La Gazette du Maroc : Durant le printemps dernier, le bras de fer entre le Président de l'Ukraine Viktor Iouchtchenko et son Premier Ministre Viktor Ianoukovitch à cause de la dissolution du Parlement a défrayé les chroniques internationales pendant plusieures semaines, qu'en est-il maintenant de cette crise politique? Vitaliy Yokhna : A l'heure actuelle, nous pouvons dire que la crise politique est résolue. Une fois de plus, les leaders ukrainiens ont démontré la capacité de régler tous leurs problèmes par la voie des négociations. Selon un accord tripartite conclu fin mai entre les chefs de l'Etat, du Gouvernement et du Parlement, les élections anticipées parlementaires auront bien lieu en Ukraine le 30 septembre prochain. La campagne électorale a déjà commencé, un bureau de vote sera aménagé également dans les locaux de l'Ambassade d'Ukraine à Rabat et je saisis cette occasion pour inviter les ressortissants ukrainiens résidents au Maroc à venir participer au scrutin. Qu'est-ce qui a permis à l'Ukraine de résoudre ses problèmes internes par la voie de la négociation et non pas de la confrontation ? Cette année, notre pays s'apprète à commémorer le 75ème anniversaire de la Grande Famine en Ukraine de 1932-1933. 7 à 10 millions de personnes y ont péri. Cette année, l'Ukraine se souvient également d'une autre date triste liée à son passé totalitaire : le 70ème anniversaire du début de la Grande Terreur –une chasse impitoyable à ceux qui ont eu l'audace de penser autrement – qui a d'ailleurs toujours accompagné le pouvoir communiste, mais qui a atteint son apogée dans les années 1937-1938. Nous espérons beaucoup être soutenus dans cette démarche par tous les pays démocratiques, y compris le Maroc, qui donne un bon exemple, en suivant les recommandations de l'Instance Equité et Réconciliation (IER), créée elle aussi, comme nous le savons, avec l'objectif d'en finir avec le passif humanitaire. Il suffit peut-être de rappeler que le Royaume a été l'un des premiers pays arabes à reconnaître l'indépendance ukrainienne: le 22 juin dernier, on a pu célébrer le 15ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre nos deux Etats. Cet anniversaire a été peut-être aussi une bonne occasion pour dresser, en quelque sorte, un bilan des relations maroco-ukrainiennes ? Il m'est particulièrement agréable de constater que, depuis le mois de mai dernier, lorsque j'ai eu l'honneur de remettre mes lettres de créance à Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc, plusieurs évènements ont témoigmé du développement constant et assuré de nos relations bilatérales. Ainsi, le 08 juin dernier, les consultations politiques entre le Ministère des Affaires Etrangères de l'Ukraine et le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération du Royaume du Maroc ont eu lieu à Rabat. A cette occasion, les deux parties ont fait valoir leur intérêt réciproque pour le développement multiforme de la coopération mutuellement avantageuse, au niveau bilatéral tout comme au niveau multilatéral. Les discussions ont porté sur la dynamisation du dialogue politique, le développement des relations économiques et commerciales, l'amélioration de la base juridique conventionnelle, l'intensification de la coopération dans les domaines de la culture, de l'éducation, du tourisme, etc. Ce dialogue a pu être porté à un niveau encore plus élevé le 13 juillet dernier, lors de la visite officielle en Ukraine de Mohamed Benaïssa, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération du Royaume du Maroc. Une première dans toute l'histoire de nos relations bilatérales, elle a permis entre autres de procéder à la signature de plusieurs accords bilatéraux, notamment sur la coopération dans le domaine du tourisme, sur la non-double imposition et, enfin, sur la création de la commission intergouvernementale de coopération économique, commerciale, scientifique, technique et culturelle. Nous espérons que la mise en place d'une telle commission contribuera d'une manière significative à l'accélération du développement de nos relations dans tous les domaines d'intérêt commun, sa première réunion est prévue pour le mois d'avril 2008 à Rabat, suivie d'un important forum des hommes d'affaires des deux pays. Justement, en ce qui concerne la situation dans le domaine de la coopération économique bilatérale, comment pouvez-vous nous la décrire ? Il est évident que la coopération économique et le développement des échanges commerciaux mutuellement avantageux constituent une priorité pour nos deux pays. Et dans ce domaine, il reste encore beaucoup à faire. Car, quoique le Maroc demeure parmi les cinq plus grands partenaires de l'Ukraine en Afrique par le chiffre d'affaire du commerce bilatéral (presque 270 millions de dollars US en 2006), ses caractéristiques qualitatives et quantitatives restent largement au-dessous de ce qu'elles auraient pu être, ce qui s'explique en partie par le manque d'informations concernant nos marchés respectifs. Le raffermissement des liens de partenariat entre les associations influentes des industriels et des entrepreneurs des deux pays, entre les Chambres d'industrie et de commerce, ainsi que l'organisation des visites des hommes d'affaires et des échanges d'informations sur les possibilités et les besoins des parties contribueraient sans doute à l'intensification des échanges commerciaux. Il est à souligner que les possibilités du développement de la coopération bilatérale ne sont pas limitées uniquement par des échanges commerciaux. Peuvent être aussi prometteurs les domaines très variés de coopération, tels que le secteur bancaire, la prospection géologique, l'industrie minière, les projets dans le domaine du génie civil (infrastructure routière et portuaire, construction et réparation des bâtiments industriels), le domaine énergétique, la gestion d'eau, l'agriculture, la construction des machines agricoles, etc. Nous souhaiterions voir sur le marché ukrainien vos agrumes, vos conserves de poisson, vos produits textiles et beaucoup d'autres marchandises d'origine marocaine. Compte tenu de la position géographique de l'Ukraine et du Maroc, il existe une perspective réelle pour le transit des marchandises par nos territoires respectifs à destination des pays tiers, notamment en utilisant les capacités des grands ports maritimes au Maroc et en Ukraine. Concernant les échanges scientifiques, culturels et touristiques, comment les encourager davantage ? Il est vrai que la coopération maroco-ukrainienne dans le domaine scientifique se limite pour l'instant à la présence non négligeable des étudiants marocains dans les écoles supérieures ukrainiennes (environ un millier de personnes en 2006, selon les statistiques du Ministère ukrainien de l'Education et des Sciences). La coopération dans ce domaine pourrait s'élargir, à condition d'un encadrement ayant fait l'objet de conventions bilatérales, prévoyant entre autres la création d'un mécanisme fiable et transparent de reconnaissance des équivalences des diplômes. L'Ukraine a manifesté à plusieures reprises son entière disposition à accueillir les experts marocains dans le domaine de l'enseignement supérieur, afin qu'ils puissent s'assurer d'un bon niveau de formation des spécialistes dans les universités ukrainiennes, y compris celles de la filière pharmaceutique, qui demeurent d'ailleurs sous contrôle strict du Ministère de la Santé ukrainien. Dans le domaine de la recherche scientifique, il convient peut-être de mentionner la signature au début de l'année en cours d'une convention de partenariat entre l'Université polytechnique de Kiev et l'Ecole Mohammadia des Ingénieurs de Rabat. Les perspectives de coopération entre ces deux centres prestigieux de formation de nos élites techniciennes sont bien prometteuses, allant jusqu'à la mise en oeuvre des projets communs dans le domaine spatial. Les échanges dans le domaine culturel et humanitaire restent ponctuels, néanmoins cette année, un groupe de 15 enfants marocains a été de nouveau accueilli au Centre international des enfants «Artek» (Crimée, Ukraine), grâce à l'appui décisif, il faut le dire, de l'Association d'amitié et de coopération maroco-ukrainienne de M. Mohamed Faquiri. La mise en service d'une liaison aérienne directe entre Kiev et Casablanca, ainsi que la libéralisation du régime des visas pour les touristes ukrainiens, tout comme il a été fait récemment pour les ressortissants des autres pays, pourraient contribuer à ce que le Maroc devienne chez nous une destination touristique populaire, comme c'est le cas actuellement pour la Turquie et l'Egypte (390 000 et 180 000 touristes ukrainiens en 2006 respectivement).