Crée en 1958, la chanson « Bent lamdina », écrite par Abdallah Chakroun, composée par Mohamed Benabdessalam et interprétée par Maâti Belkacem, n'a pas pris la moindre ride. Bent lamdina”, qu'on peut traduire par La citadine, fait partie des premières chansons marocaines dites Asria. Un genre nouveau né avec l'indépendance se démarquant à la fois des traditions marocaines classiques (musique andalouse, Malhoun) et populaires, ainsi que des formes orientales, surtout Egyptiennes, qui dominaient la scène à l'époque. Dans ce contexte, l'écrivain et homme de médias par excellence Abdallah Chakroun, a eu l'idée de créer un orchestre nouveau en dehors de l'orchestre moderne, dirigé alors par Ahmed Bidaoui. Il en confie la direction à Mohamed Benabdessalam, luthiste au sein d'une formation de Malhoun, qui entame la sélection des musiciens. On fait appel à Brahim Salah, tunisien connu au sein des cercles parisiens, qui vient de s'installer au Maroc. L'orchestre Al Mounawaât vient de naître. Il ne manquait à Mohamed Benabdessalam que des paroles pour commencer la composition. La nouvelle poésie dialectale n'existait pas. Abdallah Chakroun, habitué à écrire des pièces théâtrales pour la radio, s'essaye à la nouvelle expérience. Il commence par «Al Masrara», inspirée de sa compagne l'actrice Amina Rachid, alias Jamila Benomar, chantée par Mohamed Bentahar et enchaîne par «Bent Lamdina». «O fille de la ville/c'est sur toi que je chante/la fille de mon pays est belle/je lui offre mon art». Une fois les paroles, célébrant l'émancipation de la femme marocaine, entre ses mains, Mohamed Benabdessalam, en grand connaisseur des rythmes et chants traditionnels, les habille d'une composition adéquate. Maati Belkacem, chanteur parmi les fondateurs de la chanson marocaine moderne, l'interprète avec beaucoup de grâce. Enregistrée à la radio, Bent lamdina devient le refrain applaudi au cours des tournées de l'orchestre Al Mounawaat. Une fois au défunt théâtre municipal de Casablanca on a frôlé l'émeute ! Au moment où Maâti Belkacem venait de finir de la chanter, une partie du public scandait, «et Bent Derb Sultan» ! Bent lamdina à Casablanca ne peut avoir qu'une seule signification, à savoir la fille de l'ancienne médina. Il fallait donc chanter aussi la fille de Derb Sultan, l'autre grand et rivale quartier de la ville. Le regretté Bachir Laâlej, qui animait la soirée, a calmé les esprits en promettant que d'ici la fin de la soirée on improvisera un morceau sur les filles de Derb Sultan. Depuis sa création, Bent Lamdina n'a pas pris la moindre ride. Le refrain est repris en toute occasion et en toute fête familiale marocaine. Il traversa les frontières et devient l'une des chansons marocaines les plus reprises dans le monde arabe avec les versions, entre autres, du tunisien Lotfi Bouchenak et du Koweitien Abdelmouhcine Lamhanna. ■ Maâti Belkacem. Le pionnier Maâti Belkacem est l'une des figures emblématiques de la chanson marocaine moderne. Né à Salé en 1928, sa première école est le «Msid» ou l'école coranique grâce à laquelle il s'initia à la psalmodie. Passionné dés son jeune âge par la musique et les chants, il fréquentait les cafés chantants de musique andalouse et du Malhoun, notamment celui de Mohamed Baroudi, les «Hlaki» de Bab Lakhmis et de Souk Laghzel, ces cercles de chanteurs itinérants, sortes de troubadours, de bouffons et autres jongleurs. Encouragé par un certain Hanouni à poursuivre son cheminement artistique, il commence par imiter, à 15 ans, les morceaux orientaux de Mohamed Abdelouahab, Oum Kaltoum et Farid Al Atrache. A 19 ans, il fonde, en 1947 et en compagnie d'un groupe d'amis qu'encadraient Benabdessalam et Mekki Frifra, l'orchestre «Al ittihad assalaoui». On dit qu'il a fréquenté et joué dans des groupes de jazz américains. La base de Kenitra était à deux pas de Salé. Soliste et virtuose de contrebasse et de luth plus tard, interprète et compositeur, le répertoire de Maâti Beljacem contient pas moins d'une centaine de chansons d'amour. On lui doit aussi «Houani, houani», «Min Bab Choubak», «Ya lkaouini», «Ah ya kalbi», «Dani yamma»,«Ayyam rabiaa»… Outre la chanson légère en dialecte, Maâti Belkacem à intetprété des poèmes arabes classiques. Chanteur humble et populaire au Maroc mais aussi dans Maghreb. Star en Algérie et en Tunisie où sa «Mahbouba» reste l'un des tubes indémodables. Maâti Belkacem nous a quitté au mois de mai 2001.