Les deux derniers attentats qui ont frappé Batna et la caserne de Deles vont permettre sans doute à l'armée algérienne de revenir explicitement sur scène. L'échec apparent du projet de réconciliation avec les groupes religieux, initié par le président Bouteflika, renforcera dorénavant ce retour. Les alibis sont là, et l'expérience aussi. Si le chef de l'Etat algérien a tenu à déclarer, suite à l'attentat de Batna, qui, peut-être, le visait personnellement, qu'il poursuivrait sans relâche ses efforts pour faire aboutir son projet d'Al-Wiâam al-Watani (réconciliation nationale), cela ne veut plus dire qu'il serait désormais capable de le réaliser. Même celui qui le soutient jusqu'ici à fond dans cette «aventure», le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Yazid Zerhouni, est aujourd'hui dans une situation délicate. Surtout, qu'il l'accompagnait dans sa tournée à l'Est où s'est produit le premier attentat et fait partie de l'institution militaire. Zerhouni est parmi les derniers vivants du «MALG», le ministère de l'Armement et des liaisons générales, créé après l'indépendance, sous l'impulsion du très redouté et légendaire, Abdelhafid Boussout. Cela dit, Zerhouni reviendra au bercail lorsque les choses deviennent sérieuses. En d'autres termes, lorsque l'armée décide de monter au créneau pour «sauver» le pays, comme cela a été le cas avec l'écartement et la répression du FIS d'Abassi Madani et Ali Belhaj, au début des années 90. Les analystes politiques, aussi bien américains qu'algériens, estiment que l'attentat de la caserne a donné une carte politique «justifiée» à la Grande muette, pour rappeler tout le monde à l'ordre, y compris le Président Bouteflika, qu'on le laisse faire en raison de sa maladie. Notamment, lorsqu'on remarque que ce dernier n'essaye plus d'imposer ses idées, de s'investir pour réaliser ses ambitions politiques. Dans ce contexte, force est de noter que Bouteflika n'insiste plus sur la modification de la Constitution dans l'objectif de briguer un 3ème mandat. On est, en plus, désormais très loin de l'époque où il répétait, devant ses visiteurs étrangers, qu'il est en plus de Président de la République, ministre de la Défense, le chef suprême de l'Armée nationale populaire (ANP). Et, de là, c'est lui le seul décideur. Si cette derrière a fait alors profil bas pour faire passer la tempête, elle a prouvé, à plusieurs reprises qu'elle est toujours là, et que sa capacité de faire tomber à l'eau les projets de Bouteflika, est très forte. A cet égard, les chancelleries occidentales sont maintenant convaincues, que malgré les apparences, Bouteflika n'a pas l'influence nécessaire pour imposer ses décisions, ni sur l'armée ni sur ses véritables dirigeants. Et, lorsqu'il lui arrive, de temps en temps, de montrer une certaine fermeté en matière de gouvernance en limogeant un ministre ou en haussant le ton, ou en se piquant des crises dans lesquelles il accuse, sans les nommer, certaines figures de l'establishment algérien, pour corruption ou sabotage de son plan de relance économique, Bouteflika avait déjà le feu vert de l'armée, qui lui est, le plus souvent, transmis par le général de corps, Mohamed Mediène (Tewfic), patron de la DRS (Département renseignement et sécurité, ex-sécurité militaire), qui l'avait soutenu contre Ali Benflis, lors des dernières élections présidentielles. Successeurs cooptés Les observateurs remarquent, depuis quelque temps, que les figures de proue de l'armée ne laissent aucune occasion sans marquer le point et montrer qu'ils sont présents partout. A cet égard, les compagnies pétrolières américaines ne cachent plus ce qu'elles savent sur la marche arrière faite par le Président Bouteflika sur la loi des hydrocarbures et l'imposition de la taxe sur les profits réalisés. En effet, le patron du groupe américain, Anadarko, le plus présent en Algérie, n'hésite pas à accuser les généraux d'être à l'origine de ce désengagement. Pis encore, à Paris, on affirme que l'aile pro-russe dans l'ANP, est derrière le sabotage, du traité de paix et d'amitié qui devait être signé fin 2006. Et c'est cette aile qui a réussi à introduire le géant Gazprom dans le secteur des hydrocarbures algériens, en écartant tous les concurrents, à commencer par Gaz de France. Certains analystes politiques pensent que ces deux attentats vont accélérer le processus visant à coopter l'un des nombreux cadres «en réserve de la République». Ce, tout en balançant des noms de probables successeurs, dans le but de brouiller les cartes. Les réunions successives, ces derniers mois, des principaux généraux ainsi que des chefs des six régions militaires, avaient pour objectif de finaliser l'opération de succession. On apprend de sources concordantes à Alger que, alors que les spéculations sur la maladie de Bouteflika vont bon train, l'armée a déjà son idée sur la succession. Et que les tenants du «pouvoir réel» n'ont aucunement l'intention de laisser une telle décision à la dernière minute, moins encore, au hasard. Aujourd'hui, ils veulent prouver à leur manière, en utilisant leurs réseaux interne et externe, qu'ils continueront, comme par le passé et en toute discrétion, loin de tout tapage médiatique, à «être réellement la source du pouvoir». Lutte antiterroriste Ce, tout en apparaissant, formellement comme une institution subordonnée à l'Etat et obeïssant au chef de l'Etat, comme c'est le cas avec le président Boutefllika. Dans ce contexte, il est clair que les conditions politiques et idéologiques qui lui permettaient d'incarner la souveraineté, sont toujours d'actualité. Cela, en plus de la capacité de mener à bien la lutte contre le terrorisme, surtout lorsque le symbole est la redoutable organisation d'Al-Qaïda. Un fait marquant qui est à prendre aujourd'hui en considération, c'est que la légitimité historique dont pouvait se réclamer l'ANP est toujours opérante, malgré le renouvellement de générations. Et, en dépit des déclarations, à un moment donné, du chef de l'Etat algérien qui évoquait dans certains de ses discours que le temps est maintenant à la «professionnalisation» de l'armée, et par là, l'éloigner de toute ingérence dans les affaires politiques, les réalités sur le terrain prouvent le contraire. Autre indice montrant que l'armée est en train de monter explicitement au créneau, les sorties consécutives du ministre délégué au ministère de la Défense, Abdel Malek Guenaïzia, qui était, à un moment donné la bête noire de Bouteflika. Ce dernier qui, malgré tous les efforts déployés, n'arriva pas à l'écarter du ministère. D'autre part, l'armée, contrairement aux assertions de beaucoup d'études et de rapports réalisés pour le compte de certains services étrangers, «tient plus que jamais le pouvoir en Algérie». C'est pour cette raison, que les Russes consolident de plus en plus leurs liaisons avec les généraux corps de l'armée, issus de la première génération, ainsi qu'avec l'élite militaire de la deuxième génération, plus particulièrement, celle qui avait effectué sa formation chez eux. Ce qui prouve aussi que l'armée a déjà choisi le ou les probables successeurs, c'est le black out imposé sur ce sujet aussi bien au niveau de la classe politique, qu'au sein des médias. Une situation qui ne pourrait perdurer, si l'état de santé du président se détériorait et l'obligeait à s'éclipser. La Grande muette sera alors contrainte de parler…