Les islamistes du mouvement “ Attawhid wa Al Islah ” paraissent avoir trouvé goût à la politique, surtout après la montée spectaculaire des parlementaires du PJD. Autant dire que la stratégie de la politique des “petits pas ” a porté ses fruits. L'Islam politique ne cesse de susciter le débat parmi les politiques, la presse et l'opinion publique. La question qui turlupine particulièrement les spécialistes se résume en ces mots : de quelle manière les islamistes avaient-ils tenté de se familiariser avec les engrenages incertains de l'action politique ? En d'autres termes, avaient-ils usé d'une stratégie politique bien définie ou se sont-ils contentés d'improviser ? Leur participation politique avait-elle contribué à changer la recomposition du champ politique ou bien s'était-elle inscrite essentiellement dans le cadre d'un processus d'intégration des mouvements islamistes ? Autant de questions qui méritent d'être traitées soigneusement pour parvenir à comprendre la logique intrinsèque du fonctionnement des mouvements islamistes au Maroc. Pour un Islam politique “rationnel” En rompant avec l'option révolutionnaire, adoptée par “ Chabiba Islamia” (mouvement de la jeunesse islamiste) de Abdelkrim Motiâ dans les années 70, le mouvement “Attawhid wa Al Islah” (unification et rénovation) avait marqué une nouvelle étape dans l'histoire de l'Islam politique au Maroc. En effet, dès le début des années 80, le mouvement, qui s'appelait dans le temps “Al-Jamaâ Al-Islamiya”, avant de porter le nom “ Al-islah wa Tajdid ” en 1989, avait choisi la voie de la participation politique, malgré toutes les critiques qui l'avaient assailli, particulièrement de la part de la mouvance islamiste radicale. La publication, en 1993, d'un document officiel justifiant la position politique du mouvement avait scellé définitivement le choix inébranlable des amis de Benkirane à prendre part au jeu politique. De plus, ce choix s'est vu entériné avec la naissance du mouvement “Attawhid wal Islah” à la suite de l'alliance tactique entre le mouvement “Islah wa Tajdid” d'Abdelilah Benkirane et “Rabitat Almoustakbal Al Islami” d'Ahmed Raissouni. Ce mouvement considère la participation politique comme un devoir pour les Musulmans dans le cadre d'une monarchie constitutionnelle démocratique. A cette fin, il prône un Islam politique “ rationnel ”, modéré et tolérant ; en mesure de s'adapter à son environnement. Une adaptabilité que le mouvement allait tenter d'appliquer à son comportement politique. Après avoir réussi à mettre sur pied le mouvement “Attawhid wal Islah” (unification et rénovation), les islamistes légalistes avaient élaboré une stratégie politique à “double standard”, exécutée en deux temps : dans un premier temps, quelques leaders islamistes ont décidé de rejoindre les rangs du parti de Abdelkrim Khatib (MPCD), bénéficiant ainsi d'une légitimité légalo-rationnelle, qui s'est avérée très payante lors des échéances électorales de 1997. Ainsi, le fait de décrocher 12 sièges au Parlement allait permettre aux amis de Benkirane d'être représentés dans les institutions politiques auxquelles ils n'avaient pas accès auparavant. Dans un deuxième temps, les leaders islamistes “ légalistes” ont pris la décision de remplacer le nom du parti du Dr. Khatib par celui du parti de la justice et du développement (PJD). L'objectif étant de se démarquer de la ligne politique de l'ancien parti et, en même temps, de se faire une nouvelle légitimité politique spécifique au giron des islamistes. Cette manœuvre politique à peine camouflée s'est basée sur un jeu de miroir qui permettait aux islamistes de se déployer sur deux fronts apparemment séparés, mais qui sont en réalité organiquement liés. En fait, le mouvement “Attawhid wal Islah” et le PJD ne sont que les revers de la même médaille : d'un côté, on dénote le chevauchement des rôles des leaders islamistes dans les deux organisations. De l'autre, on aurait du mal à imaginer comment une mouvance islamiste puisse défendre la sécularisation entre l'action politique engagée par le PJD et l'action religieuse (Adaâwa), représenté par “Attawhid wal Islah” ; considéré comme le référentiel idéologique du parti. Pourtant, cette tactique politique avait permis au jeune parti “islamiste” de bénéficier d'une cote de popularité ascendante qui consolidait la crédibilité politique d'un “mouvement/parti” La preuve en est que plusieurs parlementaires avaient décidé de rejoindre le PJD pendant la législature précédente. La stratégie de la politique des “petits pas” Les Islamistes légalistes, représentés au sein du PJD ainsi que les dirigeants du mouvement “Attawhid wal Islah”, sont persuadés de l'efficacité de la politique des “petits pas”. Cette stratégie politique peut être résumée en deux mots : l'incrémentalisme politique, c'est-à-dire, faire une politique de tâtonnements par essais et erreurs corrigés. Pour exemple, après avoir soutenu le gouvernement Youssoufi I, le PJD a révisé sa position en décidant de passer aux rangs de l'opposition ; suite à la pression soutenue du clan des opposants diligenté par Ramid. Cette tactique de la politique des “petits pas” s'est confirmée lorsque le PJD avait annoncé un “profil politique bas”, lors des échéances électorales du 27 septembre. A l'occasion, les Islamistes légalistes avaient déclaré qu'ils n'entendaient pas couvrir toutes les circonscriptions électorales de peur d'envahir la scène politique nationale !! Les résultats du suffrage, d'ailleurs favorables aux PJD (42 sièges au parlement), n'ont pas changé la position du parti, qui avait refusé de participer au gouvernement sous prétexte que le Maroc n'est pas encore prêt pour supporter l'accès des Islamistes au pouvoir ; surtout avec un contexte international qui leur est défavorable. Alors qu'en réalité, les poulains du Dr. Khatib n'avaient pas tellement le choix de participer au gouvernement pour la simple raison qu'ils n'avaient ni l'expérience politique requise ni le personnel politique aptes à gérer les affaires publiques de l'Etat. Sans compter les pressions étrangères exercées sur les gouvernements arabes pour contrôler la montée de la mouvance islamiste. En quelque sorte, la politique des “ petits pas ” était une contrainte objective plutôt qu'un choix politique délibéré ; surtout après l'échec des islamistes radicaux dans quelques pays arabes et les attentats du 11 septembre contre les Etats-Unis. Effets de contingence ou la boule-de-neige islamiste La participation politique des Islamistes “légalistes” du PJD avait marqué l'enclenchement du processus d'intégration des mouvements islamistes par le pouvoir central. Verticalement, ce dernier affiche une grande permissivité à l'égard des activités politiques des Islamistes modérés. Pour exemple, les autorités publiques viennent d'autoriser le mouvement “ Attawhid wal Islah ” d' organiser “ publiquement ” son deuxième congrès général. Horizontalement, le raffermissement du capital politique du PJD lors des dernières primaires avait accentué “l'isolement politique ” du mouvement de Cheikh Yassine. Enfin, au niveau international, l'intégration politique des Islamistes modérés avait permis au Maroc d'endiguer le risque de figurer parmi les pays “pro-islamistes”. Comme quoi, les mouvements islamistes ne sont pas toujours une source d'ennuis, puisqu'ils peuvent aussi bien constituer un élément “stabilisateur” du système politique “Attawhid wal Islah” et le PJD ne sont que les revers de la même médaille : un jeu de miroir qui permettait aux Islamistes de se déployer sur deux fronts organiquement liés.