Entré illégalement, voire par la voie «normale» au Maroc, le détergent contrefait, dérange beaucoup de firmes. Si le Maroc traîne toujours l'image d'une économie où prospère la contrefaçon, la politique de renforcement de l'attractivité des investisseurs étrangers semble loin d'aboutir. ■ Passant par les marchés populaires, il est pratiquement impossible que des commerçants, spécialisés dans la vente de détergents en vrac ou dans un emballage, n'attirent pas l'attention. Ces produits commercialisés au même prix que le produit original sont contrefaits, et font l'objet d'un commerce illicite. Pour remonter la filière de ce réseau de contrefacteurs, plusieurs commerçants ont été interrogés, mais ne sont pas enclins à révéler les noms et adresses de leurs fournisseurs. Leurs réponses sont souvent les mêmes : «ce sont les fournisseurs qui se déplacent vers nous. Nous ne connaissons ni leur adresse ni…». La contrefaçon dans ce secteur, est organisée en de véritables réseaux. Ainsi ces seigneurs de la contrefaçon demeurent dans l'ombre. Le réseau traditionnel La visite effectuée le mois de février dernier à Derb Milla, lieu de décharge des amas de Bakchachas, nous a permis de découvrir la première chaîne de ce circuit. Pour en savoir plus, le gardien des lieux nous a recommandé une visite à Tit Mellil. Non loin du lieu de décharges publiques, un dépôt très vaste attire l'attention. Des amas d'ordures en tout genre, d'une dizaine de mètres de haut, occupent le terrain : des bouteilles en plastique, en verre, du métal, des objets en aluminium et autres. C'est à ce niveau que le tour est joué ! Des femmes, hommes et enfants y travaillent. Les hommes trient les ordures. Les femmes et les enfants lavent les bouteilles et bidons de plastique dans des bassins. Nasser, un bakchach spécialisé dans le tri des bouteilles d'eau de javel, a déclaré qu'elles sont lavées et livrées à des industriels contrefacteurs, dits dans le circuit les conditionneurs. Elles serviront pour la vente d'un détergent. D'où proviennent les produits liquides servant de remplissage de bouteilles récupérées par des contrefacteurs ? Selon les statistiques de l'Administration des Douanes, les importations des produits de préparation de lessive et savons sous différentes formes depuis la Syrie et la Turquie, ont totalisé 2.007 tonnes en 2000. Pour le premier semestre 2.001, elles ont atteint 800 tonnes. Une partie de ces détergents bon marché est revendue par la suite à des contrefacteurs. Il est clair que l'opération bascule du formel à l'informel. Les détergents importés en vrac (des sacs de 10 à 20 kg) du Moyen-Orient, notamment la Turquie et la Syrie, passent par le circuit légal. Ce n'est qu'une fois les frontières franchies que l'opération bascule dans l'informel. La gène économique Entré illégalement, voire par la voie «normale» au Maroc, le détergent contrefait dérange beaucoup de firmes qui ont engagé des investissements très importants pour connaître le marché, rester à l'écoute du consommateur et lui offrir un produit de qualité. Leur réussite sur le territoire marocain est essentiellement dûe à un bon dosage entre les éléments du marketing mixte : le produit qu'il faut commercialiser à un prix acceptable, par le biais d'un circuit de distribution optimal et soutenu par des actions de communication adéquates. Le problème de ces firmes internationales, serait donc de prendre les parts de marché à leurs concurrents livrés à la contrefaçon. Il s'agit de la concurrence des produits contrefaits. Pour les détergents, les chiffres sont spectaculaires. Le manque à gagner des industriels au niveau national, dépasse les 900 millions de DH pour un seul produit, toutes marques confondues. D'après les industriels, le gros problème n'est pas la perte d'une marge importante du chiffre d'affaires, mais de la menace et la dégradation de leur notoriété auprès d'une clientèle qui a cru au sérieux de marques historiques devenues des références. Un litre de détergent acheté en contrebande à 10 DH permet le remplissage de 10 flacons d'une contenance diluée à l'eau et/ou à d'autres substances de 20 cl, vendus parfois au consommateur au même prix que le produit original. Les grossistes bénéficient toutefois d'une réduction, atteignant parfois 30 % par exemple pour l'eau de javel. Pire encore, il a été constaté que ces détergents contrefaits contiennent du formaldéhyde, irritant, allergisant mais aussi cancérigène. En outre, certains sont capables d'émettre des composés organiques volatiles (COV). Les détergents sont des préparations composées d'agents nettoyants. Ces derniers sont des tensioactifs de synthèse, fabriqués à partir du pétrole, auxquels sont ajoutés des additifs : parfums, conservateurs, colorants, agents anticalcaires, régulateurs de pH, abrasifs. Les substances dangereuses des détergents sont : n La naphta : peut toucher le système nerveux central n La diethanolsamine : toxique pour le foie n La chlorophenylphenol : très toxique Cela dit que toute composition non conforme aux normes, provoque des émissions inquiétantes qui restent dans l'air après le nettoyage pendant plusieurs heures. Si le Maroc traîne toujours l'image d'une économie où prospère la contrefaçon, la bataille des lessiviers pourrait-elle continuer à envahir les terrasses et les buanderies pour toucher les cordes sensibles de la ménagère ? Les services anti-fraude existent au Maroc, mais ne peuvent intervenir que lorsque le produit contrefait manifeste une qualité défectueuse menaçant la santé du consommateur. Dans le cas contraire, c'est l'industriel qui doit mobiliser ses forces pour détecter la contrefaçon. Quand au rôle des services économiques des préfectures, le chef de ce service à la préfecture de Casa Anfa a confirmé qu'ils ne sont pas habilités à intervenir dans de telles affaires!