Swami Prajnanpad. Oubliez vos portables et vos ordinateurs, mettez en veilleuse vos centaines de chaînes cablées, éteignez vos MP3, nous allons en Inde pour une quête de soi authentique. Rien ne prédestinait Swami Prajnanpad à un destin pareil : né en 1891 dans une famille pauvre brahmane, à 50 km de Calcutta, il fait de brillantes études de physique et devient professeur d'université. Bientôt il démissionne et part dans l'Himalaya pour devenir moine. Tous ceux qui l'ont approché témoignent d'une personnalité qui rayonnait d'une sérénité inébranlable. Swami n'a jamais écrit de livre, son enseignement se résume en des entretiens qu'il avait avec des disciples à lui, ainsi que des lettres dans lesquelles il répondait à ses amis. La plupart de sa pensée nous est parvenue par le biais d'enregistrements de ses conversations. D'ailleurs, Swami se méfiait des incompréhensions que peut entraîner toute lecture d'un texte: « les lettres sont écrites avec des mots et ces mots sont porteurs de sens. Mais quand le lecteur voit les mots il leur donne le sens qu'il porte déjà en lui. Et il passe ainsi à côté du sens ou des idées exprimées au travers de ces mots par celui qui les a écrits ». Malgré cette mise en garde essayons de suivre Swami dans son enseignement. A une époque où chacun de nous est emporté par un tourbillon d'agitation et par une frénésie d'activités, faisons une pause. Disons le tout de suite : nous n'avons pas affaire à un charlatan pseudo-spirituel : des thèses de doctorat ont été consacrées à ce penseur peu connu, et en France des professeurs de philosophie reconnus comme André Comte-Sponville ont consacré des livres à notre auteur. Ne vous y trompez pas : la simplicité des propos cache une philosophie difficile de quête de soi : « La différence : la première grande vérité. Parmi les milliards d'êtres et de choses, aucune n'est tout-à-fait semblable à une autre. Alors évitons de faire des associations par analogie, et sachons voir ces différences. » Ce voile qui nous empêche de voir la réalité dans sa complexité, c'est ce qu'il appelle Maya : une illusion qui nous fait croire que nous voyons, alors que nous ne voyons pas. D'où une dénonciation en règle de tout ce qui touche à la comparaison : comparer c'est refuser de voir une chose dans sa singularité et son unicité. Mais c'est surtout à l'exploration du monde intérieur que se consacre notre auteur ; il voit dans l'égo et dans le désir la cause du malheur des hommes: « Les désirs naissent de la double croyance que l'on peut obtenir quelque chose d'un autre et que l'on peut le garder de façon permanente. Ces deux croyances sont fausses. Personne ne donne jamais rien. L'autre ne donne que s'il obtient lui-même ce qu'il veut». Ce changement et cette différence qui affectent le monde n'est pas une simple vision exotique des choses, il ne s'agit pas de parler de changement pour le plaisir, la prise en compte de la différence essentielle à chaque chose permet de ne pas en être affecté. « Faites en sorte de percevoir et ressentir le changement dans chaque chose». Soyez à l'aise et parfaitement réconcilié A la différence des philosophies rationalistes occidentales qui insistent beaucoup sur la faculté de la raison, les pensées orientalistes mettent en avant le sentir et la vision lucide des choses. Le mental, la façon de nous représenter les choses, nous affectent beaucoup plus qu'ils nous servent, d'où la décision chez Swami de s'éloigner de tout ce qui est jugement et comparaison. Il ne s'agit pas d'angélisme ou de déclarations de principe; beaucoup de gens se méprennent sur les pensées indiennes en croyant que ce n'est que pure théorie, alors qu'au contraire, il s'agit d'hygiène de vie : nous prenons bien des bains pour notre corps ; alors pourquoi pas pour notre esprit ? Pour preuve qu'il ne s'agit pas de pure théorie, pensez à Ghandi, n'a-t-il pas ériger la non-violence en méthode politique ? Et n'a-t-il pas réussi ainsi à obtenir l'indépendance de l'Inde ? C'est aussi une philosophie de paix qui se dégage donc de ces propos ; les idéologies et les conflits de religion sont le simple résultat de l'égo surdimensionné de chacun qui projette sa croyance sur les autres.