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Une vie d'artiste : Profession Chikha
Publié dans La Gazette du Maroc le 25 - 07 - 2008

Dans un cabaret oriental de Casablanca, Soumaya El
Bidaouia (c'est son pseudo) chauffe la salle tous les soirs, aux sons de la darbouka, du clavier et du violon. Depuis plus de 30 ans, elle fait de sa passion pour le chant et la danse son métier.
Il est minuit passé, Soumaya et ses musiciens sont sur la scène. Les clients sont installés, certains fument la chicha, d'autres sirotent leur boisson en regardant les danseurs sur la piste. La chanteuse passe entre les fêtards, danse avec l'un, en enlace une autre. «C'est mon métier, les gens viennent chercher du rêve, oublier certaines réalités». Oui, Soumaya est médecin de l'âme, psychologue. «Parfois, des hommes mariés ou des couples me demandent de rester après le spectacle. Ils ont besoin de parler, de se soulager». Le client est roi, le patron du cabaret ne rigole pas avec ça. Même quand elle est épuisée, la chanteuse doit rester, s'attabler, boire avec des clients qui la retiennent souvent jusqu'à l'aube.
Débuts
Soumaya a 25 ans quand elle commence à être connue dans les mariages auxquels elle est conviée. Elle danse et chante par plaisir, les invités l'adorent. De plus en plus souvent, on accroche des billets à ses habits de soirée. Cet argent récolté par la danseuse va aux groupes de musiciens, qui l'appellent alors fréquemment en tant qu'associée. La jeune femme commence à gagner sa vie seule, «je travaillais en cachette, je ne voulais pas que ma famille le sache, mais nous avions besoin de ce que je rapportais. Mon père était mort, ma mère malade, et j'avais des neveux à charge».
De noce en noce, Soumaya subvient tant bien que mal aux besoins d'une famille nombreuse. Même après son mariage avec un commerçant, elle continue. «J'aurais aimé pouvoir arrêter. Mais le commerce de mon mari était un bien de famille, lui et ses frères se partageaient tout, ce qu'il gagnait ne nous suffisait pas ». L'artiste persévère, malgré les conflits que cela entraîne avec sa belle-famille et dans son couple. «Si je pouvais passer un message aux femmes d'aujourd'hui, je leur dirais de remercier leur mari s'il prend soin d'elles et assume son rôle de père de famille, parce que souvent, un mari devient une personne à charge».
Mère courage
Soumaya et son mari se séparent, mais elle fera tout pour bien élever son fils, comme toujours. Les mariages d'antan, où les chikhates étaient de rigueur, se font de plus en plus rares, et les musiciens «préfèrent embaucher des filles de Oued Zem ou de Khouribga qui ne demandent pas grand-chose». Peu importe, mère courage n'a pas froid aux yeux et a plus d'une corde à son arc. Dorénavant, elle arrondira les fins de mois en chantant dans des cabarets. «Heureusement que ma sœur est là. Elle s'est toujours occupée de ses enfants et de mon fils. Je ne le vois que très peu, avec les horaires que j'ai. Mais je suis fière, j'ai un bon fils. Je remercie Dieu pour tout».
Pas de week-end pour Soumaya, son patron exige sa présence tous les soirs de la semaine. Quand elle rentre, lessivée, après des heures d'un métier où l'alcool et la cigarette sont presque des outils de travail, elle parle parfois avec sa sœur. «Souvent, elle pleure beaucoup, elle prie pour moi. Mais que pouvais-je faire ?». Aujourd'hui, sa famille sait, mais elle l'accepte. Son fils l'a appris tôt, quand un «camarade» d'école l'a appelé «fils de chikha». Depuis, il a compris que sa mère n'avait pas d'autre choix. Ce métier risqué -Soumaya a reçu un jour une bouteille au front, dans une bagarre entre clients-, elle ne l'exerce pas toujours de gaieté de cœur. «J'aime chanter, chanter l'amour, la famille, mais aujourd'hui, je veux me reposer».
Futur et retraite
Soumaya a plus de 50 ans aujourd'hui. Comme beaucoup d'artistes, elle n'aura de retraite que ce qu'elle a pu économiser. Soit très peu. Son employeur la paye 70 Dh par soir de travail, il lui reste autour de 250 Dh des pourboires offerts par les clients, une fois qu'ils ont été partagés en trois parts égales entre elle, le propriétaire du cabaret et les musiciens. Elle n'en perd pas le sourire, malgré la tristesse qu'elle dégage par moments, malgré les larmes qu'elle n'a pu empêcher de couler quand elle parlait de sa famille. «Show must go on». Mais jusqu'à quand en aura-t-elle la force ?


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