Consommation. Bien que récent dans l'histoire du Maroc, le thé est une tradition, un art et une philosophie étroitement liée aux mœurs et coutumes du marocain. Or, cet élément de la culture ancestrale, qui constituait jusqu'à une date récente le plat principal du marocain lambda, est en perte de vitesse. Qui ne garde pas jalousement un grand plateau en cuivre ou en argent, sans oublier de luxueux verres dorés ou argentés et une théière traditionnelle ? Bien qu'historiquement, le thé soit récent au Maroc, il est devenu, durant un bref laps de temps, un élément central de la vie sociale du marocain. A peine introduit au Maroc au milieu du 19éme siècle, le thé, qui a été offert pour la première fois sous forme de cadeau au sultan Moulay Smail par un voyageur Danois, a reçu un accueil favorable de la population, comme il a été adopté dans toutes les régions du Maroc, pour devenir la boisson nationale aussi bien chez les riches que chez les pauvres. Ainsi, le thé qui était réservé au Sultan et plus tard au Makhzen et aux nobles, est bu par tous, partout, en toute occasions. Il est devenu synonyme d'hospitalité. Sa cérémonie égaie l'atmosphère. Le plus important dans la séance du thé, demeure son ambiance spécifique. Quelles que soient les circonstances, on ne déroge jamais au fameux verre de thé à la menthe. En dépit du grand nombre de vertus notamment toniques et digestifs prêtées à son breuvage, la séance du thé révèle une philosophie profonde. A la différence de la cuisine faite par les femmes, le thé est traditionnellement une affaire d'hommes et plus particulièrement du chef de famille. Devant les convives, c'est au maître qu'incombe la préparation du thé qui diffère à quelques détails près, d'une région à une autre. Malheureusement, avec le stress quotidien, ces séances ne sont plus que des occasions rares. Pourtant il demeure la boisson la plus consommée par les marocains, de sorte que le Maroc est désigné comme premier importateur du thé dans le monde. Des fermes et des usines travaillent exclusivement avec des clients marocains. Ainsi, il s'est taillé une place de plus en plus importante dans l'économie marocaine pour devenir un élément à intégrer dans l'indice du coût de la vie. Or, le thé, phénomène social, synonyme de charme et d'humilité chez le marocain, subit un malaise dans son circuit économique sectoriel. Surgi après la libéralisation du secteur, le malaise est provoqué par des importateurs ponctuels et accentué par le non-interventionnisme de l'Etat. Un secteur livré à l'anarchie Depuis la libéralisation du marché du thé, intervenue en 1993, le secteur concentre de plus en plus l'intérêt des importateurs et les intervenants se multiplient. Aujourd'hui, on ne compte pas moins de 390 marques de thé vert et environ une cinquantaine d'opérateurs dont ceux qui pilotent les installations d'une semaine, sont les prédominants. Une telle décision gouvernementale, ayant livré le secteur à la loi de l'offre et de la demande, a-t-elle été une décision adéquate ? Khalfaoui, directeur général de l'opérateur historique, a déclaré lors d'une rencontre au sein de l'ex-office national de thé et de sucre, que le secteur n'a pas été suffisamment préparé à la libéralisation et n'a pas bénéficié de mesures d'accompagnement. Il a ajouté que, contrairement aux autres secteurs, comme les télécoms ayant subi une régulation, le marché est livré à une anarchie loin de toute action régulatrice censée encadrer toute politique commerciale libéralisée. Face à une véritable bataille, l'opérateur historique est confronté à de nombreuses difficultés qui se sont traduites par une importante chute de la part du marché. Cette part s'est réduite de 99% avant la libéralisation à 28% aujourd'hui. D'après El Khalfaoui, la libéralisation est une bonne chose pour l'économie du secteur, mais en l'absence d'une régulation et d'une intervention de l'Etat, pour mettre fin à certaines pratiques malsaines, cette politique ne peut qu'être porteuse de malaise pour le secteur. Certes, aujourd'hui, tous les moyens sont mis en œuvre pour gagner des parts de marché, mais les actions promotionnelles menées via une politique commerciale bâtie sur la dynamisation des forces de ventes sont-elles suffisantes pour écarter les brebis portant préjudice au secteur ? Sachant que pour 350 références de thé importées, le différentiel prédéfini au niveau de la douane est jugé insuffisant, bien qu'il soit tiré à 15% après s'être fixé à 7%, la révision de l'imposition des références en tenant compte de la valeur ajoutée nationale est suggérée. A ne pas omettre la sous facturation qui échappe à tout contrôle. Plusieurs sont les importateurs qui déclarent au bas prix, une référence de thé de haut de gamme. Ce ne sont pas les seuls points gênant un développement économique sectoriel du thé. Noureddine Houari, directeur commercial et marketing de la société leader dans le secteur, a révélé d'autres pratiques malsaines. D'après lui, les opérateurs respectant les règles d'or de la politique commerciale, sont concurrencés par leurs propres grossistes qui importent également pour leur propre compte et procèdent à des pratiques anti-commerciales. Ces dires sont corroborés par Hassan Lakmari, importateur régulier de thé, qui a confirmé qu'il suffit de disposer d'un conteneur de thé pour s'installer via des tentes dans des régions lointaines, pour liquider des quantités acquises parfois, par voie de contrebande. Ces importateurs ponctuels, considérés comme les brebis du secteur, cassent les prix à hauteur de 20%. Pour l'heure, une marque algérienne enregistre de grosses ventes dans les régions orientales. Cette marque est vendue à 18% moins cher que les marques locales. Il est clair que le secteur a fortement besoin de la main invisible d'Adam Smith. Pour les opérateurs du secteur, les pouvoirs publics devraient prendre les mesures nécessaires pour assainir le marché du thé gravement touché par un malaise provoqué aussi bien par le non-interventionnisme de l'Etat que par l'intervention ponctuelle de certains importateurs malhonnêtes.