En décembre 2002, le Maroc a connu une deuxième phase dans le processus de restructuration de l'autorité territoriale. 10 nouveaux walis et 9 gouverneurs ont été nommés et s'ajoutent à la première promotion des 9 walis nommés en juillet 2001. Ces nominations renforcent le nouveau concept de l'autorité tel que défini par Sa Majesté le Roi Mohammed VI lors de son discours historique de Casablanca. Lorsqu'on annonce le nouveau visage de l'autorité territoriale, cela ne veut pas dire que les vieux visages ont totalement disparu de la scène. Au contraire, les représentants de l'ancienne ère continuent à lutter pour sauvegarder leurs positions malgré les dispositions de la nouvelle ère caractérisée par la volonté d'effacer les séquelles du passé. En effet, le pouvoir tend à situer l'autorité territoriale dans sa véritable dimension pour qu'elle joue son rôle au service du citoyen. Mais on ne peut comprendre cette nouvelle démarche sans mentionner deux objectifs majeurs qui ont été à la base des nouvelles nominations. Il s'agit de l'organisation de la fonction du Wali et de la priorité donnée à la dimension du développement aux dépens de l'approche sécuritaire. Organisation juridique de la fonction du Wali Il faut tout d'abord souligner que la fonction du Wali a été créée initialement pour des raisons sécuritaires. Cette création avait un lien direct avec les grèves du 20 juin 1981 déclenchées par les larges masses populaires. Or, ces grèves ont été réprimées dans le sang par les différents corps de la sécurité, y compris l'armée. Après ces douloureux événements, les autorités n'ont pas essayé d'analyser la situation ni d'identifier les causes directes et indirectes du soulèvement. Elles ont opté pour une solution qui leur paraissait simple au début et qui consistait à démembrer les grandes villes pour mieux les maîtriser. Ainsi fut créé le poste de Wali, comme chef hiérarchique des différents gouverneurs chargés avant tout de gérer la ville selon l'approche sécuritaire. Le premier à avoir été nommé à ce poste fut Ahmed Fizazi qui avait pris ses nouvelles fonctions le 27 juillet 1981. Mais il faut remarquer que depuis cette date et jusqu'au début de l'année 2001, le poste de Wali n'a pas connu de fondements juridiques ni administratifs. Ainsi, la fonction de ces Walis, qui sont considérés comme les supérieurs hiérarchiques des gouverneurs, ne repose sur aucun cadre constitutionnel. Il en est ainsi de l'article 102 de la constitution qui stipule que : “dans les provinces, les préfectures et les régions, les gouverneurs représentent l'Etat et veillent à l'exécution des lois. Ils sont responsables de l'application des décisions du gouvernement et, à cette fin, de la gestion des services locaux des administrations centrales ”. Par conséquent, le gouverneur est doté d'une couverture constitutionnelle, alors que dans cette même constitution, il n'y a pas de trace de la fonction du Wali. En outre, il n'y a aucun texte réglementaire de cette fonction, à part une furtive allusion contenue dans le discours de feu S.M Hassan II prononcé à l'occasion de la nomination des cinq gouverneurs de Casablanca en 1981 et du Wali Ahmed Fizazi chargé de “ veiller à la coordination des tâches publiques entre ces préfectures sans que cela ne lèse les intérêts d'aucune partie ”. Cette même situation devait perdurer après la nomination des premiers walis de l'ère nouvelle en date du 28 juillet 2001. Ainsi, le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI ne devait qu'apporter des indices nouveaux quant à leurs fonctions en soulignant notamment que : “ … ces nominations s'inscrivent dans la logique de la continuité du nouveau concept de l'autorité défini le 12 octobre 1999 à Casablanca ”. Bien entendu, le nouveau concept de l'autorité a défini un nouveau contenu à la fonction de l'autorité territoriale, basé sur une politique de proximité. Cependant , aucun cadre juridique n'a été défini pour autant. Mais, ce n'est qu'en date du 9 janvier 2002, lors de la présentation de la lettre royale adressée au Premier ministre, relative à la gestion déconcentrée de l'investissement, qu'une frontière a été délimitée clairement entre le gouverneur et le Wali. Conflit de compétences Avant de parler de la lettre royale, il faut souligner toutefois qu'un véritable conflit de compétence a été déclenché par le ministère de l'intérieur et la Primature. Ce conflit a émergé sur la base de l'une des principales revendications de la Koutla démocratique relatives à l'autorité territoriale. Ainsi, le mémorandum de 1996 présenté par la Koutla au Souverain a appelé à permettre aux instances locales élues d'appliquer ses propres décisions. Cette revendication implique la suppression de la tutelle de l'autorité territoriale en la soumettant au pouvoir du Premier ministre. Cependant, si les prérogatives des walis et des gouverneurs sont immenses, y a-t-il pour autant conscience du degré des responsabilités ? Y a-t-il coordination et coopération entre l'autorité territoriale et les élus ? A ce propos, il faut souligner que la fonction du Wali et du gouverneur n'est pas uniquement d'ordre administratif. Elle est surtout, et avant tout, d'ordre politique qui a fait que dans de nombreux pays démocratiques, elle est occupée selon le suffrage universel. Au Maroc, il y a réellement un vrai problème sur ce volet. Le Wali et le gouverneur sont administrativement et du point de vue sécuritaire sous la tutelle du ministre de l'Intérieur et en même temps, ils sont sous la tutelle du Premier ministre quand il s'agit de la coordination entre les différents services des administrations centrales. C'est cette dualité qui a été dénoncée par les partis démocratiques. D'ailleurs, l'ex-premier ministre Abderrahman Youssoufi a bataillé pour imposer cette nouvelle vision notamment en présidant une réunion avec les Walis et les gouverneurs. Mais, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Driss Basri, a vidé cette réunion de toute sa substance en s'attachant à sa tutelle directe sur les représentants de l'Etat. La troisième voie La lettre royale sus-mentionnée est venue couper court à ce conflit de compétences. Ainsi, l'initiative royale a mis les gouverneurs et les walis sous la tutelle administrative du ministre de l'Intérieur. Mais elle les a soumis également à la tutelle directe du Souverain. En plus, cette lettre a défini, pour la première fois, le cadre juridique de la fonction du Wali tout en soulignant sa dimension basée sur l'approche du développement durable dans le cadre d'une démocratie de proximité. Ainsi, certaines prérogatives du gouvernement ont été dévolues aux walis et gouverneurs notamment en ce qui concerne l'encouragement de l'investissement. En vertu de cette disposition, les centres régionaux de l'investissement ont été placés sous la tutelle directe des Walis qui sont devenus les interlocuteurs uniques des investisseurs tant nationaux qu'étrangers : “ le wali de la région est chargé de l'organisation et du fonctionnement du centre régional d'investissement, ainsi que de la création, de l'organisation et du fonctionnement des guichets d'aide à la création des entreprises dans les provinces, préfectures ou communes de la région ”. La lettre ajoute également “qu'auprès des walis, la responsabilité de nos gouverneurs dans l'application de cette nouvelle politique reste entière et est appelée à se renforcer ”. Par conséquent, les walis sont tenus de répondre de leurs actions au Souverain. Qu'en est-il de la dimension sécuritaire ? Il est à remarquer que la caractéristique principale de l'ère nouvelle se situe au niveau de la priorité que devrait accorder l'autorité territoriale au développement économique. Ainsi, les premiers walis de juillet 2001 ont tous été nommés en dehors de l'administration territoriale. Ce sont des technocrates qui se sont illustrés dans leurs domaines respectifs notamment dans la gestion des entreprises publiques. Ces nominations ont été, du reste, discrètement mais vivement critiquées par les milieux de l'administration territoriale. Au fil du temps, ces critiques sont devenues plus ouvertes notamment à travers les interrogations sur le rendement des nouveaux walis et sur leur aptitude à résoudre les problèmes des villes et des populations. Mais à travers ces critiques, il faut déceler la crainte de voir la fonction de l'autorité territoriale confinée dans une logique qui coupe court aux anciennes pratiques. La réponse à ces critiques à peine voilées, est venue mettre les pendules à l'heure. Ainsi, les dernières nominations de décembre 2002 ont propulsé au devant de la scène des compétences issues de plusieurs secteurs. Parmi les 19 walis et gouverneurs nommés, on trouve quatre gestionnaires dont Chakib Benmoussa (brasseries du Maroc), Hassan Amrani (Agence de développement du Nord), Saâd Hassar (Conservation foncière) et surtout Mohamed M'barki, membre de l'USFP et ex-secrétaire d'Etat à l'habitat. Cette dernière nomination est plus que significative, puisqu'elle ouvre pour la première fois la porte de l'autorité territoriale aux membres des partis politiques. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut dire que le cordon ombilical avec l'approche sécuritaire a été coupé. En effet, à part Mohamed M'hidia (équipement), les autres gouverneurs sont tous issus de l'administration territoriale. Et cette situation indique que l'Etat a tenu à rééquilibrer les choses en réhabilitant les cadres du ministère de l'Intérieur et du même coup préserver la dualité des approches sécuritaire et de développement.