La jeunesse rurale a changé, elle a beaucoup changé. Ses rêves ne se limitent plus aux mirages de la ville. Mais sa mal vie est tenace. I l est faux, dans le Maroc de 2008, de parler de la jeunesse rurale de manière globalisante. La réalité socio-économique a changé, et la campagne n'est plus aussi monolithique qu'avant. Ainsi, de petits villages sont devenus de grosses bourgades. Les jeunes y vivent en copiant ceux des cités. Dans ces centres, l'électricité a joué un grand rôle. Les jeunes ont accès à l'internet, mais surtout à la parabole. De passage, vous pourriez remarquer un style d'habillement assez excentrique, des démarches très « in ». On peut aussi voir des jeunes gens au café, scotchés devant une télévision à voir en boucle « Al Jazeera » et parfois des films hindous. Par contre, le Maroc profond, dit inutile, est un vrai désert pour les jeunes. Il n'y a rien, strictement rien, à part les rêves de fuites, les amours contrariés, et la chape d'un conservatisme de façade, incapable de cimenter des populations en proie à toutes les frustrations. Frustrations, voilà le maître mot. La misère est acceptable, tant qu'elle n'est pas de manière quotidienne, permanente, opposée à l'opulence. Or, aujourd'hui la jeunesse rurale sait que d'autres Marocains ont un modèle de consommation inaccessible pour les fils de Khammas. L'erreur de Hassan II Ce monde est en fait inconnu. Il n'y a ni travail universitaire sérieux, ni étude approfondie qui concerne cette population. Elle est en diminution constante, parce que le premier rêve de tout jeune paysan c'est de déguerpir, aller là-bas au loin, ou au moins à la ville la plus proche. Ce n'est pas un dossier journalistique qui changera cette donne. En fait, le Maroc a raté quelque chose d'essentiel. Hassan II a refusé de construire des villages paysans et de dissocier l'habitat et la terre cultivable. En refusant cette approche, il a poussé à la désertification des campagnes, à l'exode rural, à la ruralisation des villes et in fine à un Maroc biscornu, où les cités sont des villages, les villages du n'importe quoi, et les campagnes des mouroirs. L'éducation dans le monde rural est un échec que les quelques réussites individuelles ne peuvent occulter. Les départements gouvernementaux ont tous abdiqué leurs fonctions vis-à-vis du monde rural. Le ministère de la Culture n'a pas dépensé un seul dirham, de son faible budget dans nos campagnes, en 53 ans. Depuis 15 ans, le programme d'électrification fonctionne à pas forcé. Les routes se construisent et ont permis de décloisonner une série de régions. Le retard est tellement important qu'on est tenté de dire c'est trop tard. Said Ameskane racontait sa campagne. Il a dû faire 15 Km en une heure pour joindre un village en pleine montagne. Les jeunes ne l'ont pas laissé entrer pour faire campagne et lui ont annoncé que le village protestant contre sa marginalisation, allait boycotter les élections. Ils l'ont fait, puisque personne n'a voté dans ce douar. Ces jeunes étaient dirigés par des diplômés chômeurs. À Bouarfa, à Tata, à Sidi Ifni. C'est cette catégorie qui mène la danse. La démocratisation a permis aux rares jeunes lettrés de prendre le pas sur les notables traditionnels. Ils sont vindicatifs, décidés, presque kamikazes. Le Maroc doit leur donner leur place, au risque de le payer très cher.