Le secret dont est entouré l'état de santé du guide spirituel du mouvement Al Adl Wal Ihssane, cache un malaise et une crise interne. L'éventuelle succession du cheikh Yassine, a ouvert les hostilités entre trois clans, qui se livrent à une guerre froide, en attendant le grand jour. Depuis quelques mois, l'état de santé du guide spirituel du mouvement, Al Adl Wal Ihssane, Abdessalam Yassine, inquiète les disciples du mouvement. Face à l'éventualité de sa disparition, une guerre de succession s'est déclarée dans les coulisses du mouvement, pour des prises de positions, afin de préparer le grand jour. Les Adlistes n'ont rien divulgué à ce sujet. Même les cadres du mouvement hors du cercle dirigeant ne savent rien. L'état de santé du cheikh Yassine est une question de famille d'abord, puisque l'enjeu est financier. Sa fortune personnelle et celle du mouvement, ne font qu'une. Dans le cercle dirigeant, les liens de mariages et de parentés, compliquent davantage la donne. Trois clans se partagent l'influence et le pouvoir au sein de ce parti : le clan familial et Nadia Yassine, le clan du Cercle politique, avec à leur tête Mohamed Abbadi et le clan du Conseil de l'orientation avec Mohamed Moutawakil et Mohamed Barchi. La gravité de l'état de santé du guide spirituel, ouvre désormais la guerre de succession. Nadia Yassine, la fille du Cheikh, essaie de tirer profit de sa médiatisation et du procès qu'elle traîne derrière elle depuis 2005. Elle est soutenue dans sa quête par son époux, Abdellah Chibani. Le Cercle politique mené par Abdelwahed El Moutawakil et Fathallah Arsalane, monsieur communication du mouvement, qui a aussi le titre de porte-parole du mouvement, ne ménage aucun effort, pour imposer leur influence. Arsalane s'est illustré, lors de l'interdiction d'une conférence de presse au club des avocats, au mois de juin dernier à Rabat. Les deux hommes représentent le courant rationaliste du mouvement. Ils sont plus ouverts vers les autres composantes du mouvement islamiste comme le MUR ou le Mouvement pour la Nation, contrairement à Nadia Yassine, qui ne manque aucune occasion pour fustiger le PJD. Le Conseil de l'orientation, dirigé par le tandem Mohamed Abbadi à Oujda et Mohamed Barchi à Casablanca, tente lui aussi de tirer les ficelles pour avoir une part du gâteau du mouvement. Depuis près de deux ans, l'association vit une situation de guerre latente entre les différents clans. Chaque clan essaie de maximiser la prise du pouvoir au sein du mouvement et par la même occasion, d'étendre son cercle d'influence par tous les moyens. La crise du mouvement est d'abord financière, contrairement à ce que pense la majorité des observateurs politiques. Un enjeu financier et lucratif Depuis deux ans, le mouvement fait face à une baisse des rentrées d'argent. Cette situation est dûe essentiellement aux mesures draconiennes de Bank Al Maghreb sur les mouvements de transit d'argent provenant de l'étranger. L'entrée en vigueur de la loi anti-blanchiment d'argent et de la loi anti-terroriste, imposent des règles en matière de transferts. Cette nouvelle donne a eu des répercussions négatives sur les donations des membres du Mouvement, résidant à l'étranger, notamment au Canada et en Allemagne. Plusieurs membres ont cessé d'alimenter les comptes de la Jamaâ, le contrôle des pays européens sur la collecte de l'argent vers les associations islamistes, a été à l'origine de cette situation. Le mouvement connaît aussi une stagnation de recrutement et une crise d'identité politique. La Jamaâ n'a pas pu trouver le cadre organisationnel adéquat, et demeure toujours une formation à la limite de la secte et du parti politique. Pour remédier à cette situation, le mouvement a essayé de relancer une grande opération de recrutement par le biais des journées portes ouvertes, en 2006. Mais depuis cette date, le ministère de l'Intérieur avait donné des directives aux services de sécurité d'interdire toute activité grand public du mouvement. Les réunions tenues dans les domiciles des cadres d'Al Adl dans différentes villes, ont été interdites. A Oujda, Mohamed Abbadi a été poursuivi pour tenue de réunion non autorisée. Idem pour Mohamed Barchi à Casablanca. Plusieurs activistes du mouvement ont été arrêtés depuis un mois à Nador, Casablanca et Safi. Ils sont tous poursuivis pour la même raison. La guerre des clans est amplifiée aussi par l'enjeu financier, l'argent étant le nerf de la guerre. Celui qui détient les finances, détient le mouvement. Une grande partie de l'influence d'Al Adl vient de son pouvoir financier, qui lui sert à organiser ses activités de propagande et de recrutement. Cette manne sert aussi à organiser les grands sit-in et marches populaires, comme la marche de soutien à l'Irak et à la Palestine, où le mouvement achemine par autocars, des milliers d'activistes de tout le Maroc. Le patrimoine financier de la Jamaâ est géré par Nadia Yassine, depuis la dégradation de l'état de santé du Cheikh, ainsi que le patrimoine foncier, constitué de villas et de terrains à Marrakech, Fès, Rabat et Salé, est de son ressort. Elle est aidée dans cette fonction par son époux, Abdellah Chibani, qui est en même temps conseiller en immobilier de leur famille. Il y a une année, cheikh Yassine avait déménagé de son ancienne villa à Hay Essalam à Salé, pour s'installer dans une nouvelle villa au quartier huppé Souissi à Rabat, aux côtés de hauts responsables politiques et diplomatiques. L'achat avait été supervisé à l'époque par Abdallah Chibani. Pour ce qui est de l'argent, il va directement sur le compte de Abdessalam Yassine et de ses proches. L'association n'étant pas reconnue par l'Etat, celle-ci n'est pas obligée de tenir une comptabilité certifiée par un commissaire aux comptes. Les adeptes du mouvement donnent de l'argent dans le cadre de la chariaâ : Zakat, charité et bienfaisance. L'idéal même de la Jamaâ, s'est constitué autour de l'idée de partage et de solidarité. Mais aujourd'hui, l'argent de la bienfaisance ne sert plus à aider les pauvres, mais à acheter de grosses voitures et de 4x4 pour les dirigeants d'Al Adl. Yassine se déplace toujours avec un imposant cortège de voitures noires. Cette situation irrite de plus en plus les autres cercles d'influence au sein du mouvement. Ils craignent que la famille Yassine, et sa fille en tête, ne mette la main sur tout l'héritage du cheikh et par la même occasion, du patrimoine d'Al Adl Wal Ihssan, après son décès. Depuis plus d'une année, Al Adl ne manque aucune occasion pour faire de la communication et du recrutement. Dès la création des coordinations locales de lutte contre la hausse des prix, à l'initiative de la gauche radicale, il avait essayé de s'infiltrer au sein des coordinations. Idem pour les manifestations de soutien à l'Irak et à la Palestine. La guerre avec le PJD Finalement, il a créé sa propre organisation dédiée à ce genre d'activités. Le Comité marocain de soutien aux causes de la oumma, dirigé par Abdessamad Fathi, membre du Secrétariat général du Cercle, avait organisé un sit-in devant le consulat des Etats Unis à Casablanca, le mois dernier. Le 25 mars 2008, des militants d'Al Adl sont venus massivement devant le tribunal de Première Instance de Casablanca, pour protester contre les poursuites judiciaires contre Mohamed Barchi, membre du Conseil de l'orientation, qui est poursuivi avec d'autres membres, pour tenue de réunions non autorisées. Depuis quelques semaines, Nadia Yassine a ouvert un nouveau front. Dans une récente déclaration à la BBC en langue arabe, elle a accusé le PJD d'être aux ordres du ministère de l'Intérieur. Selon un dirigeant du PJD, l'objectif inavoué de la fille du cheikh, est de créer une tension entre Al Adl et le PJD et de saboter en même temps le rapprochement qui existe entre le cercle politique (Motawakil et Arsalane) et le PJD. Ce rapprochement, menacerait les intérêts financiers de la famille. Il y a une semaine, un ex-membre du Conseil d'orientation d'Al Adl, avait répondu aux déclarations de Nadia Yassine, tout en critiquant ouvertement son attitude. Abdelali Majdoub a demandé à Nadia Yassine d'être plus objective et plus précise dans ses propos, afin qu'ils ne soient pas pris pour des positions officielles d'Al Adl Wal Ihssan. La réaction de celui-ci, nous rappelle celle de Mohamed Bachiri, qui avait pris ses distances avec le mouvement de Yassine et qui était en désaccord avec les positions de sa fille. Bachiri a été éjecté de la Jamaâ, quelques temps avant sa mort en 1999. Cet ancien responsable d'Al Adl à Casablanca, avait été derrière toute l'organisation de la jamaâ. Il avait fini par dénoncer les méthodes d'Abdessalam Yassine, qui est devenu en fin de compte, un gourou, à l'image du cheikh de la tariqua Boutchichia, dont Abdessalam Yassine était un adepte au début de sa vie.