En deux opus, Robert De Niro s'est taillé une bonne place de cinéaste sérieux. Après A Bronx Tale, Raisons d'Etat, livre un regard noir sur la naissance de la CIA, les rouages du pouvoir et les limites de l'être. Brillant et classique. Ceux qui voyaient dans «A Bronx Tale» (1993), une pâle copie de l'influence de Martin Scorsese et de son univers sur Robert De Niro, ont raté la finesse d'une mise en scène, où, pour une fois, la technique de l'acteur n'avait plus prise sur le déroulement des séquences. Treize ans après et plusieurs ratages en tant qu'acteur, Robert de Niro trouve un excellent scénario pour ce qui sera « Raisons d'Etat » ( The Good Shepherd ). De la Mafia au film d'espionnage, nous sommes dans l'univers cinématographique de De Niro. Le film révèle d'autres facettes cachées de l'acteur. On se rend compte qu'il a toujours été subjugué par la politique, les relations internationales, les conflits et les dessous des cartes. L'histoire se déroule durant la guerre froide. On y décrit l'ascension d'Edward Wilson (Matt Damon) au coeur des services secrets américains qui portaient encore le nom d'Office of Strategic Services, avant de devenir la CIA. Le scénario est signé Eric Roth, auteur du Munich de Steven Spielberg. Même type d'intrigues et de spéculations sur l'improbable. De Niro aurait lui-même mené un important travail d'investigation, afin de rendre son film le plus crédible et minutieux possible. Il a été aidé dans cette tâche par un certain Milt Bearden, vétéran de la CIA à la retraite, qui en avait derrière les fagots. Le résultat est à la fois curieux et étonnant. Un film de plus de trois heures, centré sur un seul personnage, l'espion Wilson, avec d'interminables références aux machineries politiques et militaro-industrielles de la guerre froide, où l'on tient le pari de l'anti-spectaculaire, c'est pour le moins anti-conventionnel. De Niro n'est pas du genre grandiloquent chez qui l'effet doit faire office de sujet. Les caractères sont plus travaillés et les situations tragiques qui en découlent puisent leur force dans les dilemmes individuels. Plus un film sur l'ascension et la chute d'un homme que sur la naissance de la sacro-secrète CIA. Film à influence coppolienne (Francis Ford Coppola est co-producteur), les mises en scène parallèles y abondent. Le récit s'étale comme une sage sur plus de 35 ans (1925-1961), on y visite plusieurs contrées et surtout, on navigue dans les eaux troubles de plusieurs seconds coteaux, tous aussi aiguisés les uns que les autres. De Niro livre, au final, un film sans héroïsme ni patriotisme. Un récit disloqué, tel ce montage très acéré où tout part en loque comme la vie privée de l'espion, la perdition dans les méandres des magouilles et des coups d'Etat qui finissent avec la débâcle de la Baie des cochons. Sans humanisme primaire ni sensiblerie de bon aloi, Robert De Niro signe un somptueux film, très conventionnel et classicisant où le souci esthétique est secondaire, mais la psychologie humaine prépondérante. Réalisé par Robert De Niro Avec Matt Damon, Angelina Jolie, Alec Baldwin, Tammy Blanchard, Billy Crudup, Robert De Niro, Keir Dullea, Michael Gambon, Martina Gedeck, William Hurt, ...