Instructive et émouvante, c'est ainsi que l'on pourrait qualifier la prestation de l'ancien Premier ministre et ministre des affaires étrangères à l'occasion de la présentation de son dernier livre «Le Maroc et le monde arabe». Extraits. La salle de conférences de Sapress à Casablanca est pleine en ce vendredi 25 avril. C'est que l'invité est un acteur et un témoin exceptionnel de l'histoire contemporaine du Maroc: Abdellatif Filali vient présenter son ouvrage qui est, selon les termes de Mohamed Berrada PDG de Sapress, «un témoignage vivant pour l'histoire». De façon inattendue, Abdellatif Filali a commencé son intervention par un constat sévère sur la situation intellectuelle du pays : «Je crois que les marocains n'écrivent pas. Je crois qu'il y a un vide intellectuel dans ce domaine. Ce n'est pas une question de moyens. Je sais qu'il y a des gens qui peuvent écrire au Maroc. (…) J'ai écrit ce livre car je pense être le doyen des fonctionnaires marocains; j'ai passé 45 ans au service de l'administration de ce pays». Les erreurs du passé Puis Filali a raconté son enfance; comment il a été initié très tôt par son père à la lutte pour la résistance au Maroc : «Le fait d'être marocain pour moi est un acquis de première importance». Il est ensuite revenu sur les différentes phases de son parcours exceptionnel, puisqu'il s'agit d'un parcours qui se confond avec l'histoire même du Maroc. Au sujet de l'indépendance, il considère que le Mouvement National a commis une erreur grave en acceptant l'indépendance, comme l'a proposé la France : «Le Mouvement National croyait que le problème des frontières serait réglé le jour où les algériens obtiendraient leur indépendance. C'est une erreur, le problème aurait dû être posé à la France car celle-ci occupait l'Algérie aussi». Est évoqué ensuite la question du Sahara : «La plupart des marocains ne savent pas comment est né ce problème. En 1972, j'étais parti à l'étranger chercher du travail pour des raisons personnelles. Le Cabinet royal est venu me chercher; je rentre au Maroc, le roi Hassan II me reçoit et me tend une lettre à lire: c'était une lettre du Général Franco qui demandait à ce que soit organisée l'autodétermination du Sahara. Colère noire du Roi qui jugeait cela inacceptable». A partir de là, Filali est nommé Ambassadeur en Espagne. Il connaît très bien le dossier, et son jugement est lucide et sans complaisance : «Cette affaire du Sahara, clairement, pour quelqu'un qui s'en est toujours occupé, je peux vous le dire : je ne crois pas qu'il y ait une solution actuelle à ce problème; car dès le départ, c'est un problème algéro-marocain». Une rencontre avec Bouteflika est aussi décrite avec la plus grande précision; propos du dirigeant algérien : «Comment se fait-il que les espagnols sont encore dans ce territoire du Sahara? Il faut décoloniser ce territoire qui doit appartenir aux marocains, aux mauritaniens, et (Boutflika s'arrête, et prend le temps d'allumer un cigare), peut-être aussi aux algériens». Selon Filali, l'Algérie a toujours eu l'idée d'aller vers l'Atlantique. L'auteur parle aussi de James Baker, l'ancien secrétaire d'Etat américain et ami de Filali : «Baker s'est occupé du dossier du Sahara sans le faire avancer d'un iota (…) Bush et Chirac ont également proposé une solution de compromis entre le Maroc et l'Algérie». Ce qu'il pense de l'Algérie Ensuite, la situation actuelle du Maroc a été passée au crible, avec le même jugement sans complaisance: «La situation actuelle économique et sociale est inacceptable. Nous ne pouvons pas continuer dans cette voie; nous ne pouvons pas continuer à accepter ce départ des marocains qui veulent bien rester chez eux à condition qu'on leur offre du travail». Jugement lucide ne signifie pas pessimiste, et c'est bien sur une note d'espoir et d'encouragement que Filali clôt son discours : «Ne soyez pas pessimistes ; faisons en sorte qu'avec nos rêves nous puissions réaliser des choses pour ce pays».