Plus que dix jours avant le jour J. À la ville comme à la campagne, l'obsession du mouton a commencé. C'est souvent le prix du mouton qui se retrouve au centre des débats. L'animal, actuellement objet de toutes les attentions, semble être devenu un produit de luxe. Petit tour d'horizon dans les grandes foires à ovins. "Le e prix du mouton a flambé», titrait ce lundi, Le Matin. Une «flambée des prix» dûe à «la forte demande prévue pour les derniers jours précédant la fête». Selon plusieurs sources syndicales, les salariés «râlent» car cette année l'Aïd «tombe mal». «Trop tôt pour une avance de salaire. Trop tard pour avoir suffisamment de liquidités au bon moment». Plusieurs vendeurs sur le grand souk de Louizia à Mohammedia expliquaient, dimanche dernier, ce retard dû fait que leurs clients attendent leur paye. D'après une source patronale, la majorité des patrons auraient décidé de retarder les avances sur salaire «pour éviter à leurs employés de se retrouver complètement à sec bien avant la fin du mois». Il faut dire que les prix flambent vraiment. Cela va de 39 à 42 dirhams le kilo vif dans le Moyen-atlas… dès le début du mois. Dans ce garage de Rabat, loué pour treize jours, six mille dirhams, les moutons coûtent jusqu'à 4 200 dirhams. Des «sardi», certes mais quand même ! Mustapha le vendeur affirme que son gain brut est de 150 dirhams par mouton. «Et j'ai encore les charges à déduire, notamment les quatre aides que j'emploie.» Dans les pauvres habitations de zinc qui composent les bidonvilles de Mohammedia, il ( pas de prénom ni de nom dans le journal, c'est haram ) vient chaque année y vendre les moutons de l'Aïd El Kébir. Il a aménagé un petit coin devant la baraque de sa sœur qui donne sur la grande rue. Il n'a jamais connu d'autre métier que la revente de moutons. Il se fournit à El Brouj et à Bni Meskine. Il n'achète que des moutons Sardis. Il a acheté avant Ramadan une soixantaine de bêtes et les a confiées à un de ses amis qui possède un grand garage sur la route de Ben Slimane et s'occupe de les engraisser dans les règles de l'art : pas d'herbe, rien que du maïs, de l'orge et du son. Il estime que les prix ont augmenté. Il a déjà vendu cinq moutons. Il dit gagner, lui aussi entre 100 et 150 dirhams par tête. Le département de l'Agriculture estime que les transactions commerciales liées à la fête du sacrifice dégageront un chiffre d'affaires qui varierait cette année entre 6 et 7 milliards de dirhams, un pactole qui «devrait permettre aux éleveurs d'améliorer leur trésorerie et faire face aux dépenses des autres activités agricoles». Votre Aïd nous intéresse ! Chaque année, à quelques semaines de l'Aïd El Kébir, les sociétés de crédit à la consommation s'éclatent en matière de communication. Les panneaux dans les villes, les petites annonces dans les gratuits, les «leaflet» sur les comptoirs des banques… Tout est bon. Leur cible privilégiée reste les petits fonctionnaires, employés de bureau, ouvriers… qui peuvent prouver un revenu fixe et régulier. Pas fous quand même ! Car il n'y a pas que l'achat du mouton et tous les accessoires qui vont avec. Il y a les habits neufs de l'Aïd pour les enfants, pour leur mère, la belle-mère… Sans compter les désirs inassouvis depuis l'année dernière de votre douce moitié qui a craqué devant la pub d'un nouveau réfrigérateur «tout à fait adapté pour conserver la viande dans les meilleures conditions sanitaires après l'abattage». Et comment résister à l'argument santé ? Si les établissements bancaires vendent du crédit à tout-va, c'est parce qu'ils savent bien que devant la forte pression sociale, ils restent le seul recours pour les revenus faibles et moyens. Le plus inquiétant, c'est l'accumulation de petits crédits qui, en fin de compte, deviennent une vraie grosse contrainte. Il n'est pas rare que certains petits salariés se retrouvent à chaque fin de mois avec des retenues dévorant la quasi-totalité de leur salaire. À quand une campagne de sensibilisation des utilisateurs de ce mode de financement de la consommation ? Et une mise en garde obligatoire sur les dossiers de crédit pour informer des dangers que fait peser le surendettement sur la vie des ménages ? Les petits métiers de l'Aïd • Commerce de foin Cette semaine, chacun peut remarquer les nouveaux fonds de commerces ouverts par des jeunes qui vendent «Jalbana» et «Tban». Il suffit de se procurer de la matière première, repérer un endroit stratégique, (garages ou terrains vagues, voire trottoir de quelques artères ciblées de la ville... c'est parfait) avoir une balance et voilà... S'y prendre à l'avance et acheter la matière première en grandes quantités deux semaines avant l'Aïd. Les prévoyants des villes qui ont acheté des moutons à l'avance à prix raisonnable n'ont pas prévu qu'ils doivent entretenir et nourrir le(s) mouton(s) jusqu'au jour de l'Aïd… Au bout du compte, les économies ne sont peut-être pas aussi nettes ! • Aiguiseur Pour se transformer en «meddaya» (aiguiseurs) quelques jours avant le jour J. Se munir d'une meule d'aiguiseur en pierre. À défaut, en confectionner une avec les moyens du bord. On a vu des petits malins customiser des roues de voiture et transformer la jante en «fusil» d'aiguisage de couteaux et autres outils qui servent à l'abattage des moutons. Attention de ne pas abîmer les lames. On peut choisir un endroit fixe… et stratégique (cf la rubrique plus haut) pour recevoir les clients. Ou se déplacer dans les différents quartiers en criant «lamda, lamda, lamda...». • Transporteur Deux sortes de transporteurs. Ceux qui n'ont pas de capital pour monter une petite affaire se rendent aux souks des moutons et travaillent en tant que «Hamala» (transporteurs). Le plus difficile consiste à guetter les acheteurs. Dès que la transaction est achevée : se précipiter vers l'acheteur et lui proposer de transporter son animal jusqu'à la voiture, nécessite d'être plutôt costaud. Un mouton ça va, 10 moutons, bonjour le lumbago. Pour ceux qui n'ont pas toujours de capital mais un copain qui a une «Honda». Une association aussi éphémère que lucrative s'impose. Seul problème : repérer l'acheteur de mouton sans voiture ! Cela fait, procéder comme précédemment. • Egorgeur Le jour de l'Aïd, réservé à tous ceux qui savent égorger une bête. Si possible dans les règles de l'art. Pas si facile… d'autant que les animaux sentent la mort et se débattent furieusement. Se transformer en boucher d'un jour, accompagné d'un ou même deux apprentis bouchers, nécessite également de posséder au moins le jour J - tous les outils nécessaires : couperet, couteau, hachoir, scie, tempe (morceau de bois au moyen duquel le boucher tient ouvert le ventre d'un animal)… Attention : «souffler» la peau de la bête fraîchement égorgée est un vrai métier qui demande… du souffle !