Afin d'apaiser les craintes des milieux financiers, les autorités publiques, viennent de lancer une opération portes ouvertes contre le blanchiment d'argent. Parce qu'il y a péril en la demeure. Trafic de stupéfiants, trafic d'immigrants, commerce illicite d'armes, corruption, terrorisme, trafic d'influence et détournement de biens publics, les infractions à la circulation des fonds sont désormais dans le collimateur des services d'ordre et de la justice. La campagne nationale sur la prévention du blanchiment de capitaux a été lancée le 31 octobre dernier à Rabat. À l'initiative de Bank Al Maghrib, la campagne bénéficie de la collaboration des ministères de la Justice et des Finances et impliquera pour la première fois le ministère de l'intérieur et la DGSN. En effet, lors de la journée de lancement de la campagne à Rabat, le ministre de l'Intérieur, Chakib Benmoussa, et les procureurs généraux des cours d'appel du Royaume étaient présents. La campagne durera jusqu'au 21 février 2008 et concernera neuf des seize régions du Royaume sous le thème «la prévention du blanchiment de capitaux, une garantie pour une économie saine». Au-delà de l'explication du contenu de la loi N. 43-05 relative à la lutte contre le blanchiment de l'argent, la campagne vise à apaiser les craintes des banquiers, selon une source au sein du GPBM (Groupement Professionnel des Banques au Maroc), les banques commerciales ont été les premières à exiger que les objectifs de l'opération soient clarifiés pour éviter de tomber dans le scénario de la fameuse campagne d'assainissement de 1996. Sur ce volet, pas de problèmes, dans la nouvelle loi, le législateur marocain a veillé à ce que toutes les garanties en matière de préservation du secret professionnel et de protection des personnes assujetties contre toutes poursuites judiciaires découlant de l'exécution de leurs obligations soient garanties. Selon l'article 2 de la loi contre le blanchiment d'argent, qui fait partie du Code pénal désormais, sont assujetties aux dispositions du présent chapitre les personnes physiques et les personnes morales de droit public qui réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des mouvements de capitaux susceptibles de constituer des infractions prévues par le code pénal. Sont notamment considérées comme personnes assujetties à cette loi : les établissements de crédit, les banques et les sociétés holding offshore etc… Sans oublier les personnes membres d'une profession juridique indépendante, lorsqu'elles participent, au nom de leur client et pour le compte de celui-ci, à une transaction financière ou immobilière entre autres. Ce, à quoi, il faudrait ajouter les gérants des établissements de jeux de hasard. La campagne intervient aussi, pour répondre à la demande formulée par les groupes et les commissions parlementaires. Un accouchement difficile Cela fait à peine six mois que la loi 43-05 contre le blanchiment de capitaux, est entrée en vigueur. La première mouture avait été préparée en 2005 par le gouvernement Jettou. En avril 2006 un autre projet est soumis au conseil de gouvernement et le projet de loi 43-05 passe en commission au Parlement le 20 novembre 2006. Le 22 janvier 2007, la première Chambre a voté le texte. La chambre des Conseillers en fait de même le 6 mars 2007. La loi est promulguée par le dahir du 17 avril 2007 et publiée au Bulletin officiel en mai 2007. La loi contre le blanchiment des capitaux définit ce dernier comme étant «le fait d'acquérir, de détenir, d'utiliser, de convertir ou de transférer des biens dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine de ces biens, dans l'intérêt de l'auteur ou d'autrui quand ces derniers sont le produit des infractions prévues par ce projet de loi (trafic de stupéfiants, d'êtres humains, d'immigrés, d'armes et de munitions, mais aussi corruption et détournement de biens publics ou privés)». Les peines prévues par ce texte de loi vont de deux à cinq ans de prison ferme pour les personnes physiques en plus d'amendes allant de 20.000 à 100.000 DH. Les personnes morales, elles, et sans préjuger des peines d'emprisonnement à l'encontre de leurs responsables et agents, risqueront des amendes allant de 500.000 à 3.000.000??DH. Les milieux économiques au Maroc attendent depuis les années 90 la promulgation qui règlemente la lutte contre la délinquance financière. Une mission du GAFI (Groupe d'Action financière), organisme intergouvernemental visant à développer et promouvoir des politiques nationales et internationales afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme s'était rendue à Rabat et à Casablanca en mars 1995 pour s'entretenir avec les services gouvernementaux marocains et le Groupement Professionnel des banques marocaines (GPBM). Au lendemain du 11 septembre 2001, et surtout après les attentats du 16 mai de Casablanca, le processus a été accéléré. Ceci avait conduit à l'adoption de la loi anti-terroriste qui englobe des dispositions de contrôle et d'interdiction de l'utilisation du système financier à des fins terroristes. Depuis lors, les virements bancaires au-delà d'un seuil minimum fixé par BAM sont soumis à un travail de traçabilité et de contrôle par les services concernés, qui peuvent le cas échéant ouvrir une enquête. Un tribunal anti-blanchiment d'argent, une des particularités de la nouvelle loi, est la désignation du tribunal de Rabat comme seul établissement habilité à traiter les affaires de blanchiment d'argent. À l'instar des affaires de terrorisme, qui sont du ressort de l'annexe à Salé de la Cour d'appel de Rabat. Les règles de compétence prévues par le code de procédure pénale ou par d'autres textes, les juridictions de Rabat sont compétentes pour les poursuites, l'instruction et le jugement des actes constituant des infractions de blanchiment de capitaux. Selon la nouvelle loi, les dites juridictions peuvent, pour des motifs de sécurité publique et exceptionnellement, tenir leurs audiences dans les sièges d'autres juridictions. Il faut rappeler que la loi anti-blanchiment s'inscrit dans la continuité de l'adoption en 2003 de la loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans le même cadre, le ministère de la Justice, a procédé à cet effet à l'élaboration de programmes de formation en faveur du personnel des instances ayant la charge de contrôler les mouvements de capitaux et les activités financières suspectes. Au niveau sécuritaire, les attributions de la brigade financière de la DGSN, sont désormais du ressort du pôle économique et financier de la BNPJ qui vient de se restructurer en quatre pôles??: terrorisme, immigration clandestine, drogue et affaires économique et financière. Au niveau de la sécurité extérieure, la DGED (direction générale des études et de la documentation) avait déjà mis en place une cellule de l'intelligence économique qui s'occupe entre autres des questions économiques et financières, qui ont des ramifications transnationales. Renseignements financiers et traitement des données L'article 14 de la loi anti-blanchiment a créé, par voie règlementaire, une unité de traitement du renseignement financier. Le GAFI a recommandé aux pays qui veulent adopter une loi contre le blanchiment d'argent de créer une cellule de renseignements financiers (CRF). Selon la loi 43-5 la cellule est dénommée «Unité» et elle est rattachée à la primature. L'unité est chargée entre autres, de recueillir et de traiter les renseignements liés au blanchiment de capitaux et de décider de la suite à réserver aux affaires dont elle est saisie; de constituer une base de données concernant les opérations de blanchiment de capitaux; d'ordonner toutes enquêtes ou investigations à effectuer par les services d'enquête et d'investigation de collaborer et de participer avec les services et autres organismes concernés à l'étude des mesures à mettre en oeuvre pour lutter contre le blanchiment de capitaux; d'assurer la représentation commune des services et organismes nationaux concernés par la lutte contre le blanchiment de capitaux; de proposer au gouvernement toute réforme législative, règlementaire ou administrative nécessaire en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux; de donner son avis au gouvernement sur le contenu des mesures d'application de la loi. L'unité fixe les montants et conditions particulières afférents aux opérations qui entrent dans le champ d'application de la loi anti-blanchiment. Elle élabore aussi un rapport annuel de son activité et le présente au Premier ministre. La cellule fait aussi de l'échange de renseignements financiers liés au blanchiment de capitaux, avec les autorités étrangères de compétence similaire et de traitement des requêtes de gel, émanant d'instances internationales habilitées. Au Maroc, les cas les plus fréquents de blanchiment d'argent sont liés essentiellement au trafic de résine de cannabis dans le Nord, les plus grands dépôts au niveau national se trouvent dans la ville de Nador. Selon une source bien informée, les deux présides occupés de Sebta et Mellilia sont devenus actuellement la plaque tournante des opérations de blanchiment d'argent des barons de la drogue au Nord du pays. Après le blanchiment d'argent lié à la drogue, les blanchisseurs se sont rué sur l'immobilier. Actuellement, c'est le commerce des fausses factures et autres déclarations d'impôt bidon qui font légion dans le milieu. Abdellatif Jouahri, Gouverneur de Bank Al Maghrib «Nous sommes mobilisés contre le blanchiment d'argent» La Gazette du Maroc : Pourquoi une campagne de sensibilisation contre le blanchiment d'argent au Maroc? Abdellatif Jouahri : La campagne de sensibilisation intervient à la demande, formulée lors des discussions de la loi contre le blanchiment d'argent, par les groupes parlementaires et les commissions parlementaires. La loi 43-05 est susceptible de doter le Maroc d'un dispositif légal adapté au contexte national et réunissant toutes les garanties, pour, à la fois préserver le secret professionnel et la protection des personnes assujetties. La loi contre le blanchiment d'argent, intervient aussi pour répondre à une conjoncture internationale marquée essentiellement par la lutte contre le financement occulte du terrorisme, elle vise aussi à adapter la législation marocaine avec les conventions et normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, la criminalité transnationale et le terrorisme, et à répondre aux recommandations des institutions financières internationales. En parallèle à la loi 43-05, quel est le dispositif mis en place par Bank Al Maghrib pour lutter contre le blanchiment d'argent ? Le dispositif vis-à-vis du système bancaire qu'on a mis, c'est d'abord un renforcement du contrôle interne des banques. On a mis en place ce qu'on a appelé le responsable de la conformité. C'est-à-dire : les banques doivent se conformer aux dispositions légales, règlementaires, professionnelles et d'éthique. Par conséquent, toute action qui peut porter préjudice à leur réputation, doit être suivie de très près. Cette organisation est déjà mise en place, et les responsables de la conformité ont été désignés par les banques. Les seuils de déclaration ont été mis en place, les critères de sélection de la clientèle qui peut être à risque, tout cela a été mis en place au niveau du système bancaire. Evidemment, nous essayons, chacun en ce qui concerne sa tutelle, c'est-à-dire, le ministère de la Justice en ce qui concerne les attributions qui sont sous sa tutelle, le ministère des Finances, il faut les préparer à appliquer dans les meilleures conditions les dispositions de la loi. Est-ce que ce dispositif est évolutif pour suivre aussi l'évolution des techniques de blanchiment d'argent ? Cela va de soi, ce sont des dispositifs qui sont d'abord soumis à l'évaluation. La première évaluation que nous avions faite était dans l'ensemble positive. C'est un suivi que nous allons faire de façon régulière et en cas de lacune, il faut immédiatement y remédier. S'il faut adapter le dispositif, on l'adaptera pour un nouveau renforcement de la loi, car c'est la réputation du Maroc qui est en jeu et c'est sa sauvegarde qu'il faut préserver. Selon les rapports des institutions internationales dans la région de MENA, le Maroc est en tête, mais il faut toujours rester vigilant. Est-ce que vous ne craignez pas que le renforcement de la loi pourrait créer une sorte de concurrence déloyale dans le système financier ? Dans ce domaine, il n y a pas de concurrence au niveau de la communauté internationale. Au niveau de l'ONU, du GAFI, du FMI, de la Banque Mondiale, il y a des protocoles et des normes internationales et le Maroc s'est mis au diapason des engagements et des conventions qu'il a signés. Je ne pense pas qu'il ait un risque dans ce domaine, par contre nous devons adapter notre législation au fur et à mesure que les données avancent. Peut-être que le blanchiment va se sophistiquer, que le terrorisme va empreinter d'autres voies. La conformité du dispositif national aux normes internationales fait l'objet d'évaluation qui constitue un élément essentiel dans l'appréciation, faite par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM), de la stabilité économique et financière et influe sur la notation attribuée au Maroc par les agences spécialisées.