Années de plomb. De 1956 à 1958, des centaines de personnes ont été victimes d'enlèvements dans le cadre de règlements de comptes entre le parti de l'Istiqlal et le PDI. La découverte de fosses communes remet ce passé douloureux à l'ordre du jour Depuis quelque mois, les découvertes de fosses communes se suivent et ne se ressemblent pas. La première découverte a été faite à Jnane Sbil à Fès. La deuxième à Nador et la dernière à El Jadida. Le 15 mai dernier à El Jadida, des ouvriers du bâtiment ont découvert les restes de huit personnes sans thorax. Les premiers éléments de l'enquête affirment que les ossements remontent à une époque lointaine, située entre les années 40 et 50. Selon un communiqué officiel du CCDH, la fosse commune de Nador remonte aux émeutes de 1984. Au mois de mars dernier, des restes humains sont découverts lors des travaux de réhabilitation du jardin Jnane Sbil à Fès. Dès lors, toutes sortes d'interprétations avaient alimenté la rumeur populaire. Les événements de Fès 1990 sont toujours présents dans les esprits. En 2006, l'IER avait localisé deux fosses communes des victimes. 99 au cimetière de Bab El Ghissa et 7 au cimetière Ibn Arabi. Le 9 mai dernier, un communiqué officiel du parquet de Fès, précisait que les investigations scientifiques et les travaux de terrain menés par des laboratoires nationaux spécialisés en matière d'anthropologie, d'archéologie et de fossiles, ont conclu que l'aspect extérieur et apparent du lieu où ont été découverts les restes humains, «ne ressemblent pas à ce qui pourrait être une excavation ou une fosse commune». Le communiqué ajoutait que «les dits restes remontent à une époque très lointaine de l'année 1990». Selon une source associative, les restes humains découverts à Fès ne sont que l'arbre qui cache la forêt dans ce que le rapport de l'IER avait appelé « les exactions d'acteurs non étatiques ». Des dizaines de charniers existent bien dans divers endroits au Maroc, la plupart datant d'une époque qui va de 1956 à 1960. Elles sont en majorité le fruit d'opérations de chasse à l'homme et de règlements de comptes perpétrés par des éléments du parti de l'Istiqlal à l'encontre de cadres et militants du PDI (Parti Achourra et Istiqlal). Le secret de Dar Bricha à Tétouan a été révélé lors des auditions organisées par l'IER en 2005 à El Houceima. Dar Bricha était un lieu de détention où les milices du parti de l'Istiqlal de l'époque, torturaient des dizaines de personnes enlevées dans le nord, notamment Abdesslaam Attaoud et Mohamed Ouazzani. Une lettre d'Abdelkrim Kattabi envoyée à Mohamed Belhassan Ouazzani, publiée en 1958 au journal Array Alaam, faisait d'ailleurs état de milliers de victimes lors de ces évènements. Le témoignage de deux rescapés de ces horreurs « non étatiques » racontées dans deux livres, qui sont passés inaperçus, démontre l'horreur de la torture à Dar Bricha, mais aussi au garage qui servait à la CTM à Casablanca. Secret de polichinelle Les évènements qui se sont déroulés au lendemain de l'indépendance dans plusieurs villes, notamment à Marrakech, Souk Larbaa et Tétouan, demeurent jusqu'à présent sous le sceau du secret. Le travail de l'IER n'a pas fait toute la lumière sur ces événements, puisqu'ils sont le résultat de confrontation non étatique. Pour d'autres, le parti de l'Istiqlal était à l'époque une composante du pouvoir et plusieurs de ses éléments avaient intégré en 1956, la nouvelle sûreté nationale. Pis encore, ces milices armées n'avaient pas encore remis tout leur arsenal d'armes. Le parti Achoura et Istiqlal, qui a été épuré en 1956, compte aujourd'hui ses morts, notamment à Dar Bricha qui a failli être rasée. Grâce à la mobilisation de militants du Forum Vérité et Justice, cette opération a été stoppée. D'anciens locataires de la maison d'arrêt secrète et des militants du FVJ, avaient organisé un sit-in en 2005, pour que la vérité soit révélée enfin sur ce lieu de détention secret partisan. Le forum organise de nouveau le 30 mai, une caravane pour la vérité à Nador en passant par Fès. En 2006, la publication des mémoires de Abderrahim Bouabid, avait créé la tension entre Abbas El Fassi et Mohamed Elyazghi, premier secrétaire de l'USFP à l'époque. Abbas El Fassi avait dit à l'époque, que les mémoires de Abderrahim Bouabib avaient nui au parti de l'Istiqlal. Après l'expiration du mandat de l'IER, le CCDH a pris la relève. Une commission chargée de la poursuite des recherches sur le sort des disparus politiques au Maroc, a été mise sur pied, elle comprend Mbarek Bouderka qui était chargé du même dossier à l'IER. Si le travail de l'IER a pu répertorier et identifier les personnes disparues qui étaient enterrées dans des fosses communes à Tazmamart (31), Agdez (32), Kalaat Mgouna (16), Tagounite (8), Gourrama (1) et près du barrage Mansour Ad-Dahbi (1), les personnes portées disparues lors des règlements de comptes de 1956, demeurent un sujet tabou. Des leaders politiques auréolés, auraient été impliqués dans ces opérations, affirme une source proche du dossier. Chaque famille politique fait sortir ses victimes pour affronter les autres. Entre-temps, c'est la vérité qui demeure incomplète. Le cas le plus énigmatique est la liquidation d'un groupe de jeunes scouts à Souk Larbaa. Finira-t-on par solder les horreurs du passé ?