Le PJD risque de ne pas dépasser les 50 sièges lors des prochaines élections législatives. Pourquoi ? Des querelles intestines à propos des candidatures, les éventuels départs parlementaires vers d'autres formations, l'apaisement du contexte international dont se nourrit la propagande du PJD (Palestine, Irak…) auront un impact négatif sur l'engouement pour le parti du Misbah. Depuis plusieurs mois, les sondages se suivent et se ressemblent. En clair, toutes les enquêtes réalisées par des organismes privés et même des institutions on ne peut plus officielles (du moins celles qui ont été distillées à la presse), accréditent le PJD d'un score élevé pour ne pas dire d'un raz de marée. Mais force est de constater que tout n'est pas très rose au sein du parti de Saâd Eddine El Othmani. Connus pour être franchement disciplinés et sincèrement désintéressés de toute volonté d'accéder à des postes de responsabilités, les militants du PJD se sont soudainement découverts des ambitions politiques, tout ce qu'il y a de plus normal et humain. Avant 2007, au PJD, l'offre politique était largement supérieure à la demande. Ce qui laissait une très grande marge de manœuvre aux leaders charismatiques du parti. En revanche, aujourd'hui, la tendance s'est complètement renversée et la demande a atteint des niveaux insoupçonnables. Résultat : de sévères dissensions internes ont fait leur apparition. Certains hauts responsables du parti ne seront probablement pas retenus. Procédure à trois étages Avant de voir quelles sont les chances réelles du PJD aux prochaines élections, attardons-nous sur un point essentiel, à l'origine de toutes les discordes au sein de ce parti : la procédure pour le choix des candidats aux élections législatives. Cette procédure comporte, en fait, trois niveaux. La première consiste à réunir une assemblée générale de militants dans chaque circonscription électorale. Le nombre de membres de ces assemblées générales peut varier, d'une circonscription à l'autre, en fonction de sa taille. En tout cas, ce nombre ne dépasse guère les 150 personnes. Ces dernières proposent une liste de candidats. Sur ce point, il faut préciser un aspect important dans ce système. Au PJD personne ne se porte directement candidat aux élections. Ce sont les militants, eux-mêmes, qui choisissent ceux qui vont les représenter au Parlement. C'est la raison pour laquelle les noms des grands leaders du PJD sont souvent proposés dans plusieurs circonscriptions à la fois. C'est le cas de Saâd Eddine El Othmani, qui est venu en deuxième position à Casablanca, puis en première position à Inezgane. Toutefois, cela n'empêche pas une personne de faire campagne, discrètement, dans sa circonscription et sensibiliser ses militants pour qu'ils la choisissent. Résultat : une liste comportant parfois plus d'une trentaine de noms est dressée. L'assemblée générale passe immédiatement aux délibérations. C'est un moment crucial. Puisqu'elle n'est pas suffisamment réglementée, cette phase des délibérations consiste pour chaque membre de l'assemblée générale, à donner son avis sur les noms des candidats proposés. Généralement, ce n'est ni la compétence des uns, ni son rendement au sein d'une instance élective, qui sont pris en considération. En fait, les membres de l'assemblée générale, pour la majorité des membres du Mouvement Unicité et Réforme (MUR, qui s'occupe principalement de la Daâoua) se contentent souvent de relater les «vertus religieux» de certains candidats et leur carence chez d'autres. Si une personne est fréquemment présente dans les réunions du MUR, elle a toutes les chances de passer haut la main. Le contraire signifie, bien évidemment, son éviction de la course. Une fois la liste des noms dressée par l'assemblée générale, elle est soumise à une commission des candidatures. C'est justement la deuxième phase, telle qu'elle est prévue dans les statuts. Les noms ainsi proposés (leur nombre doit être égal au double des sièges en jeu dans la circonscription) sont classés par cette commission des candidatures. Pour rappel, cette dernière émane de l'assemblée générale. En d'autres termes, celui qui «maîtrise» suffisamment l'assemblée générale, est pratiquement sûr d'obtenir la bénédiction de la commission des candidatures. Même si dans plusieurs circonscriptions des surprises ont eu lieu. Nous y reviendrons. Avant de passer à la troisième phase, faisons une remarque importante. Découvrant que, statutairement, tout se joue au niveau local et plus précisément au sein de l'assemblée générale, bon nombre de candidats ont axé, depuis belle lurette, tous leurs efforts sur cette assemblée et ses membres les plus influents. C'est la raison pour laquelle, dans plusieurs circonscriptions, fiefs traditionnels de grands parlementaires du PJD, des «inconnus au bataillon» ont été proposés en tête de liste. Le tout au détriment de grandes figures du parti, dont certains sont membres du secrétariat général. Justement, la troisième phase consiste à soumettre la liste des candidats au secrétariat général. Mais ce dernier ne s'est pas encore réuni pour trancher définitivement dans ces candidatures et délivrer des accréditations aux personnes retenues. Ce retard a plusieurs explications. Tout d'abord, à en croire le secrétaire général, Saâd Eddine El Othmani, les deux premières phases n'ont pas encore été achevées. Mais d'autres raisons expliquent ce retard. En fait, des bras de fer sans merci ont lieu au sein du parti. Et une pression incroyable est exercée sur le secrétaire général, en personne. Mais celui-ci, qui a accordé un entretien à La Gazette du Maroc, semble être décidé à apporter quelques changements aux listes qui seront soumises pour accréditation. Et pour cause, le règlement intérieur du PJD est clair là-dessus. Le secrétariat général est habilité à imposer des noms, en tête de liste, dans 20% des circonscriptions. Et ces noms « à repêcher » sont nombreux. Les recalés Nous citerons le cas de Mohamed Yatim, secrétaire général de l'Union nationale marocaine du travail (UNMT, syndicat proche du PJD) qui n'a pas réussi à s'imposer à Béni Mellal. C'est le cas également du tonitruant Abdelilah Benkirane, président du prestigieux Conseil national du PJD, qui a surpris tout le monde en perdant à Salé, son fief historique. Environ 50 sièges dans le prochain Parlement La liste est encore très longue. Elle comporte Abdellah Boinou à Meknès, député extrêmement actif au Parlement. Chakib Bennani, député et maire de Témara. Abdellah Baha député de Rabat et ancien président du groupe PJD à la Chambre des Représentants. Même chose pour le docteur Mohamed Khalil à Casablanca (le seul lien fort entre le Maroc et la Chine, puisque Khalil a été le premier étudiant marocain à poursuivre ses études dans l'Empire du milieu) et Houssine Kerroumi, député de Rabat et un expert dans la gestion des collectivités locales (il est derrière la création d'un institut du PJD pour la formation des élus communaux). Toutefois, ces deux derniers députés ont une particularité. Ils ne sont pas originaires du MUR. Mohamed Khalil est un militant de la première heure du Mouvement populaire Démocratique et Constitutionnel (MPDC) d'Abdelkarim El Khatib, qui a donné lieu au PJD en 1996. Pour Houssine Kerroumi, il appartenait au groupe du mouvement populaire avant de rejoindre le PJD en 1997, ce qui a permis au parti de créer un groupe à la Chambre des Représentants. Il est donc tout à fait normal, compte tenu de la procédure de candidatures aux élections législatives de septembre prochain, que le Dr. Khalil et Kerroumi, soient écartés par les militants, tous des adeptes du MUR. En plus de ces cas de figures, il y en a un autre, certes différent, mais qui est également porteur de germes de la dissension et de la zizanie au sein du PJD. C'est le cas de la circonscription d'Anfa à Casablanca, que le PJD a carrément abandonnée au profit d'Abderrahim Lahjouji, président des Forces Citoyennes (voir encadré). Face à cela, une nouvelle élite de responsables du PJD a fait son apparition. Il s'agit de «jeunes loups», cherchant, eux aussi, leur part du gâteau. Certes, ils jouissent d'une popularité évidente dans leur circonscription, mais sur le plan politique, ils sont vierges de toute expérience. S'ils se retrouvent majoritaires, au sein du groupe à la rentrée d'octobre 2007, le PJD perdra énormément. Il reviendra plus de cinq ans en arrière. Un scénario que le secrétariat général veut éviter. Mais à quel prix ? La question vaut un million de dollars. Saâd Eddine El Othmani se retrouve entre le marteau et l'enclume. D'un côté, il y a les recalés, pratiquement tous des membres du secrétariat général, qui poussent vers une révision de certaines listes et l'inscription de leur nom en tête. Ils argumentent leurs souhaits par les prérogatives du secrétariat général, telles qu'elles sont inscrites dans les statuts du PJD. D'un autre côté, il y a les «jeunes loups» qui sont arrivés en tête de liste après des années de préparation du terrain. Barrer leur nom d'un simple coup de crayon risquerait de créer une «guerre civile» au sein du PJD. Certains risqueraient de se démobiliser si leur nom n'est pas retenu. D'autres envisageraient même de rejoindre un autre parti (islamiste, bien entendu) et faire campagne contre le PJD (voir encadré sur «les alternatives»). En conclusion, deux remarques s'imposent. D'une part, nous devons constater, que, contrairement à l'image véhiculée par l'opinion publique et certains médias, les militants du PJD ne sont pas «spéciaux». Ils ont des ambitions comme tout le monde. Il désirent le pouvoir, le prestige et le luxe qui découlent souvent de l'élection au Parlement. Autre remarque importante. Elle a trait au score du PJD lors des prochaines consultations. Les querelles intestines, les éventuels départs parlementaires vers d'autres formations, l'apaisement du contexte international dont se nourrit la propagande du PJD (Palestine, Iraq…) auront un impact négatif sur l'engouement pour le parti du Misbah. Résultat : le PJD risque de ne pas dépasser les 50 sièges. A moins que, cet été, les Etats-Unis décident d'attaquer l'Iran ou Israël de s'emparer du Sud Liban… Désistement du PJD Le cas d'Anfa Lors des élections législatives de 2002, le PJD a réussi à élire deux candidats de la même liste présentés dans la circonscription d'Anfa à Casablanca. C'est un élément rarissime qui ne s'est produit que dans deux ou trois autres circonscriptions dans l'ensemble du territoire marocain. Ceci signifie que le PJD dispose, à Anfa, d'un réservoir d'électeurs considérable. En outre, les députés en questions sont des jeunes, parmi les plus dynamiques du groupe du PJD. Il s'agit de Rachid Medaouar et d'Abdessamad Haïkar. A titre indicatif, Medaouar a occupé le poste d'assesseur au sein du bureau de la première Chambre. A cette occasion, il a effectué des audits internes sur la dépense du budget de la Chambre et a accumulé une expérience considérable au sein du Parlement. Et bien malgré cela, le parti de Saâd Eddine El Othmani a décidé de se retirer de cette circonscription, en faveur d'Abderrahim Lahjouji, président de Forces Citoyennes. «C'est une décision totalement irréfléchie», disent certains. «C'est une décision politique», répond Saâd Eddine El Othmani. En effet, le parti d'Abderrahim Lahjouji a été la seule formation politique marocaine à avoir opéré un rapprochement stratégique avec le PJD, brisant ainsi un isolement dans lequel le parti islamiste se trouvait, notamment à la suite des attentats de 2003. «A cette époque, il était très mal vu de s'asseoir autour d'une table avec le PJD, et Lahjouji a été le seul à défier les détracteurs du PJD». Aujourd'hui, ce dernier lui renvoie l'ascenseur. Mais que fera-t-il de Medaouar et Haïkar. Les prochains jours le montreront. Mais pour l'anecdote, Ali Belhaj (président d'Alliances des Libertés) qui vient de nouer un rapprochement avec le parti de Lahjouji, a contacté le PJD pour qu'il se désiste de Dar Bouâzza. La demande a été sèchement rejetée. Colère Les alternatives La sortie de Mohamed Khalidi du PJD et la création du parti du Renouveau et de la Vertu (PRV-Annahda Wal Fadila) a longtemps été considérée comme une tempête dans un verre d'eau. Certains n'ont pas hésité à se moquer de Khalidi (lui aussi un ancien du MPDC) lui prédisant une espérance de vie très courte. Aujourd'hui, il semble que ce vieux renard à vu juste. Aurait-il parié sur des dissensions au sein du PJD ? On ne le saura jamais, mais ce qui est sûr c'est qu'il paraît aujourd'hui la meilleure alternative pour les mécontents. Déjà le PRV a accueilli certains militants en rogne et désireux de se présenter aux législatives de 2007. Parmi les plus en vue, il y a le président de l'arrondissement Saïss à Fès, Hamid Fettah. En plus du PRV, les mécontents du PJD peuvent se rendre à deux autres partis islamistes. Al Badil Al Hadari de Mustapha Mostassim, qui s'organise de mieux en mieux sur l'ensemble du territoire. Et le parti Al Oumma, de Mohamed Marwani nouvellement créé.