidienne des Israéliens et les opportunités manquées par les Palestiniens et Israël. Der Spiegel : M. Burg, une majorité d'Israéliens ont voté pour des partis de droite, et aujourd'hui, Benyamin Netanyahu est désigné Premier ministre. En tant qu'homme de gauche, comment vous sentez-vous ces derniers jours ? Avraham Burg : Je sens que je suis en train de perdre mes repères politiques, idéologiques et spirituels. En tant qu'Israélien, je me sens perdu, parce qu'un grand nombre de mes compatriotes affectionnent la guerre comme solution à tout. Mais la perte la plus existentielle est de nature spirituelle : pour moi, être Juif, c'est être universaliste, humaniste. Je ne conçois pas qu'un Juif puisse voter à droite. Je ne comprends pas qu'un Juif puisse parler le langage de la xénophobie. Et pourtant, un trop grand nombre d'entre eux viennent de le faire. (…) Les sociétés palestinienne et israélienne ont développé le syndrome de Stockholm : nous sommes attachés à nos ennemis. (…) Israël est comme un enfant battu qui devient un parent violent. Est-il possible que cette nation sorte un jour de ce cercle vicieux ? Vous avez écrit : « La Shoah est plus présente dans nos vies que Dieu ». Cela ressemble à un blasphème. Comment la vérité peut-elle être blasphématoire ? On compare constamment tout à la Shoah. Prenez Netanyahu. Il a comparé le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à Hitler. Ne pensez-vous pas que le régime iranien soit une menace à l'existence d'Israël ? Si, je le pense, mais si l'on utilise l'Holocauste comme exemple extrême pour comparer tout et n'importe quoi, en fin de compte, tous les repères sont annihilés. On se dit « Gaza ? C'est vrai, ce n'était pas bien, mais ce n'était pas non plus les chambres à gaz ». Parce que rien n'est comparable à l'Holocauste, tout est permis, voilà la logique. Dans votre livre, vous avancez que le « complexe de culpabilité dû à la Shoah a créé une obsession nationale pour un sécuritisme exagéré qui se transforme souvent en belligérance primitive ». Nous sommes un peuple en colère, nous sommes extrêmement agressifs. (…) Nous, Israéliens, sommes les champions du monde des opportunités manquées. D'abord, nous ne voulions pas parler à l'Organisation de libération de la Palestine. Puis, nous l'avons fait. Aujourd'hui, l'histoire se répète avec le Hamas. Le jour où Gaza deviendra le bastion d'Al-Qaïda, nous nous apercevrons que le Hamas n'était pas si horrible que ça.