Le préfet de police de Casablanca réagit "La tonalité acerbe de l'article consacré à la délinquance de rue à Casablanca a fait perdre à l'exposé sa quintessence et sa sémiologie. Il va de soi, que l'évaluation de toute politique criminelle doit reposer sur des outils conceptuels fiables et scientifiquement opérationnels, mais la pénurie criante de votre arsenal d'approche et votre envoûtement inconscient du crime, vous ont éloigné de toute thérapie qui méritait son nom. Apparemment, votre informateur vous a communiqué des racontars altérés dans leur fondement. Rien ne justifie un sophisme insidieux, manquant terriblement de limpidité et de sérieux dans la rédaction d'un hebdomadaire, réputé par son objectivité. L'article en somme, n'est qu'un coup de boutoir qui ne repose sur aucune justification. La délinquance sous toutes ses facettes restera un phénomène multiforme dont l'éradication demeure une utopie. Toutefois, la lutte contre ce fléau se poursuit par tous les services de police compétents d'une manière continue et sans relâche. Aborder ce sujet qu'on ne peut plus commun pour toutes les sociétés, nécessite cependant un diagnostic fiable, à même de disséquer le corps de la société marocaine dont Casablanca en constitue un échantillon. De ce constat, l'on peut affirmer que Casablanca, contrairement à ce qui a été avancé dans cet article, reste protégée de la grande délinquance et le crime organisé, tels subis par des sociétés considérées économiquement développées. Il paraît donc ostensible que la fascination inconsciente du crime, qui anime certains médias, les pousse à prêcher le superflu pour soumettre et à dessein les lecteurs au message vibratoire de l'émotion. L'auteur de cet article a exposé sans le moindre credo et avec une candeur apparente, un enchaînement de contre-vérités, indignes de La Gazette. Il ne va pas sans dire, que le caractère tendancieux voire controversé de cet article, ne peut susciter que le désagrément et la désillusion, puisque les règles de la déontologie qui régissent la profession ont été dépravées et la presse qui porte les valeurs contribuant à l'émancipation, ne serait alors qu'une source de désinformation, s'appuyant sur un flot de ragots. Les tableaux comparatifs (ci-après) exposent d'une manière objective, les fluctuations que la criminalité et la délinquante sous toutes leurs formes et leur répression, connaissent au niveau du commandement de la préfecture de police de Casablanca. A la lumière de ces statistiques, qui reflètent des chiffres ne souffrant d'aucune outrance et qui englobent tous les actes répréhensibles par la loi, allant des vols simples jusqu'aux crimes, en passant par l'émergence du phénomène de la mendicité, du vagabondage, des tentatives d'émigration clandestine et de la prostitution qui demeure dominant au vu des statistiques, il appert que la situation est loin d'être alarmante, comme se complaisent de la décrire certains journalistes, qui ne font que verser dans les limbes d'une littérature feuilletonesque. De ce constat, nous pouvons nous enorgueillir de nous situer en deçà du taux de criminalité enregistrée dans les grandes métropoles de la dimension de Casablanca. D'ailleurs, nos services mènent inlassablement une lutte permanente sans désemparer contre toutes les formes de la délinquance et que les statistiques sont là pour refléter les efforts soutenus déployés par la police de cette ville. Enfin, l'auteur de cet article était incontestablement quinteux et mal servi par son informateur. Dommage !" Bouchaïb Rmaïl Et pourtant… la peur s'installe Le préfet de police de Casablanca nous a fait une réponse. Il l'a présentée comme une “rectification”, de formation professionnelle oblige probablement. Nous la publions dans son intégralité, y compris une phraséologie pédante et qui se veut un tantinet insultante. Elle est surtout vide de sens. Bouchaïb Rmaïl a oublié l'essentiel : rassurer les Casablancais. Choisissant le ton polémique, il en oublie l'objet du délit. Ainsi, il, ou le rédacteur de la rectification, affirme : “de ce constat, l'on peut affirmer, contrairement à ce qui a été avancé dans cet article, que Casablanca reste protégée de la grande délinquance et le crime organisé”. Or, qu'avait écrit La Gazette ? “Cette criminalité qu'on pourrait taxer de proximité est en hausse”. Nous ne parlons donc que de la petite criminalité des rues, celle qui touche le plus le citoyen. Un hold-up n'inquiétant que rarement les quidams, alors qu'une agression d'un enfant à la sortie de l'école pour lui enlever ses baskets fait le tour de la ville. Rmaïl, quand il veut devenir démonstratif, nous sort les chiffres. Malheureusement pour lui, l'article y avait répondu par avance : “ce n'est pas ce qui ressort des chiffres de la police. Tout simplement parce que la grande majorité des victimes estime inutile de porter plainte”. Quant à “notre informateur”, Rmaïl est vraiment mal… informé. Ils sont plusieurs dizaines de milliers, ce sont tous ces Casablancais qui transpirent l'angoisse en racontant mille petits ennuis survenus aux quatre coins de la ville. Non, ce que le préfet nous reproche, c'est de l'avoir mis en cause pour avoir minimisé les faiblesses des moyens mis à disposition. Il n'a pas assez d'hommes, ni de voitures, ni de locaux. Au mois d'août, l'actuel Premier ministre, à l'époque ministre de l'Intérieur, estimait les besoins de Casablanca à 10.000 hommes supplémentaires. Un an auparavant, le préfet était satisfait de ses troupes. Il est dommage que Rmaïl préfère la polémique là où un débat peut faire œuvre utile. Ce que nous lui proposons, c'est de lui ouvrir nos colonnes pour débattre de sujets de fond : • Quelle police de proximité pour sécuriser les rues, et éviter la délinquance des drogués, des jeunes perdus et celle d'Islamistes illuminés ? quelle prévention, avec quels moyens? etc. • Comment moderniser la police pour faire face à un nouveau type de criminalité “importée”? Le tueur en série qui sévit à Casablanca par exemple. La police scientifique est-elle au mieux ? peut-on améliorer la formation? etc. • Comment assurer la liberté des individus face aux pressions islamistes, sans engager le corps de la police en politique ? • Comment améliorer le rendement des policiers par une meilleure allocation des ressources entre administration, services payés et rondes ? • Comment éviter le crime organisé, alors même que les barons de la nuit tiennent plusieurs bars à filles, “gèrent” des écuries de dizaines de filles, ont un regard sur la drogue qui circule dans leurs taudis ? le germe d'une mafia organisée n'est-il pas là ? Rmaïl les connaît un à un et ses services connaissent toutes les connexions. C'est un chantier énorme. Rmaïl est sûrement un bon flic, ce n'est pas ce que nous voulions mettre en doute. Nous n'avons jamais eu à La Gazette le moindre attrait pour le crime, ni fait du sensationnel une ligne éditoriale. Mais dans les différents milieux casablancais, la peur s'installe, et le mot insécurité est sur toutes les lèvres. Ce n'est pas une prose “énervée” qui résoudra le problème. Nos colonnes sont ouvertes à une véritable réponse aux attentes des citoyens. Témoignages Salma, technicienne en informatique "C'était un samedi du mois de Ramadan à 3h30 du matin. Comme je travaille dans un journal, je devais rester jusqu'au «bouclage» qui peut aller jusqu'à 4h ou 5h du matin. Ce jour-là, je raccompagnais un collègue, qui habitait à 5 minutes de chez moi. Je me croyais en sécurité, j'étais en voiture, accompagnée et c'était en plus le mois sacré... Arrivée au quartier plateau, alors que je ralentissais pour déposer mon collègue, j'aperçus un gars grand de taille traverser le boulevard. Devant moi, il y avait une Palio. Il a essayé de faire arrêter le conducteur de la Palio en lui jetant une grosse pierre sur le pare-brise, mais ce dernier a accéléré et s'est enfui. Il y avait d'autres gars qui attendaient dans un coin. L'agresseur s'est par la suite tourné vers moi et a projeté violemment une brique à mon encontre. La dalle a traversé la vitre gauche de la voiture, qui était pourtant fermée, m'a touché à l'épaule gauche et a échoué sur le siège de mon collègue. Tout s'est passé très vite, je ne sentais presque plus ma main. J'avais tellement peur que j'ai accéléré et je ne me suis arrêtée qu'en face de la joutia de Derb-Ghallef. Mon collègue me disait d'arrêter, mais j'avais peur qu'ils ne nous suivent. Tout de suite, nous sommes allés porter plainte au commissariat de garde. Là, il n'y avait que deux agents en civil, très calmes, ils agissaient tout doucement. Ils nous ont fait attendre deux bonnes heures et ont même essayé de nous renvoyer jusqu'à lundi. Heureusement que le chauffeur de la palio qui était devant nous au moment de l'agression s'est présenté lui aussi. Et il s'est avéré qu'il était lui même agent de police. On a donc porté plainte et signé un procès verbal. Par la suite, on a appris qu'on n'était pas les premiers à avoir porté plainte contre ces malfrats. La même gang avait déjà agressé un couple avec leur enfant, et deux bonnes femmes avec leurs mères qui revenaient d'un mariage très tôt le matin. Ils leur ont volé leurs bijoux et l'argent qu'elles avaient. Je suis actuellement en congé de maladie. Je souffre d'une luxation à l'épaule et d'un traumatisme cervical." Ouafaâ , 39 ans, publicitaire "Il y a quelques mois, j'ai été agressée en plein après midi, vers 15h30. C'était devant le marché du Maârif. Je venais de stationner , je suis descendue de la voiture et, voyant une grosse moto arriver, j'ai fait un grand pas en arrière. Mais la moto venait droit vers moi, me visait. Le conducteur a déployé la main et m'a asséné un coût de couteau en pleine poitrine. Il voulait ainsi m'arracher un tout petit sac que je portais autour de mes épaules, mais il n'avait pas bien visé . Comme ils étaient deux sur la moto, et que cette première tentative a échoué , le conducteur a accéléré, le deuxième a pris le sac et essayait de me l'arracher tandis que le conducteur accélérait de plus en plus. Le sac étant coincé autour de mon bras, ils m'ont traîné au moins 100 mètres par terre pour me l'arracher. Dans la rue les gens regardaient le spectacle, qui a duré assez longtemps, sans intervenir. Une voiture qui venait de l'autre côté avait bien tenté de les arrêter, mais en vain. Pour moi, en tout cas, tout s'est passé tellement vite, en une fraction de secondes. Mais c'était vraiment une agression des plus spectaculaires. Après avoir pris le sac, ils m'ont tout simplement éjecté. Et ce n'est qu' à ce moment que les badauds sont venus me secourir. Après cette agression, j'ai été hospitalisée pendant trois mois. J'étais traumatisée, et avais une luxation au niveau des épaules, et plusieurs blessures. Ce fut une agression presque gratuite, puisque je n'avais pas grand chose dans mon sac. Juste de quoi faire les courses, quelques 350 dirhams pas plus, les clés de la maison, mon agenda et ma carte nationale. Deux semaines plus tard, ils ont appelé mon père pour lui demander si nous voulions récupérer ma carte nationale. Ils se sont donné rendez-vous à Aîn-Chock. Mon père a donc récupéré ma carte nationale contre 100 dirhams..." Imane, 23 ans, étudiante "A aucun moment je n'ai pensé que je pouvais être agressée en plein mois de Ramadan... J'étais sortie avec des amies après le ftour, et vers 22h30 je rentrais à la cité universitaire. On était en plein centre ville sur le boulevard Hassan II plus exactement. Je m'étais séparée de mes copines et j'attendais un taxi pour rentrer. La rue était encore pleine de passants. A un certain moment, j'ai vu un homme qui traversait la rue pour venir m'accoster, mais là encore je ne me suis doutée de rien. Il était élégant, très bien habillé. Avec ses lunettes, il passerait presque pour un intello (!). En tout cas, il n'avait absolument pas l'air d'un agresseur. Personne ne pouvait s'en douter. Bref, il est venu vers moi, mais il ne m'a pas fait peur car j'ai tout simplement pensé qu'il voulait se renseigner sur quelque chose. Soudain, et quand il s'est vraiment approché de moi, il a sorti un grand couteau devant tout le monde. J'ai tout de suite crié, tout le monde me regardait, mais personne n'a pu intervenir. Dans la rue, il y avait un groupe de jeunes à côté et beaucoup de gens qui circulaient, mais c'était comme s'il n'y avait que lui et moi. Alors il m'a menacé, et m'a dit que si je n'arrêtais pas de crier, il allait m'enfoncer le couteau dans le ventre. C'était terrible, j'étais morte de peur, tout mon corps tremblait. Heureusement que je n'ai pas perdu le contrôle. Je l'ai poussé de toutes mes forces et j'ai couru. Mais au moment où je l'ai poussé, mon sac est tombé par terre, c'était tout à son bonheur. J'ai senti qu'il était tombé, mais je n'ai pas pu m'arrêter pour le ramasser, encore moins le récupérer. Quand j'étais assez loin, je me retournais pour le voir. Il était toujours là, mon sac dans une main, et le couteau dans l'autre. Il me fixait des yeux, comme s'il me menaçait. Après il a rangé son arme, et tout doucement il s'est faufilé entre les gens, le plus normalement du monde, avec le sac dans la main. Il avait ainsi tout pris, mes papiers, l'argent que je possédais, mon portable, mes clefs, bref, tout... En quelques secondes, je me suis retrouvée sans rien. J'ai porté plainte le soir même, mais jusqu'à présent, je n'ai encore reçu aucune nouvelle."