Au départ, son idole incontestable n'était autre que le grand maestro Ahmed El Bidaoui. C'était à la fin des années 40. Il l'avait ensuite pris pour modèle incontournable dans sa carrière artistique. Aussi, le jeune Abdellah Issami a tenu d'abord à apprendre à jouer du luth (“El oûd”) en choisissant comme professeur le défunt Si Tahar Amenzou qu'on qualifiait à l'époque de «Sayed Derouich el marrakchi». C'était au début des années 50 à Marrakech avant d'aller approfondir ses connaissances dans ce noble instrument à Rabat auprès d'un autre vétéran, le chanteur-compositeur Larbi El Kawakibi. Devenu compositeur lui-même, la chanson «Chhal yekdeb Gh'zali», lui a ouvert toutes les portes. Cette oeuvre l'a propulsé d'une manière irrévocable dans le domaine. Sans tarder, cédons-lui la parole : L.G.M. : En quelle année avez-vous composé votre première chanson ? Et à qui l'avez-vous confiée ? A. Issami : C'était en 1961, et je l'ai confiée à Abdelouahab Doukkali qui était à ses débuts à ce moment-là. Son titre est “Chhal yekdeb gh'zali”. Elle a été exécutée par l'Orchestre “El Mounaouaâte” que dirigeait le compositeur Mohamed Benabdeslam. Et en quelle année avez-vous rejoint les rangs de la RTM ? Cela s'est effectué deux années après. En 1963. C'est à partir de ce moment-là que j'ai fait désormais partie de l'Orchestre national de la RTM sous la direction du maestro Ahmed El Bidaoui. Quelle est donc votre première chanson en tant que membre officiel, si le terme convient, du Département-musique la RTM ? C'était au cours de la même année. Son titre est “Nachid el imane”, conçue par le poète Wajih Fahmi Salah et interprétée par Abdelhadi Belkhayat. À ce dernier, avez-vous composé d'autres oeuvres ? Une deuxième et dernière. Ecrite en arabe classique par le grand poète libanais Nizar Kebbani. Elle s'intitule : “Taouk el yassamine”. On parle aussi d'une chanson que vous aviez composée à Fath Allah Lemghari ? C'est vrai. C'était en 1965 avant qu'il ne devienne compositeur de ses propres oeuvres. Il est question de la célèbre “Allah ikammel erjak”. Par la suite, Fath Allah s'est résolu à écrire, composer et interpréter lui-même ses chansons. Vous avez aussi collaboré avec Samira Bensaïd. À quelle année remonte cette collaboration ? En 1969, alors qu'elle venait de débuter. Elle était à peine âgée de 11 ans ! La chanson, écrite par Mohamed El Kouach, a pour titre: “Kifach Et'lakina”. Je lui ai confié d'autres chansons par la suite. Une dernière question pour fermer ce chapitre-chanson : Vous avez été plusieurs fois chef de différents orchestres. Vous êtes compositeur, mais peu de gens savent que vous êtes chanteur vous-même. Dites-nous alors de combien d'oeuvres se composent votre répertoire. Mon répertoire est riche d'une vingtaine de chansons qui m'ont été composées, entre autres par: Abdelouahab Agoumi, Jilali Ben El Mehdi, Hassan Jouili, Mohamed Benabdeslam et tant d'autres. Citez-nous au moins deux chansons parmi les plus célèbres de ce répertoire ? “Ya mechmoum el ouarde” et “Chkoune ijibli khbarou”. Maintenant, loin du domaine artistique, une question un peu insolite : Si quelqu'un, que vous ne connaissez pas suffisamment, vous demandait un jour de le tirer d'un embarras quelconque en lui prêtant une certaine somme d'argent, le feriez-vous sans hésiter ou bien... ? Pour ne rien vous cacher, je dirais que... j'hésiterais longuement avant de me décider. Vous savez, les gens ne sont pas tous les mêmes. Il y a des personnes sincères et honnêtes comme il y a les autres : les profiteurs, les mauvais. Alors, il faut bien se donner un moment de réflexion avant de se décider. En compagnie d'un groupe d'amis, si des remarques désobligeantes proférées par quelqu'un à votre sujet vous irritaient et que vous vous sentiez intérieurement offensé, réagissez-vous sur le champ, faites-vous l'indifférent ou bien quittez-vous les lieux intelligemment en cachant au fond de vous-même votre colère ? Je quitte les lieux tout simplement. C'est plus reposant pour mon moral... Que signifient pour vous ces trois termes: La solitude, le bonheur, la rancune ? La Solitude, c'est une mort lente loin des regards. Le Bonheur, c'est un cadeau divin à protéger. Quant à la Rancune, elle brûle tout doucement celui qui la nourrit, “allah yehfad !”. Si un jour vous arrivez dans une administration pour une affaire quelconque et que vous tombez sur une longue file devant le bureau concerné, faites-vous la queue comme tout le monde, cherchez-vous une connaissance dans les environs ou bien retournez-vous sur vos pas ? Eh bien, je fais la queue comme tout le monde. Et si la file est trop longue, je m'éclipse pour revenir sur les lieux le lendemain. C'est tout à fait normal. Etes-vous du genre qui fait les cent pas sur le boulevard pour “voir de plus près” votre public ? Non ! Le public, on peut le voir dans une salle de spectacles ou ailleurs. Mais, s'afficher dans la rue pour le voir, jamais?! C'est un peu enfantin. Il ne faut pas s'exposer de la sorte ! Trouvez-vous que nos deux chaînes s'acquittent convenablement de leur mission vis-à-vis des artistes de l'ancienne génération ? A elle de répondre à ma place. Moi, j'en suis vraiment incapable ! En tant qu'artiste connu, donnez-vous une certaine importance au côté vestimentaire ? Oui, mais je m'habille selon mes moyens. Et à mon âge, la djellaba fait souvent l'affaire. Il faut uniquement s'habiller proprement, et convenablement. Etes-vous un bon cuisinier ? Si oui, quel est le plat que vous préférez réparer. Comme la plupart des hommes, je ne suis pas très bon cuisinier, mais je me débrouille tout de même pour préparer “quelque chose de comestible” en cas d'urgence ! Avez-vous un mot à souffler à l'oreille de ceux qui n'aiment pas vos chansons ? Je n'ai rien à leur souffler à l'oreille ! Si certaines gens n'aiment pas certaines choses, on ne peut pas les forcer à changer d'avis. Cela entre dans le cadre de leur liberté de choisir. Lorsque vous faites du mal à quelqu'un qui mérite bien votre geste, vous arrive-t-il de le regretter par la suite ? Généralement, je ne fais de mal à personne. Mais s'il m'arrivait involontairement de le faire, je le regrette amèrement par la suite et je cherche à me faire pardonner. La folie des grandeurs, cela vous inspire quel sentiment ? Un sentiment de répugnance. L'être humain est très faible, très petit pour se prendre pour quelqu'un de très grand. Il doit connaître et admettre sa véritable démission. Pour terminer, comment jugerez-vous le compositeur Abdellah Issami à l'âge de 80 ans ? Issami à l'âge de 80 ans, sera tout à fait le même que celui qui vous parle maintenant. Le corps vieillira il est vrai, mais dans le coeur et l'esprit des hommes, les idées et les idéaux ne vieillissent jamais.