Les dernières hausses mettent plusieurs phénomènes en vue. La précarité de millions de familles est un vrai danger. L'affaire Belliraj, même avec son feuilleton de révélations sur les multiples casquettes du personnage, ne fait pas office de sujet de l'heure dans les milieux populaires. C'est la hausse des prix des produits de base qui lui vole la vedette. Pire la conjonction avec la campagne de suspicion aboutit à une thèse iconoclaste : l'affaire Belliraj est un montage pour cacher… la hausse. C'est que les hausses sont importantes, l'huile a pratiquement doublé en 6 mois, le lait pour nourrissons a été revalorisé de plus de 50 %, pâtes, semoules et autres produits dérivés de la farine ont augmenté de manière très significative. En fait, tout ce qui n'est plus compensé,, flambe. Il s'agit bien évidemment d'un contexte international. Il faut se livrer à des analyses très fines pour séparer le grain de l'ivraie, c'est-à-dire, ce qui relève de la hausse des cours mondiaux et ce qui est du ressort des producteurs locaux. On ne voit pas bien l'impact des fluctuations mondiales sur les fruits et légumes, par exemple, or ces produits aussi prennent l'ascenseur. L'impact sur les couches populaires est désastreux, une phobie à moitié rationnelle se développe, au profit de discours radicaux qui préparent la récupération politique. D'autant plus que cela se passe au moment où tout un débat sur la caisse de compensation et son nécessaire reprofilage est lancé, sans savoir s'il aboutira, parce que les mécanismes à mettre en place sont très complexes et que d'autres pays se sont cassés les dents sur la question, tels que le Brésil ou l'Egypte. La précarité, voilà l'ennemi En France, les augmentations ont marqué le débat public depuis des semaines. Pour mémoire, le SMIc en France est dix fois supérieur à son correspondant national et les chômeurs français sont indemnisés. Au Maroc, la question jusqu'ici est reléguée comme si ce n'était qu'un fait divers. Les politiques sont gênés aux entournures, alors ils évitent d'en parler pour ne pas être taxés de populisme. En vérité, l'on sait très bien que quelle que soit l'explication rationnelle de ces hausses et l'évaluation mathématique que l'on en fait, elles sont insupportables pour des millions de Marocains. Ceux qui n'ont pas de ressources stables et on le comprend, mais aussi les retraités et les petits salariés. Le SMIG est à 1800 dh et son application n'est pas généralisée, pour cette catégorie tout renchérissement des produits alimentaires est une catastrophe, parce que le budget du loyer et celui de la consommation d'eau et d'électricité sont incompréhensibles. Ce sont des familles qui vivent à 20 ou 30 DH par jour. Quand les étiquettes valsent, c'est la capacité à nourrir les enfants qui est en jeu. Le retour à «Khoubz et thé» est le dernier recours. Pire que les smicards, il y a les retraités. Un ancien des forces auxiliaires, qui a combattu au Sahara, perçoit une pension mensuelle de 700 DH et doit faire vivre 8 personnes avec ce pécule. De vieilles dames perçoivent 1000 DH par trimestre, parce que leur défunt mari n'avait pas cotisé assez longtemps, et doivent apporter la preuve qu'elles ne sont pas mariées de manière récurrente. Mille dirhams par trimestre, faites le calcul en litres de lait, d'huile, en kilos de farine, de thé. Cela ne pèse pas lourd et ne nourrit sûrement pas ces grand-mères. Quand on sait que la solidarité familiale s'effrite, peut-on réellement s'étonner de ces armées de vieilles mendiantes qui nous harcèlent ? Face à cette précarité, l'inflation est incendiaire. Pour ces Marocains, évalués à 6 millions de personnes par les statistiques les plus sérieuses, l'indice du coût de la vie est une rigolade. Les produits qui le composent, ils n'en connaissent même pas le goût. Ramener le calcul aux produits de base, c'est reconnaître un taux d'inflation bien supérieur à l'officiel. Ce sont les Marocains les plus démunis, qui subissent les hausses les plus importantes, si l'on corrige les statistiques. Face à cette réalité, on aurait pu attendre un vrai débat politique. Il n'y en a pas, comme si c'était une fatalité que d'affamer 6 millions de Marocains. Cette politique est suicidaire. Sous nos yeux, la crise sociale est latente et la crise politique institutionnelle se profile. La conjonction des deux ouvrira le champ à toutes les aventures, c'est tellement évident que les sécuritaires devraient se mettre de la partie et sonner l'alarme. Ce mutisme des politiques reflète le décalage réel entre les élites et les couches populaires. Ce qui est vital pour le petit peuple n'est pas pris en charge par ceux qui le représentent. Le taux d'abstention, le manque d'adhésion trouve ses origines pour l'essentiel dans ce décalage. Il est inutile de rêver à un nouveau système de contrôle de prix. Les choix faits, l'intégration au Marché mondial, l'interdisent. Que font les politiques ? Tout ce que peut faire l'Etat, c'est imposer la transparence et une meilleure information des consommateurs. Probablement aussi un contrôle plus efficient des circuits, pour réduire la spéculation des intermédiaires. Reste le social avec un grand S. La caisse de compensation ne doit profiter qu'aux démunis, c'est une très belle idée, surtout que le pétrole s'est installé durablement au-dessus des 100 dollars. Seulement voilà, comment déterminer les besoins, les personnes et surtout qui se chargera de la besogne ? Les élus locaux transformeront l'affaire en propagande permanente et s'en mettront plein les poches. L'administration de proximité n'a pas la confiance des intéressés. Au Brésil, Lula vient de reconnaître que le système qu'il a mis en place n'atteint ses objectifs qu'à 60 %. Pourtant au Brésil, les élus et l'Administration n'ont pas la même réputation d'incurie que chez nous. Quel que soit le système choisi, il faudra des années pour le rôder et toute envolée des prix pendant ce laps de temps, est un appel à la sédition. La solution c'est la revalorisation du SMIG et des pensions les plus basses. Les syndicats proposent un SMIG à 2500 DH, la CGEM est prête à négocier. Le gouvernement devrait accéder à cette demande. Le chômage à l'emploi est une ruse éculée, les entreprises qui ne peuvent survivre qu'en mettant leurs salariés dans l'impossibilité de se nourrir correctement, peuvent fermer. Quelle valeur donner à un emploi qui n'assure pas la dignité de son titulaire ? Ces deux décisions devraient intervenir le plus tôt possible, pour permettre au gouvernement El Fassi de reprendre la main, non par populisme ou fibre sociale, mais par pur réalisme politique. La cohésion sociale ne peut se bâtir sur les sacrifices des mêmes, et tout le temps.