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Entretien avec le Dr Abdeladim El Hafi* : «Lutter contre le démantèlement de la forêt»
Publié dans La Gazette du Maroc le 18 - 04 - 2008

Le natif cinquantenaire de l'Oriental, Docteur vétérinaire lauréat de l'université toulousaine Paul Sabatier, haut Commissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification depuis 2003, s'était déjà acquitté des charges ministérielles de Secrétaire d'Etat à la Mise en valeur agricole au département de l'Agriculture dont il était le secrétaire général en 1993, avant d'assumer les missions d'Ambassadeur du Maroc à Berlin en 1999. Rigoureux et méthodique, ses qualités scientifiques ont été éprouvées à travers de nombreuses autres fonctions qu'il a occupées pendant sa carrière. Dans cette interview, Abdeladim El Hafi revient sur la polémique qu'avait soulevé l'appropriation illégale des terrains forestiers. A ce titre, le Haut Commissariat a verbalisé divers délits à l'échelle nationale en transmettant 30.000 Procès-verbaux aux juridictions compétentes.
La Gazette du Maroc : Vous avez récemment présidé une réunion à Kétama, en présence des autorités provinciales et locales, des élus et des ONG. Pourquoi et dans quels objectifs   ?
Abdeladim El Hafi : Cette réunion qui a été organisée par le Haut Commissariat aux Eaux et Forets et à la Lutte Contre la Désertification à Kétama, avait comme objectif principal l'évaluation de la première phase du plan de développement forestier décennal 2005-2014. Elle fait suite aux réunions que j'ai tenues à Issaguen le 31 Janvier 2006 et à Al Hoceima le 17 Décembre 2007. La pression sur le domaine forestier dans cette zone est essentiellement due au défrichement de la forêt, en vue de s'approprier les terrains pour des usages agricoles et la pratique de certaines cultures. Il faut rappeler que seuls 6% du domaine forestier dans le Rif ont été délimités depuis l'indépendance. Le Haut Commissariat s'est fixé dans son plan décennal 2005-2014 de délimiter, homologuer et immatriculer la totalité des terrains à l'horizon 2014. On ne peut lutter contre le démantèlement de la forêt qu'en réalisant cette opération de délimitation complexe et difficile, mais indispensable.
Certains écrits ont fait état de reproches aux forestiers, qui par leur connivence ou leur complaisance, permettent l'appropriation illégale des terrains forestiers dans le Rif ? Est-ce vrai et quelles mesures mettez-vous en œuvre ?
Entre 2005 et 2007, les forestiers ont pu délimiter le domaine à une cadence 4 fois supérieure à celle pratiquée pendant 50 années. Cette remarquable performance témoigne de l'engagement, du sérieux et de la rigueur des services forestiers dans la conduite de leurs missions. Le processus d'assainissement, de réformes et de responsabilisation est en marche, bien que les forestiers continuent de se heurter à des résistances de tous ceux que le changement dérange. En délimitant les terrains et en protégeant le patrimoine contre les convoitises, les forestiers ne s'attendent pas à être acclamés mais ont une haute conscience de leurs obligations professionnelles et morales. C'est d'ailleurs pour cela que des vents contraires sont soufflés alimentant toutes sortes de réactions hostiles cherchant à installer dans les esprits et l'opinion publique la confusion des rôles et des genres. Si ces agissements irresponsables et nuisibles ne m'étonnent pas, vu les intérêts en jeux, en revanche, ce qui est plus regrettable, c'est l'écho que trouve ces détracteurs dans leur acharnement contre l'intérêt général, et sans se soucier de la duplicité du langage : on veut en même temps protéger la forêt tout en encourageant son démantèlement. Pourtant, le Haut Commissariat a verbalisé divers délits à l'échelle nationale en transmettant 30000 Procès-verbaux aux juridictions compétentes. Il est vrai que seuls 50% des dossiers sont traités par les tribunaux et juges, et que moins de 10% sont exécutés. Ce qui veut dire que seulement moins de 5% des P.V. sont jugés et exécutés !!! Encore que, quand il s'agit de défrichement, il est rare que le tribunal ordonne l'évacuation des terrains défrichés par leurs occupants !!! Tout se passe comme si l'occupation illégale est absoute par le paiement d'une amende, alors que le fond du problème est l'empiètement, et l'évacuation est l'objectif central. Les forestiers sont les premiers à déplorer cette situation et, il est malhonnête de les accabler de mauvais procès d'intention alors qu'ils font de leur mieux pour s'acquitter de leur mission en dépit des conditions extrêmement dures dans lesquelles ils travaillent.
Cela étant, toute requête, toute doléance contre les forestiers, même rédigée sous le sceau de l'anonymat, et pour peu qu'elle comporte des éléments factuels et objectifs, est traitée avec diligence et rigueur par le Haut Commissariat, et tout acte ou comportement contraire aux bonnes règles et conforme aux normes sont traitées de façon impartiale avec toute la force de la loi. Notre règle de conduite est de protéger le personnel qui assume une mission à haut risque avec abnégation et veiller à ce que tout se passe dans les règles de transparence et de moralité. Les services forestiers ne donnent rien à personne, et n'enlèvent rien à personne. Ils assurent l'encadrement technique des opérations, et les recettes sont perçues par les collectivités locales en vertu de la charte communale.
Est-il vrai, comme prétendu par certaines sources, que la cédraie est menacée de disparition, notamment dans l'Atlas en raison de l'exploitation illégale et intensive de ces ressources arboricoles par des mafias du bois? Quelles sont les mesures concrètes mises en œuvre par votre institution ?
L'état de la cédraie est le résultat de causes complexes et multiples, et il n'est pas responsable, encore moins constructif ou utile, de se référer à des informations approximatives ou orientées pour des raisons qui n'apportent rien, ni au diagnostic réel de la situation ni aux mesures de réhabilitation de la cédraie. Il est un fait que l'exploitation illégale, par des bandes organisées, opérant la nuit, dans des zones difficiles d'accès, avec des moyens importants, est un phénomène qui, dans certaines zones, prend une ampleur qui appelle une réaction appropriée avec l'appui et la coordination de tous, autorités locales, gendarmerie, eaux et forêts et population. Nous nous y attelons, avec plus de rigueur, mais également avec de nouvelles approches, telles que l'identification de scieries, la traçabilité de circuits… Mais ce n'est pas là le seul facteur, ni même le plus important. La pression du cheptel, au Moyen-Atlas, est, aussi, un vrai problème. Le nombre d'animaux séjournant en forêt est 4 à 5 fois supérieur à la capacité maximale que peut supporter la forêt, et c'est là, au delà de la dégradation des pâturages en forêt, un élément qui compromet le cycle de l'eau, par le tassement du sol, qui favorise le ruissellement de l'eau au détriment de son infiltration. Ce cheptel, nuit également à l'habitat des animaux sauvages, et à leur source d'alimentation et peut provoquer un déséquilibre de l'écosystème, c'est le cas des singes magots, qui deviennent destructeurs, par instinct de conservation, en cherchant des aliments de substitution au niveau des parties vitales du cèdre. D'autres causes, existent également : le niveau de prélèvement de bois de feu par les usagers, 5 fois supérieur aux capacités de la forêt, les changements climatiques, les prédateurs et maladies diverses, autant de causes qui se conjuguent, et qui nous ont amenés à adopter une nouvelle approche pour la gestion de l'espace.
* Haut Commissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification


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