Le moment fort du colloque national organisé sous le slogan «Ensemble pour le droit à la santé», fut incontestablement lorsque la ministre istiqlalienne revendiqua, quelques instants avant de donner lecture aux recommandations finales des participants, «une vraie rupture avec le passé pour favoriser l'émergence d'un système national de santé compétitif et concurrentiel dans ses deux secteurs public et privé. Celle qui avait brillamment concocté un programme ambitieux de mise à niveau sociale dans le cadre des campagnes électorales de son parti, notamment lorsqu'elle valorisa les actions à entreprendre mobilisant un budget global de 20 milliards de DH, équivalent au double de l'INDH dans sa phase 2006-2010, s'est jurée de faire en sorte pour que plus rien ne soit comme avant dans un secteur décrié et redouté, voire systématiquement dénigré par le discours populaire. Après avoir mesuré la température des lieux au moment de la mise en place du nouveau cabinet, Yasmina a étrenné le nouveau concept de «droit à la santé pour tous» en remettant de l'ordre dans les établissements publics sanitaires et en déclarant la guerre à la corruption, toutes régions et tous services confondus. Au colloque consacré à la nouvelle stratégie 2008-2012, qui a connu une forte participation de toutes les professions concernées, de l'enseignement médical et de la société civile et associative, la ministre de la Santé a réfréné difficilement son agacement devant l'ampleur des discriminations qui sévissent dans un secteur vital et aussi sensible qui concerne 30 millions de Marocains devant être mis sur un même pied d'égalité, riches et pauvres, indigents et «privilégiés», personnes normales et aux besoins spécifiques, hommes et femmes, régions développées et «sinistrées», milieu urbain et rural… bref, Yasmina Baddou a annoncé le début d'une nouvelle ère de la réforme de la Santé au Maroc fondée sur la garantie de l'exercice du droit à la santé pour tous, sans exclusive et la transparence totale chez tous les prestataires de soins et des services. Moraliser d'abord le secteur «Il est vraiment temps de dépasser le stade du slogan du droit à la santé pour tous pour le concrétiser par des plans d'action concrets et ciblés. Il est aussi temps d'abandonner la logique des petites réformes ou des réformettes pour engager une vraie stratégie de rupture», a-t-elle souligné avec force. Le diagnostic décliné à la rencontre a mis l'accent sur les principaux dysfonctionnements qui affectent un secteur fortement discriminatoire marqué par les difficultés d'accès aux soins pour les plus démunis et pour la population rurale. En outre, l'offre nationale de soins de santé est confrontée à un grand déséquilibre territorial péchant par l'inadéquation entre cette offre et la demande, notamment, en ce qui concerne certaines maladies «lourdes» ou de longue durée comme le diabète, le cancer, l'insuffisance rénale, les maladies cardiovasculaires et les maladies mentales. A cela, s'ajoute une gestion jugée défaillante des hôpitaux, aggravée par le constat d'une inadéquation entre les plateaux techniques et les ressources humaines nécessaires à leur fonctionnement. Absence de formation continue, manque d'effectifs, utilisation abusive du temps plein aménagé, absentéisme et corruption, défaut de sens de responsabilité chez certains professionnels, utilisation par le privé des ressources humaines qualifiées exerçant dans le secteur public, complètent un tableau assez inquiétant. Et il l'est encore plus lorsqu'on apprend l'absence d'une véritable politique du médicament, un interventionnisme envahissant de l'Etat au lieu de jouer au régulateur, ainsi que le défaut d'une politique de partenariat entre les secteurs public et privé et avec la société civile. Tous ces maux devront être combattus par les acteurs mobilisés pour traduire dans les faits le credo de ce colloque : «Ensemble pour le droit à la santé». La ministre Baddou l'a bien mis en relief : «afin de permettre au système national de santé de jouer pleinement son rôle qui consiste à garantir l'accès aux soins au bénéfice de toutes et de tous avec équité, à permettre une prise en charge médicale de qualité à la hauteur du développement tel que voulu par l'INDH, il faut absolument, au préalable, s'attacher à moraliser le secteur». Les objectifs quantifiés déclinés dans la nouvelle stratégie quinquennale intéressent la réduction des mortalités moyennes à 50 décès pour 100 000 à l'horizon 2012 et à 15 décès pour 1000 pour la mortalité infantile. Le taux d'hospitalisation ne devrait pas dépasser 5% de la population totale aux mêmes échéances et la part supportée par les ménages en dépenses de soins devra être comprimée à 25% du budget familial à l'horizon 2015. Les axes stratégiques à mettre en œuvre visent le repositionnement des différents intervenants dans le système national de santé, notamment en mettant en place des organismes publics autonomes de gestion des infrastructures hospitalière, dont le fonctionnement fait jouer la formule de péréquation verticale ou horizontale. Le second axe consiste en la mise à disposition du citoyen d'une offre de soins équitablement répartie sur l'ensemble du territoire national accessible. Les deux derniers axes concernent le recours à la planification stratégique de moyen et long termes d'une part, et la veille sanitaire, la prévention et la sécurité, d'autre part. Recommandations finales Nous commencerons par la plus sensible des résolutions produites dans l'Atelier animé autour de la problématique de la mortalité maternelle et infantile, comme l'exemple vient d'être donné au plus haut niveau au moment de l'inauguration prioritaire de l'espace «Mère et Enfant» dans le projet de nouveau CHU Mohammed VI à Marrakech. La lutte contre les décès maternels et néonataux s'inscrit dans le cadre des OMD 2015 (Objectifs du Millenium du Développement). La priorité est accordée aux actions en milieu rural vers lequel devra s'opérer un transfert des compétences médicales et des moyens matériels sanitaires importants. Au registre du PPP (Partenariat public-privé), l'engagement gouvernemental devra se traduire par la mise en place d'une politique de partenariat stratégique avec le secteur privé par une approche participative et la contribution au développement des ressources humaines. Il est temps que la dualité du secteur se transforme en synergies complémentaires pour remédier à l'ensemble des dysfonctionnements, fédérer les compétences publiques et privées et utiliser en commun les équipements biomédicaux lourds. L'extension de ce type de partenariat au tissu associatif est appelée de tous les vœux, en impliquant des dizaines de Sociétés Savantes et d'Associations de Sciences médicales et des centaines d'ONG versées dans le domaine social et, notamment, qui défendent la cause de la santé infantile. Plus de 132 conventions à ce jour doivent être réactivées et enrichies. S'agissant de la prise en charge des affections graves, elles interpellent les décideurs politiques et les responsables sanitaires en les incitant à plaider énergiquement la cause du changement et de l'innovation. En particulier, il faudra concrétiser l'adoption d'une prise en charge intégrée des malades chroniques et la mise en place d'un système d'assurance maladie (AMO) contribuant à soulager les frais inhérents à ces pathologies lourdes et complexes. Et pour boucler le processus de soins, le secteur pharmaceutique est tenu de redoubler d'efforts pour neutraliser la contrefaçon des médicaments et à promouvoir la fabrication locale qui émerge déjà à hauteur de 80%. Encadrement juridique, accessibilité géographique et économique, réorganisation du secteur du médicament, assurance qualité des produits, usage rationnel, développement des ressources humaines, stimulation de la recherche et suivi et évaluation des politiques sont les points forts des recommandations de l'Atelier dédié à la politique nationale du médicament.