La question a fait le tour des chancelleries : la jamaâ de Yassine acceptera-t-elle de devenir un parti politique, et faire ainsi partie du champs politique marocain ? Aucune réponse, à ce jour du moins, de la part des voix autorisées. D'habitude promptes à récuser toute insinuation du genre, les têtes pensantes sont restées coï ! Bon signe ? C'est la chaîne satellitaire qatarie «Aljazeera», qui en a donné toute l'ampleur : la jamaâ de Cheikh Yassine a été invitée par un membre du gouvernement à «s'instituer en parti politique comme les autres». En d'autres termes, renoncer au boycott de la vie politique légale et, partant, former un parti. A l'image du PJD ? La recette avait réussi, la revisiter ne serait pas un simple coup d'épée dans l'eau, serait-on tenté d'argumenter ! Pourtant, quels sont les «signes» et les faits qui militent pour une telle éventualité ? Publiquement, la jamaâ, opte pour un «no comment» révélateur. Il est à noter que l'appel de Mohammed Elyazghi, ministre de l'Environnement dans l'actuelle équipe, publié sur les colonnes de notre confrère ALM, a coïncidé avec un nouvel épisode de «frictions mutuellement échangées», entre autorités publiques et jamaâ. Il risquait de passer inaperçu ! Chose qui n'a pas eu lieu : force donc est de constater que la chaîne n'avait pas tort de donner tant d'importance à l'événement. D'ailleurs, un débat en live, parfois houleux, a eu lieu à ce sujet. La question, néanmoins : que fera réellement Al Adl Wal Ihsane ? Faute de réplique «substantielle», on a eu droit à des «articles écrits» essentiellement par la jeunesse de la jamaâ, notamment par Hassan Benrabih et Omar Aherchane. Tous deux responsables nationaux de la Chabiba adlie. Ils sont montés au créneau pour «décliner» totalement et vertement l'invitation. Faut-il pour autant y déceler une «quelconque volonté de minimiser la proposition» ? La réponse par rhétorique : deux jeunes loups qui se hâtent de ricaner, c'est la moitié vide du verre. Et la moitié pleine ? C'est justement le silence des décideurs. Ceux-là savent, mieux que quiconque, que la jamaâ, sortie affaiblie d'un bras de fer qui n'a pas été en sa faveur, est à même, sinon prête à reconsidérer autrement sa situation. Et donc «revoir à la baisse ses revendications». Son agenda politique, dans une situation de porte à faux, ne peut tolérér de risquer d'essouffler davantage le mouvement, que d'entamer la combativité de l'Etat. D'autant plus que les signes d'isolement deviennent de plus en plus apparents : Isolé et en confrontation continue avec l'Etat, le mouvement ne peut souffrir autant d'anathèmes, et de lignes de réfraction. Islamistes, nationalistes, gauchistes refuzniks et légalistes à la fois, personne ne côtoie les amis du cheikh. Les appels, de plus en plus fréquents à un modus vivendi politique, sont restés lettre morte. Un exemple des plus infligeants : l'adresse directe du MUR de Mohammed Hamdaoui, celui la même qui a succédé à Ahmed Raissouni, au mouvement yassiniste. Analyse Janvier 2006, l'année même des prédictions adlies, le MUR adresse une lettre ouverte à Al Adl Wal Ihsane, pour stigmatiser ses dérives de 2006. Le Mouvement, berceau théologique du PJD y a officialisé les différences qui séparent les deux tendances de l'islamisme marocain. Il y était question de «La vague des rêves prémonitoires (Moubachirates) et autres visions prophétiques» qui risquent «d'impacter négativement, et sur la Daâwa, et politiquement et médiatiquement» sur la mouvance islamiste. Depuis le temps, rares sont les moments politiques ou autres, où on entend parler de rapport MUR-Adl. Au niveau politique : rien ne semble aller entre le PJD et les amis de Yassine. D'ailleurs, la variante adlie est à tenir en compte dans toute analyse, le cas échéant. Et pour cause : le modèle, politiquement réussi des frères ayant cédé à la tentation du parti, «pèserait certainement sur l'évolution de la jamaâ»; note Mohammed Tozy. Pour le politologue, il y a une évolution qui forge le destin de tout groupe politique. Et la jamaâ ne dérogera pas à la règle. En 1999, la Jamaâ avait mis en place des «cercles politiques» destinés justement à initier ses élites, au fonctionnement politique. Résultats: deux «ailes» cohabitent au sein de la jamaâ. L'une politique et l'autre mystique. Selon Mohamed Tozy, avec la fin inéluctable du Cheikh, la dualité finira par disparaître, et ce, «au profit du politique». En est-on là ? Une chose est sûre, la jamaâ est consciente de sa force politique. Comme en témoignent les propos de Abdelouahed Moutawakkil, le secrétaire des cercles politiques. Réponse : «notre force politique est effective et réelle, et nous n'avons nullement besoin d'exercer une quelconque pression pour être reconnus. Et d'ajouter : «nous n'avons jamais cessé de donner conseil, tantôt implicitement et tantôt explicitement». Autre leader, même connotation. Le porte-parole, Fathallah Arsalane, a déclaré : «venez, gauche, droite et islamistes et tous ceux qui aiment ce pays, et qu'on discute ensemble pour produire une charte à soumettre au vote du peuple». Une procédure «politique», donc ! Elle prendra tout son sens dans le contexte de l'après-11 mai. Sa conclusion : «la nécessité d'ouvrir les portes à tous et donner sa chance à tout le monde». Précisément encore : «lever l'embargo en vigueur contre tout le monde» afin de donner sa chance à tous ! Que fera l'Etat, donc ? Attendre !