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Le mécontentement des assureurs face au soulagement des entrepreneurs
Publié dans La Gazette du Maroc le 25 - 11 - 2002


Les entreprises sont-elles en infraction avec
la loi sur les accidents du travail ?
La polémique qui s'est développée autour de la loi sur les accidents du travail n'en finit pas d'alimenter le feu du torchon qui brûle entre assureurs et patronat. Après avoir multiplié les doléances à son adresse, le gouvernement s'est saisi de l'affaire.
Le dossier est sur le bureau du Premier ministre, Driss Jettou, pressé d'agir puisqu'il y va aujourd'hui de la survie de pans entiers de l'économie marocaine.
Que veut le patronat ? Un report de l'application de
la nouvelle loi sur les accidents du travail qui a rendu obligatoire pour une entreprise la souscription de polices d'assurances pour le compte de ses employés. Aussi, le législateur a-t-il révisé à la hausse les indemnités journalières dont bénéficie un employé, en cas de survenance d'un accident de travail. De même qu'il pourra bénéficier de la totalité de son salaire dès le premier jour et à déclarer à l'assurance toutes sortes de maladies professionnelles.
Points de discorde. Ces nouvelles dispositions ont poussé les compagnies d'assurances à réviser mécaniquement leurs prix à la hausse, l'augmentant de 132%. “ La base de calcul ayant changé, il faut que le prix suive” répétaient-ils à l'envi, et à l'unisson, dès les premiers jours qui ont suivi la publication du communiqué annonçant l'augmentation. Et d'ajouter qu'elle reste une moyenne qui ne peut en aucun cas résorber le déficit structurel de la branche. Les chefs d'entreprises ont jugé exorbitante cette augmentation. Ils ont même accusé les assureurs «d'entente illicite» sur les prix. Un haut cadre d'une compagnie d'assurances de la place nous confie que les assureurs vont se retrouver avec des couvertures de sinistres inimaginables. A titre d'exemple, avance-t-il, la nature des maladies professionnelles à déclarer n'est pas précisée, ce qui ouvre la porte à tous les excès. Ce même responsable nous assure que : “puisque la loi oblige les entreprises à déclarer - comme pour la CNSS - aux assurances la totalité de leurs employés, certaines vont devoir débourser 10, voire 20 fois le montant actuel de leurs primes”. La transparence a un coût. Et les entreprises refusent de le payer. La loi sur les accidents du travail dans sa forme actuelle n'arrange ni les assureurs ni les entreprises.
Que faire ? La loi est entrée en vigueur depuis le 18 novembre dernier. Une date à laquelle toutes les compagnies d'assurances de la place ont résilié les contrats les liant à leurs entreprises clientes. Celles-ci, ayant refusé de les renouveler aux nouvelles conditions imposées par les assureurs, se trouvent aujourd'hui sans polices d'assurances pour leurs employés. “Nous avons arrêté tous les chantiers de construction à la charge de notre entreprise” déclare ce chef d'entreprise opérant dans le bâtiment et travaux publics. Il n'est d'ailleurs pas le seul. “La majorité des entreprises du secteur sont en stand by”, assure un expert. Elles risquent en effet gros si un accident venait à se produire sur l'un de leurs chantiers.
Dans l'urgence, le gouvernement a promis d'amender la loi et de reporter son entrée en vigueur jusqu'en 2004, tout en gardant ses caractères, général et obligatoire. La décision a été rendue publique au terme d'une réunion qui s'est tenue la semaine dernière à laquelle avaient pris part des représentants des autorités de tutelle, des membres de la fédération des compagnies d'assurances et le patronat. On le sait, il faut une loi pour en amender une autre. D'aucuns se demandent que faire entre temps en attendant la préparation et la promulgation d'une nouvelle loi qui, elle, nécessitera certainement beaucoup de temps pour être finalisée. Sachant que les dispositions de la loi sur les accidents du travail sont entrées en vigueur depuis le 18 novembre et, rappelons-le, la majorité des entreprises marocaines, sur recommandation-instruction de la CGEM, n'ont pas souscrit de polices d'assurances pour les accidents de travail, on se demande si les entreprises sont aujourd'hui en infraction avec la loi. Et en poussant notre curiosité à son extrême, on se demande quel verdict prononcera un juge à l'encontre d'une société qui n'a pas couvert ses employés, si un accident venait à se produire… C'est le cas depuis mercredi pour certaines entreprises dont les patrons ont pris attache dans l'urgence avec des compagnies d'assurances pour qu'elles leur accordent une couverture. Ceux-là sont disposés à accepter une augmentation même de 200% !
Accidents du travail
65.000 cas par an
Au Maroc, les accidents du travail s'élèvent à plus de 65.000 par an dont 20 % de cas graves. Plusieurs secteurs, notamment le secteur industriel et celui du bâtiment et des travaux publics (BTP), ne sont pas bien lôtis dans ce domaine.
La réglementation actuelle en matière de sécurité et de santé au travail a été copiée sur celle de la France. Les textes la régissant datent de 1947 alors que ceux concernant les services médicaux du travail sont de 1957. Ils portent sur la responsabilité de l'employeur vis-à-vis de ses salariés, sur un certain nombre de normes à respecter en matière de sécurité aussi bien de prévention collective qu'individuelle.
Aujourd'hui, les nombreux accidents du travail coûtent quelque 650 millions de dirhams à la Trésorerie nationale. Selon le Pr Laraqui de l'U.F.R. en sécurité et santé au travail de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Rabat, si l'actuelle législation marocaine en matière de sécurité et santé au travail qui du reste est satisfaisante, était appliquée, alors 80 % des accidents du travail disparaîtraient, les maladies professionnelles de même. Les secteurs de l'activité économique les plus touchés par le phénomène sont ceux qui sont pourvoyeurs d'emplois : le BTP et le secteur industriel, surtout le textile.
Selon les statistiques du Centre d'études et d'études électriques (CEEE) du Laboratoire public d'essais et d'etudes (LPEE), 25 % des accidents d'origine électrique sont liés à des défauts d'installation. Et le laboratoire de conclure : “l'amélioration de la qualité des installations électriques doit donc constituer une préoccupation majeure, celle d'assurer la sécurité des personnes et la protection des biens contre les risques d'électrisation, d'électrocution et d'incendie».
Tout compte fait, la sécurité dans les entreprises industrielles ou sur les chantiers requiert tout un management. Ce dernier, s'il est bien maîtrisé, doit permettre aujourd'hui non seulement de diminuer le risque mais aussi d'obtenir des réductions plus ou moins substantielles au niveau de la prestation des assureurs.
Mais si cela est vrai, ce n'est toujours pas le cas pour les chefs d'entreprise qui n'arrivent plus à se retrouver devant un trio qu'il accuse souvent de tous les maux quand un accident du travail intervient. Pour les entreprises, c'est toute une machine, démarrant avec un certificat médical de complaisance délivré par le médecin, qui est mise en branle par ce trio. Ce qui n'est pas sans grever leur trésorerie déjà affectée par la conjoncture.
Pourtant, a priori, ni l'assuré, ni l'assureur ne devraient avoir intérêt dans la réalisation du risque. Car, même si l'assurance intervient après, elle n'offre jamais toutes les conséquences de ce sinistre, si ce n'est celle financière. Se pose alors la question de savoir quelle est la finalité de l'assurance pour les accidents du travail.
Selon un professionnel des assurances, la définition économique est simple et concerne la garantie en contrepartie de primes pour les conséquences d'un risque aléatoire. Toutefois, la démarche qui consiste à faire intervenir l'assurance à la place de l'assuré pour les risques que ce dernier ne peut pas supporter financièrement semble la plus intéressante, à ses yeux.
Adama Sylla


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