Evasions des prisons au Maroc. Le système carcéral au Maroc a besoin plus que jamais d'une refonte de fond en comble pour faire face à la détérioration que connaît la quasi-totalité des établissements pénitenciers dans le pays. Les prisons marocaines sont toutes, ou presque, des véritables passoires. Des prisons placées sous haute surveillance, qui abritent de dangereux criminels, islamistes ou de droit commun, aux prisons ordinaires, comme il y en a partout au Maroc, en passant par les établissements de redressement judicaire qui enferment des mineurs, le constat est le même. Rien que pour l'année 2008, l'administration pénitentiaire a enregistré pas moins de 18 évasions, dont deux ratées à la prison civile de Tanger, de détenus jugés à haut risque. On y trouve des terroristes jugés et condamnés lourdement, des barons de la drogue comme El Nene (qui s'est évadé de Kénitra et arrêté en Espagne), Soussi Mimoun (qui purgeait une peine de 8 ans de prison ferme), et dernièrement, des délinquants mineurs qui se sont évadés du centre de redressement judiciaire de la ville de Salé. Causes invoquées par l'administration ( la toute nouvelle conduite par Moulay Hafid Benhachem, nommé en avril dernier, comme l'ancienne sous la houlette du ministère de la Justice ) qui gère cet épineux département : complicités internes, corruption, dysfonctionnement, réforme du système carcéral, insuffisance de moyens humains, surpeuplement… Et après chaque évasion, des têtes tombent et des suspensions sont prononcées à l'encontre des premiers responsables ( directeurs de prison, chefs de détention et gardiens qui s'occupent des pavillons où résidaient les fuyards) en attendant les conclusions de l'enquête. C'est ce qui s'est passé lors de cette nouvelle évasion du Centre de Réforme et d'Education de Salé où 5 mineurs ont pris la poudre d'escampette dans la nuit du dimanche au lundi 2 juin. Des évasions à la pelle! Aussitôt informée, la délégation générale de l'Administration pénitentiaire a rendu public un communiqué où elle informe l'opinion publique, non pas des détails de l'évasion, mais de la suspension provisoire de deux responsables du centre, dont le directeur et le chef de détention, pour dysfonctionnements. Et d'ajouter que les détenus mineurs sont «de droit commun», ce qui écarte d'emblée la piste des «mineurs terroristes» jugés au début de l'année, pour implication dans les attentats terroristes manqués, de Casablanca en 2007, et qui croupissent dans le même centre. Interrogée, une source à la délégation nous déclare que l'évasion n'a été constatée qu'à 6h 15 le matin du lundi 2 juin. En effet, l'absence des cinq détenus n'aurait été découverte qu'au moment du comptage des prisonniers qui se fait habituellement à cette heure-ci. La même source ajoute que le cerveau du groupe des fuyards serait un dangereux «gaillard» de 17 ans condamné à 10 ans de prison ferme pour meurtre, et les quatre autres sont des délinquants multirécidivistes condamnés à des peines variant d'une année à 10 ans de prison ferme. «Leur évasion fut d'une simplicité… enfantine. Ils ont tout simplement escaladé le mur grâce à des morceaux de couverture et de draps qu'ils ont rassemblés avant de sauter hors de l'enceinte de la prison». Ce n'est que le lendemain qu'un des cinq évadés, Younès Habchi, a été repéré et arrêté à proximité de la station des grands taxis, dans le quartier du Mellah à Kénitra par les services de sécurité de la ville. Né 1989 et demeurant au quartier El Metahra à Kénitra, le fuyard purgeait une peine de 2 ans, dans la prison de Salé pour vol de fils électriques et détérioration d'édifices d'utilité publique. Les causes d'une détérioration Dans une première sortie publique, depuis l'évasion spectaculaire des neuf détenus islamistes de la prison centrale de Kénitra, le ministre de la Justice, Abdelouahed Radi, a reconnu la réalité du surpeuplement. Lors d'une rencontre avec des membres du Parlement, il a déclaré : «Les pénitenciers, arrivés à saturation, offrent des conditions de vie qui ne répondent pas aux besoins d'une vie digne». Un avis partagé par Moulay Hafid Benhachem, le délégué général de l'administration pénitentiaire qui, dès sa prise de fonction, a admis que «la situation des prisons au Maroc contribue d'une manière indirecte à l'évasion : aujourd'hui la capacité d'hébergement ne suffit qu'à la moitié de la population incarcérée. En effet, pour réformer le système carcéral et humaniser les prisons, il faudrait construire, en urgence, une vingtaine de centres pénitentiaires et alimenter le budget de la délégation générale de l'administration pénitentiaire de 1,2 milliard de dirhams supplémentaires. Car aujourd'hui, près de 60.000 détenus disposent chacun de moins de 1,5 mètre. Le budget supplémentaire permettra de passer à 3,5 mètres carrés, alors que les normes internationales exigent 9 mètres carrés. Il existe actuellement 59 établissements pénitentiaires au Maroc, dont une seule maison centrale à Kenitra. Fin 2008, l'ouverture d'une autre maison centrale à Safi est prévue, dont la capacité d'accueil sera de 2.500 détenus. Le ministère de la Justice a déjà prévu la construction de quelque 17 nouveaux établissements. Huit autres projets restent à finaliser, qui offriront une capacité totale de 270.000 mètres carrés. Certaines rénovations de maisons d'arrêt surpeuplées sont envisagées, en particulier à Asilah, Tanger et Marrakech. Côté effectif, le gouvernement envisage également de recruter 6.000 gardiens d'ici à 2012, le nombre actuel ne dépassant pas un gardien pour 11 détenus! Dans son dernier rapport, l'observatoire marocain des prisons mentionne les conditions de travail difficiles des 5.288 fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, dont le salaire ne dépasse pas pour la plupart 2.000 dirhams, et qui ne bénéficient d'aucune couverture sociale. «Il faut améliorer les conditions matérielles et morales des fonctionnaires afin qu'ils puissent mener à bien leurs tâches d'encadrement et d'éducation dans des conditions conformes aux conventions internationales relatives aux Droits de l'Homme», avait déclaré Me Jamai, membre de l'OMP. ZOOM Les évasions les plus spectaculaires du maroc 2008 Janvier 2008 : Un des plus gros bonnets de la drogue au Maroc et en Espagne, Mohamed Ouazzani, alias El Nene, prend la poudre d'escampette du pénitencier de Kénitra où il purgeait une peine de 8 ans de prison. Le ministère de la Justice n'avait été avisé de son évasion qu'une semaine plus tard. L'enquête conclura à la complicité de 8 fonctionnaires de la prison qui ont été condamnés à des peines allant de deux mois à deux ans de prison ferme, pour avoir «facilité» l'évasion d'un baron de la drogue. La cavale d'El Nene a pris fin à Sebta. Le narcotrafiquant, qui se croyait hors d'atteinte, risque d'être extradé vers le Maroc. Avril 2008 : neuf détenus islamistes condamnés à de lourdes de peines à la suite des attentats de Casablanca de 2003 se sont échappés de la prison de Kenitra, en creusant un tunnel qui a débouché sur le jardin du directeur de la prison. Un d'entre eux a été arrêté le 1er mai et les autres sont activement recherchés. Avril 2008 : Tentative avortée d'évasion d'un groupe de détenus islamistes, condamnés à des lourdes peines et incarcérés à la prison de Kénitra. Avril 2008 : échec d'une tentative d'évasion de deux détenus de droit commun de la prison civile de Tanger. Les deux individus ont été interpellés le jour même de leur escapade dans le même quartier qui abrite l'établissement pénitencier. Mai 2008 : Soussi Mimoun, un baron de drogue condamné à 8 ans de prison ferme, s'évade grâce à la complicité de quatre personnes. Les assaillants, munis d'une bombe lacrymogène et de sabres, ont arraché le détenu aux gardiens, alors qu'il était en transfert vers la prison de Zaio. Aujourd'hui il est toujours en fuite. Juin 2008 : Escapade de cinq jeunes délinquants du Centre de la Réforme et d'Education de Salé. Le plus âgé, 17 ans, est condamné à 10 ans pour meurtre.