Le désaccord entre les Etats-Unis et la Syrie au sujet de l'Irak a commencé bien avant l'invasion et n'a fait qu'empirer depuis. Le gouvernement Bush a vu d'un mauvais œil la Syrie acheminer d'abord le pétrole irakien à travers ses frontières, malgré l'embargo de l'ONU, puis maintenant des équipements militaires en provenance d'Europe de l'Est à destination de l'Irak. Pour sa part, le président Bachar el Assad mettait en garde les responsables américains venus lui rendre visite : alors que la puissance militaire américaine était sans aucun doute capable de renverser Saddam Hussein, tous ses efforts pour pacifier et réformer l'Irak étaient voués à l'échec, pire, ils pouvaient déstabiliser la région tout entière. Les Etats-Unis auraient bien voulu que la Syrie leur apporte un soutien logistique avant la guerre, mais cette aide leur a été refusée. D'ailleurs, dès le début de la guerre, la Syrie ne s'est pas privée de permettre l'acheminement de matériel militaire, de laisser des volontaires arabes aller à la rescousse du régime de Saddam Hussein, voire d'accorder un asile temporaire à plusieurs hauts dignitaires du régime. Dès le début de la guerre, le gouvernement américain avait renouvelé et étendu une longue liste d'exigences à l'intention du régime syrien, sans préciser ce que la Syrie pouvait y gagner en échange. Le régime ayant opposé une fin de non recevoir à ces exigences, alors même que les Etats-Unis avaient atteint le summum de leur réussite en Irak, certains faucons de Washington laissaient entendre, par fuites interposées, que la Syrie ne perdait rien pour attendre. Autant dire que toute la coopération bien réelle que les Etats-Unis et la Syrie avaient pu tisser pour repérer et désamorcer les activités d'Al Qaïda était réduite à néant. Aujourd'hui, quatre ans plus tard, ce pays, que les Etats-Unis accusent d'être le principal point de passage pour les combattants étrangers et les kamikazes à destination de l'Irak, n'a en fait entretenu aucun dialogue valable avec les Etats-Unis sur la question des frontières. Il faut le déplorer. Les Etats-Unis comme la Syrie ont tout à gagner et peu à perdre à un dialogue sérieux et soutenu. Le régime Assad commence à se rendre compte que les violences et l'instabilité qui règnent en Irak finissent par gagner la Syrie, où des groupes d'opposition commencent à monter leurs propres opérations, telle l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis il y a un an. Le nationalisme kurde, lui aussi, perturbe le régime syrien. Pendant ce temps, de nombreux Irakiens meurent, victimes d'attentats suicides et autres activités d'extrémistes nihilistes. Vagues perspectives Au-delà du manque de confiance, l'obstacle principal à un dialogue sérieux au sujet de la frontière syro-irakienne, provient du fait que le gouvernement Bush refuse d'établir avec la Syrie un dialogue élargi, au-delà des problèmes humanitaires et de perméabilité des frontières. Damas a déjà prouvé qu'elle est capable d'assurer un meilleur contrôle de ses frontières avec l'Irak lorsqu'elle le désire, même si aucun gouvernement syrien n'est capable d'assurer une étanchéité absolue. Ce ne serait d'ailleurs pas souhaitable, puisque la Syrie a accueilli 1,3 million de réfugiés irakiens et plus, qui n'ont nulle part où aller (les Etats-Unis en ont accepté moins de mille). Pour l'instant, le régime Assad n'a aucune raison valable de mieux garder ses frontières, en tout cas pas pour faire plaisir aux Etats-Unis, alors qu'on ne lui propose en échange que de vagues perspectives de meilleures relations bilatérales. Le gouvernement américain affirme avec insistance qu'un dialogue plus large avec la Syrie n'est pas souhaitable. En effet, le régime de Bachar el Assad en profiterait, selon lui, pour réaffirmer son hégémonie sur le Liban et pour enterrer une fois pour toutes l'enquête (autorisée par le Conseil de Sécurité) sur l'assassinat de Rafik Hariri, ancien Premier ministre du Liban, dans lequel de hauts dirigeants syriens auraient éventuellement pu tremper. De toute façon, le gouvernement américain trouverait un large soutien intérieur et international s'il décidait de rejeter ces exigences syriennes. Reste que sur de nombreuses autres questions les Etats-Unis pourraient rechercher un terrain d'entente avec la Syrie. La recherche d'un accord israélo-syrien séparé d'un accord israélo-palestinien et l'élaboration d'une feuille de route pour l'élimination de la plupart des sanctions américaines contre la Syrie seraient ainsi envisageables. En l'absence d'un tel dialogue, le Président El Assad est prêt à jouer la montre dans l'espoir de trouver une oreille plus favorable auprès du successeur de Bush. Dans l'état actuel des choses, rien ne permet au gouvernement américain d'espérer qu'il pourrait renverser le régime d'Assad ou le faire changer de cap. En faisant la sourde oreille, il se prive donc d'un levier diplomatique de taille qui pourrait sauver des vies en Irak, tempérer le rôle déstabilisant de la Syrie dans la région et même éventuellement conduire à une paix arabo-israélienne totale. Ce n'est pas pour dire que la Syrie soit une grande puissance régionale, ni même qu'elle ait conservé l'influence qui était la sienne du temps où le défunt Hafez el Assad, politicien madré, dirigeait le pays. Mais la Syrie a ses alliés au Liban, ainsi que parmi les factions palestiniennes les plus radicales, ou encore, dans une moindre mesure, en Irak. Parler avec la Syrie ne reviendrait pas à la récompenser de sa mauvaise conduite. Il s'agirait plutôt d'une démarche réaliste, qui, selon les conclusions de la commission Baker-Hamilton, servirait au mieux les intérêts des Etats-Unis. * Ted Kattouf a été l'ambassadeur des Etats-Unis auprès des Emirats Arabes Unis et de la Syrie. Il est actuellement PDG d'AMIDEAST, www.amideast.org. Article distribué par le Service de Presse de Common Ground (CGNews),