La situation des prisons au Maroc reste alarmante, le surpeuplement, la dégradation des conditions de vie, le manque des soins médicaux, la mauvaise gestion… Une image sombre que le secrétaire général adjoint de l'Observatoire marocain des prisons, Youssef Madad, nous donne à voir dans cet entretien. ALM : La publication du 2ème rapport annuel de l'OMP, 2001-2002, est prévu pour fin juillet. Quelles sont les conclusions que vous avez déduites après vos visites des prisons au Maroc ? Youssef Madad : Effectivement, le rapport est actuellement sous presse. Nous avons effectué des visites dans presque l'ensemble des établissements pénitenciers au Maroc, y compris des prisons nouvellement construites, notamment celles de Berrechid, Ben Ahmed, Ben Slimane, Toulal et Taroudant. Ces dernières, bien que recelant une nouvelle conception architecturale moderne et disposant des équipements neufs et impressionnants, ne font pas l'exception avec les caractéristiques générales qui marquent les autres établissements, à savoir la mauvaise gestion, la dégradation des conditions de vie et le manque des services minimum de soins médicaux et du reste. Tout en soulignant qu'ils ne souffrent pas de surpeuplement, à l'instar des autres établissements. Nous pouvons dire généralement que le fond du problème réside dans l'incapacité de l'administration à répondre aux exigences des textes de la loi 23/98 qui est censée gérer le système pénitencier, et qui garantit les bonnes conditions carcérales. Ces conditions tant affectées par le surpeuplement, le manque de compétences de l'encadrement et l'absence des infrastructures permettant aux établissements pénitenciers d'accomplir leurs fonctions de réformateur, et c'est normal que dans de telles conditions, l'état de détérioration de l'espace carcéral persiste et s'aggrave davantage par la malnutrition engendrant la dégradation de l'état de santé des détenus. Ainsi l'oisiveté et l'absence de toute activité culturelle et sportive entraînant un climat de déprime qui favorise la violence, la consommation de drogue et la montée de la criminalité au sein des prisons. Quel est le problème majeur qui a le plus d'effet négatif sur la vie dans les prisons ? C'est le problème du surpeuplement qui s'accentue davantage avec une augmentation annuelle de la population carcérale de 5000 nouveaux détenus et il suffit de constater qu'en l'espace de ces quinze dernières années, la population carcérale est passée de 27 mille détenus en 1987 à 59 mille en 2002. Ce qui est vraiment une situation très alarmante. Il faut remarquer aussi bien que nous parlions d'un surpeuplement de 40%, nous trouvons par exemple le pénitencier d'Inzegane, qui peut être considéré comme une prison de honte où les détenus vivent dans des conditions inhumaines, où cette proportion atteint 400%. En effet, l'Observatoire des prisons au Maroc n'a cessé de réclamer la fermeture de cette prison et on rétorque qu'il faut attendre l'ouverture de la nouvelle prison d'Aït Melloul dont les travaux ont été suspendus. Par ailleurs, il faut savoir que la référence internationale est de 13m2 par détenu, en terme d'espace, alors qu'au Maroc on préfère parler en terme de literie et dire qu'on a une capacité de 40 mille lits. Alors qu'en réalité la majorité des détenus ne disposent pas d'un lit, qui est considéré comme un luxe. On parle beaucoup de la corruption à l'intérieur des prisons au point que n'importe quoi s'achète à la prison, même un détenu mineur peut-être disponible contre une somme d'argent ? Le fléau de la corruption est malheureusement devenu un fait tellement banalisé, malgré toutes les conséquences graves qui en découlent. Parmi les causes qui peuvent expliquer la propagation de ce mal qui ronge les établissements pénitenciers, se trouvent les très bas salaires des fonctionnaires. Imaginez-vous qu'un gardien qui a passé plus que vingt ans de service touchant un salaire mensuel de 2700 DH pour des horaires de travail allant jusqu'à 14 heures d'affilé dans des conditions où la prime de risque qui ne dépasse pas 200DH, sans aucune aide pour le logement, ni de couverture de frais de transport, par exemple. Et comment peut-on résoudre le problème du surpeuplement? Il faut savoir que l'établissement ne peut, à lui seul, pas résoudre ce problème, car il s'agit d'un problème plus vaste, qui est l'absence d'une politique criminelle dans notre pays. Comment expliquez-vous ce problème de politique criminelle ? En réalité, ce problème se manifeste d'abord par la discordance entre la capacité d'accueil de l'établissement pénitencier qui est une institution de l'exécution de la peine et le processus de l'appareil judiciaire sommé de rendre des sentences en application des lois en vigueur. Autrement dit, l'établissement pénitencier est le dernier maillon de la chaîne, qui subit toutes les défaillances du système judiciaire qui doit redoubler d'effort et de créativité pour recourir à des peines alternatives à l'emprisonnement, que le projet de loi pénal va en intégrer quelques mesures en pensant surtout à une catégorie très fragile de la population carcérale, à savoir les mineurs. Combien de mineurs sont-ils incarcérés actuellement au Maroc ? En général les mineurs constituent une proportion de 12 à 14 % de la population carcérale. On compte donc actuellement pas moins de 8200 mineurs sous les verrous au Maroc. Souffrent-ils des mêmes problèmes que les détenus majeurs? Généralement oui, à l'exception du Centre de redressement d'Oukacha à Casablanca et du complexe pénitencier de Salé où nous avons relevé une amélioration générale bien qu'on y trouve les problèmes sanitaires et le manque d'encadrement. Dans les autres établissements, les mineurs, bien qu'ils soient isolés dans des bâtiments pour mineurs, restent néanmoins exposés à tous les dangers de violence, de tous sortes d'abus, de mauvais traitements et de risque de récidive. Cette situation sombre et inquiétante relève-t-elle d'une mauvaise application de la loi n° 23/98 concernant la gestion des établissements pénitenciers ou à la loi elle-même ? L'Observatoire n'a cessé de souligner que cette loi constitue un grand pas dans la réforme de la gestion des établissements pénitenciers, du fait qu'elle recèle beaucoup de règles minima pour le traitement des détenus, mais la réalité vécue dans nos prisons reste largement en deça de ce qu'elle exige comme règles de conduite, c'est-à-dire que le problème réside essentiellement dans son application.