La guerre contre les managers salauds A priori, l'on peut être choqué par cette liberté de ton aux consonances polémistes, mais à y voir de plus près, le management des entreprises gagnerait à faire le comportement de leurs ressources humaines et l'évolution de leurs relations de travail vers une conduite moins hostile et plus propice aux performances. Les puissances économiques comme les formations émergentes, les travers gestionnaires se rejoignent pour laisser apparaître le remède suggéré par le spécialiste américain en titre, Robert Sutton qui fait un tabac avec son dernier opus «Objectif-zéro-sale-con». Les grandes puissances économiques, championnes regorgeant de théories managériales et prétendant au leadership au chapitre de la Qualité totale, ne sont pas toujours bien placées pour offrir le bon exemple. Imaginez, un seul instant qu'aux Etats-Unis, qui ont vécu tous les grands bouleversements historiques en matière d'organisation scientifique du travail et de «révolutions» managériales, souffrent encore de traîner des boulets aux pieds des entreprises où la négation des bonnes relations humaines semble y régner. Sinon comment interpréter les conclusions de certaines études universitaires du pays de l'oncle Sam faisant état de «sales cons» dans les entreprises américaines dont «la présence nuisible affecte au quotidien 47% de la population active aux Etats-Unis». Plus grave encore, les dégâts causés par ces «anti-RH» sont considérables si on arrivait à en mesurer les dommages causés en coûts et en conséquences psychologiques sur les collaborateurs. L'expert américain Robert Sutton en est arrivé même à considérer son ouvrage comme un «guide survie face aux connards, despotes, enflures, harceleurs, trous-du-cul et autres personnes nuisibles qui sévissent au travail». Le professeur de management à la Stanford Engineering School où il a cofondé le Centre pour le travail, la technologie et l'organisation a, notamment, publié «11,5 Idées décalées pour innover : le guide pratique de l'innovation pour tous les managers qui veulent faire bouger les choses» en 2001. La contagion du modèle marocain Si l'on voit autour de nous au Maroc, si le zéro mépris semble être l'exception à la règle socioculturelle des mentalités et des comportements qui s'expriment, il faut dire que dans le système d'organisation économique et entrepreneurial, où le verrouillage des compétences et la mise aux placards ne sont toujours pas en reste, la contagion du «sale con» est plus tentaculaire que ses manifestations irriguent toutes les strates et colonnes hiérarchiques. Vous avez entendu l'adage populaire «Chef lekbir dial la gare sghir», ce qui sévit dans nos entités c'est la torture morale et psychologique des «p'tits chefs» qui sévissent à grande échelle. Une pathologie qui est bien enracinée dans les mœurs administratives et dans les entreprises, notamment du secteur privé, d'où il sera rudement pénible de les déloger. Mais pourquoi l'usage de tels mots «grossiers» qui sentent la provocation?? Sutton réplique en assurant que la dimension affective ressentie par les victimes des comportements humiliants et irrespectueux est difficilement supportable. «Aucun autre mot ne décrit aussi bien ce que je ressens quand je vois une personne méprisante et mesquine ou la façon dont je me traite moi-même quand j'agis comme cela. C'est aussi le mot que presque tous les gens que je connais utilisent pour décrire ces salauds même s'ils le censurent après !», explique-t-il sans hésiter. Le seul recours de salut de l'entreprise est de «construire une organisation civilisée pour les supprimer, les rééduquer ou les expulser tandis que je dois utiliser un langage dont les lecteurs se souviendront et qu'ils diffuseront». Ne pensez pas un seul instant que ce concept de «sale con» ne s'applique qu'aux autres, car ceux qui en font usage dans leur vie professionnelle comme ailleurs, peuvent l'être aussi. Ce qui fait de l'objectif «zéro sale con» un défi jouable puisque tout le monde s'y met, pour soi et pour les autres. Managers salauds Quant aux différences culturelles perçues dans certains pays, Sutton fait vite la nuance entre Américains, Asiatiques et Français : «Je pense que les Américains sont les moins subtils de tous les sales cons, alors que les Asiatiques sont effectivement plus polis à ce sujet... Mais ils peuvent être tout aussi méchants. Jusqu'à présent, ce qui ressort de mes expériences avec les Français, c'est que vos compatriotes sont plus à l'aise avec le langage grossier que n'importe qui d'autre, et j'aime ça». Sous un angle psychologique, ce trait de caractère est-il inné ou s'acquiert-il par l'expérience ? La réponse du professeur de management est claire : «Je pense que c'est quelque chose que l'on apprend de ces parents et de son milieu social. Et quand on est adulte, cela devient une maladie contagieuse que l'on attrape d'autres personnes. Les émotions et le virus du sale con sont très contagieux». D'où les méfaits d'une telle contagion qu'il faut neutraliser avant qu'elle ne fasse de gros dégâts dans les entreprises. Mais au fait, comment se définit le «sale con» ? Une tentative est donnée par le professeur de management Bennet Tepper de la de Georgia State University : «se définit comme sale con, quiconque affiche de manière persistante un comportement hostile verbal ou non-verbal» à telle enseigne que d'aucuns n'hésitent pas à distinguer entre «sales cons certifiés», hostiles en permanence, et «sales cons temporaires» tombant sous le coup de la mauvaise humeur ou de circonstances contraignantes mais éphémères. Les symptômes de comportement attribué à cette catégorie de «managers salauds» selon Sutton, se manifestent dans les attitudes qui «s'en prennent systématiquement à plus faible qu'eux, humilient et rabaissent leurs victimes délibérément et endommagent leur vitalité et leur estime de soi». Mais à l'état où vont les choses, est-il vraiment possible d'espérer pouvoir vivre, un jour, dans un monde meilleur ?