L'affaire du policier d'origine marocaine accusé d'espionnage, secoue le landerneau politique néerlandais. Le Parlement exige des explications et le parti de l'extrême droite PVV s'apprête à utiliser cette affaire pour faire passer ses slogans anti-marocains. La Gazette du Maroc : L'histoire de ce Marocain Néerlandais accusé d'espionnage est-elle vraiment sérieuse ou s'agit-il d'une opération d'intox des services hollandais ? Jamal Eddine Ryane : L'histoire est très sérieuse et c'est la deuxième affaire, en l'espace de quelques mois. En effet, rappelons qu'un autre fonctionnaire hollandais d'origine marocaine avait subi le même sort. Traducteur au sein des services de renseignement (AIVD), il avait été accusé de transmettre des informations sensibles à Rabat. L'affaire a éclaté après les révélations faites au cours d'une émission de la télévision néerlandaise qui s'appelle «NOVA». Une journée avant l'ouverture du Parlement dans sa session ordinaire pour discuter le budget 2009. Après l'émission, l'information a été rapportée ici par plusieurs journaux des Pays-Bas : à Rotterdam, un policier néerlandais d'origine marocaine a été désigné comme espion à la solde des services de renseignements marocains. Le policier, a tout de suite été renvoyé pour «manquement grave au devoir». L'aéroport de Rotterdam l'a licencié la semaine dernière et il est renvoyé chez lui comme non actif, puisque l'aéroport l'a embauché comme coordinateur du projet Maxima après son licenciement par la police. C'est ce qu'a déclaré un représentant de la police locale, en précisant que l'homme en question avait déjà été licencié au printemps dernier. L'affaire a été étouffée à la fois par les autorités et les politiques, et la police judiciaire nationale a ouvert une enquête sur les agissements de l'ex-agent, soupçonné d'avoir transmis des informations confidentielles aux services secrets marocains concernant des compatriotes marocains. Le ministre des Affaires étrangères néerlandais Maxime Verhagen, a affirmé qu'il considérait ces allégations d'espionnage comme «très sérieuses». Sous la pression des Pays-Bas, le Maroc a rappelé le mois de juillet dernier, deux collaborateurs de son ambassade à La Haye. Ils auraient «recruté» au moins une personne comme espion, l'agent de police de Rotterdam, en question. On se demande pourquoi le Maroc utiliserait ces méthodes d'espionnage au moment où il y a une coopération étroite entre les renseignements secrets des deux pays. Qui est ce policier marocain, son poste lui permet-il réellement d'avoir accès à des informations sensibles ? Rédouan Lemhaouli, âgé de 38 ans, commissaire de police dans la ville de Rotterdam est en service depuis 19 ans et est en même temps, élu dans le Conseil d'affaire de la police locale de Rotterdam. Le policier limogé était pourtant considéré comme un «exemple d'intégration aux Pays-Bas» et était «très actif sur le plan culturel et social pour aider les jeunes issus de l'immigration marocaine à s'intégrer à travers le travail et l'éducation». Il occupait l'un des postes clés au sein du projet Maxima (du nom de la princesse). En février dernier, en présence du ministre des Jeunes et de la Famille, de l'ambassadeur marocain aux Pays-Bas, l'épouse du prince héritier des Pays-Bas la princesse Maxima avait supervisé la remise des trophées à 57 jeunes bénéficiaires. Son poste de commissaire lui permet bien sûr l'accès à des informations sensibles sur les marocains résidant aux Pays-Bas, et c'était un moyen comme un autre pour les services secrets marocains de suivre de près les activités des ressortissants marocains. Au moment où ils rentrent pour passer leurs vacances au Maroc, ils pourraient être l'objet d'interrogatoires et même d'enlèvements, comme ce fut le cas d'un citoyen marocain de la région d'El Hoceima l'été dernier. La Chambre basse vient d'exprimer sa grave préoccupation au sujet de l'influence exercée par le Maroc sur ses compatriotes aux Pays-Bas. Pourquoi cette affaire paraît-elle aussi importante pour les hollandais ? Jeudi dernier, la deuxième chambre a demandé des explications au gouvernement sur l'influence des autorités marocaines aux Pays-Bas, à la suite de cette affaire. Le ministre des Affaires étrangères Maxime Verhagen a parlé de «pratiques particulièrement fâcheuses». Le ministre CDA part du principe que le Maroc s'abstiendra désormais de telles activités. Néanmoins, il en parlera à son homologue marocain Taib Fassi Fihri la semaine prochaine, en marge d'une réunion de l'ONU à New York. Un débat parlementaire d'urgence suivra la semaine prochaine, sur l'initiative du CDA, le parti politique du Premier ministre. D'ici là, le gouvernement néerlandais va répondre dans une lettre au Parlement pour s'expliquer sur cette affaire et pour savoir si le Maroc essaie toujours de recruter des Néerlandais d'origine marocaine ou des personnes ayant à la fois un passeport néerlandais et marocain. Une réunion des présidents des groupes parlementaires s'est tenue d'ailleurs à huis-clos pour plus d'informations sur l'affaire. Le débat au Parlement sera chaud, puisque le parti de l'extrême droite PVV va l'utiliser pour faire passer ses slogans anti- marocains comme il l'a fait pendant la discussion du budget, en annonçant que les Pays-Bas sont préoccupés par les dépenses occasionnées par les marocains à double nationalité. Il avait notamment demandé de déchoir le fameux policier de sa nationalité comme il a exigé son exclusion vers le Maroc. Quels sont vos rapports (en tant que communauté marocaine) aujourd'hui avec les autorités et la population autochtone après l éclatement de cette affaire ? Cet épisode apportera de l'eau au moulin de l'extrême droite hollandaise qui fait de l'immigration son sujet de prédilection. La population autochtone est choquée par cette affaire d'espionnage et la considère comme une ingérence marocaine dans les affaires intérieures du pays. La tentative marocaine de reprendre le contrôle sur la communauté marocaine pourrait se heurter aux législations en vigueur dans les pays concernés. Les autorités hollandaises seront très alertes avec les hauts fonctionnaires d'origines marocains et il y a maintenant une large discussion sur le rôle de quelques députés au parlement, d'origine marocaine pendant leurs contacts avec le Maroc. Ce qui a provoqué l'indignation des députés. Cette affaire aura une influence sur la discussion menée il y a des mois sur le double passeport et sur la nouvelle loi qui sera présentée au parlement par le ministre de la justice pour exiger le choix d'une seule nationalité, le projet de loi se trouve maintenant chez le conseil constitutionnel de l'état pour qu'il donne son avis. Depuis des décennies, Rabat cherche à surveiller la communauté marocaine établie à l'étranger, notamment dans le cadre de la lutte contre l'infiltration marxiste pendant la guerre froide, puis contre l'islamisme après les attentats du 16 mai à Casablanca. Ce qui est regrettable, c'est que la communauté marocaine en Europe accorde peu de confiance aux autorités, notamment après l'expérience du «Conseil des Marocains à l'Etranger» accusé d'avoir institué le copinage comme mode de gestion. Et maintenant avec cette affaire d'espionnage, la situation risque d'empirer. ■